Mesures barrières contre le Covid-19 : les Maliens n’en ont cure…

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Le président de la transition du Mali, le colonel-major à la retraite Bah N’Daw faisant l’accolade au chancelier des Ordres nationaux, tous les deux sans masque, après avoir reçu sa décoration de grand maître des ordres nationaux, lors de sa prestation de serment le 25 septembre 2020./Photo : Ouestaf News.

Ouestafnews – Les populations, y compris les plus hautes autorités, semblent n’en avoir cure : ils sont peu nombreux au Mali à suivre les gestes barrières institués pour lutter contre contre le Coronavirus. Que ce soit lors de cérémonies officielles ou dans les marchés, un peu partout à Bamako, ils sont peu nombreux à porter le masque ou à observer les autres mesures.

Le 25 septembre 2020, lors de sa prestation de serment, le président de la transition du Mali, le colonel-major à la retraite Bah N’Daw s’est séparé de son masque. C’était pour recevoir sa décoration de grand maître des ordres nationaux. Dans la foulée, il fait une accolade au chancelier des Ordres nationaux. Ce dernier non plus ne portait pas de masque. Pourtant, on était en pleine pandémie de Covid-19.

L’image de ce geste, aux antipodes des règles édictées, était retransmise en direct par la télévision nationale et les chaînes privées. Résultat : les Maliens sont de plus en plus laxistes quant à l’observation des règles mises en place pour lutter contre le nouveau coronavirus qui fait des ravages dans le monde entier.

Le port du masque dans les espaces publics, la réduction à 50% du nombre de passagers dans le transport, la limitation à une personne sur les motos, etc. sont des mesures de prévention qui sont, en principe, toujours en vigueur au Mali. Toutefois, elles ne sont plus respectées excepté le port du masque à l’entrée de la Cité administrative et dans les banques.

« Je ne crois pas à l’existence de cette maladie. Nous vivons naturellement avec les symptômes du Covid-19. Le Mali est un pays de soleil. Je ne considère pas la grippe et la fièvre comme des maladies », soutient mordicus Yaya Samaké un quinquagénaire qui pense que « le Covid-19 est une réalité de chez les Blancs, et non au Mali ».

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Rencontré dans l’atelier de couture de son ami en Commune VI, M. Samaké dit n’avoir jamais changé ses habitudes à cause du Covid-19. « Je ne porte pas de masque. Je n’en ai même pas ». Et comme pour défier le virus, il rappelle : « lors des législatives de mars et avril (2020), je suis allé au centre le vote sans masque. Je serre les mains de tous ceux me tendent les leurs ».

Le Covid-19 est apparu au Mali dans un contexte socio-politique tendu. Le pays était à trois jours du premier tour des élections législatives du 28 mars 2020. Des partis politiques avaient demandé, en vain, le report des scrutins.

Son ami tailleur Youssouf Niambélé lui, ne doute pas de la véracité de la maladie. Toutefois, il fait fi du respect des gestes barrières. « Après les premières heures, on s’est débarrassé du masque parce qu’on se sent un peu immunisé contre le Covid6-19 en raison du faible taux de contaminations en Afrique et surtout dans la zone sahélienne », argumente M. Niambélé.

Au centre commercial de Bamako, Daouda Koné et deux de ses amis sont en pleine conversation sous un arbre. Aucun d’entre eux ne porte de masque et ne songe à se tenir à distance des autres. « Le masque est très important, c’est une question de santé et non de coronavirus seulement. Mais je ne le porte pas présentement parce qu’il fait froid ce matin », témoigne Daouda Koné. Son voisin d’en face lui se justifier autrement : « le Covid-19 est presque fini au Mali ».

Jusque dans les établissements scolaires…

Ce non-respect des gestes barrières n’est pas l’apanage de la rue. Dans les services publics, le constat est le même. Dans les écoles qui ont ouvert leurs portes, le relâchement des mesures de protection est notoire. Au Groupe scolaire de Magnambougou-Projet en Commune VI du district de Bamako, les effectifs ne sont pas conformes à la limite de 25 élèves par classe fixée par l’Etat.

« Faute de salles suffisantes et de personnel, nous n’avons pas pu observer cela. Les enfants sont en moyenne 70 par salle », reconnaît Ibrahima Traoré, directeur du groupe scolaire de Magnambougou-projet en Commune VI de Bamako.

Au Groupe scolaire de Magnambougou-Projet en Commune VI du district de Bamako les effectifs par classe sont en moyenne 70 élèves contre 25 élèves exigés par les autorités pour limiter la propagation du Covid-19./Photo : Ouestaf News.

Dans son école, seul un dispositif de lavage des mains installé devant chacune des 41 salles de classes rappelle les mesures contre la pandémie. Port de masque et distanciation physique n’y sont pas observés. « Je ne porte pas mon masque parce que je suis seul dans mon bureau. Tous les enseignants ont des masques. Seuls les enfants n’en ont pas eu encore », affirme M. Traoré. Mais le constat est tout autre au sein de l’établissement. Aucun enseignant de l’école ne porte le masque. « Parler pendant longtemps avec le masque écrase la voix », soutient l’un des enseignants de l’école.

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La faute aux législatives

Certains observateurs parmi lesquels, Dr Yacouba Dogoni, professeur de sociologie à l’Université de Bamako, s’accordent à dire que « l’entêtement des autorités à organiser les élections législatives du 28 mars 2020 a été le premier facteur de l’incivisme des Maliens vis-à-vis des gestes barrières ». « A cause de la tenue du scrutin les gens ont manifesté pour exiger la levée du couvre-feu instauré par les autorités. Les commerçants ont refusé de fermer les marchés et les religieux n’ont jamais voulu fermer les lieux de culte », explique Dr Dogoni.

Les déplacements en période de campagne et pour rejoindre les centres de vote le jour-J, se sont faits sans le moindre respect des mesures barrières. Même si certains centres de vote ont été dotés de kits sanitaires, l’ensemble des centres de vote n’en avait pas bénéficié.

« L’organisation de ce scrutin dans le contexte du Covid-19 a conforté les populations dans leur refus de se soumettre aux gestes de protection », explique Dr. Aly Tounkara, enseignant-chercheur à l’Université de Bamako.

Selon ce sociologue, la tenue des législatives prouvait qu’au « sommet de l’Etat, la rigueur avec laquelle la pandémie devait être traitée n’a pas été le cas ».

En plus de la mauvaise gestion de la pandémie par les autorités, Dr. Tounkara pointe un doigt accusateur sur les leaders religieux, notamment musulmans d’avoir contribué au relâchement des gestes barrières.

« Dans des (enregistrements) audio, certains prêcheurs musulmans lient la pandémie au destin. Et de telles interprétations biaisées des textes sacrés ont encouragé les populations à banaliser la maladie (…). D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que les lieux de cultes n’ont pas été fermés », déplore Dr. Tounkara.

Le sociologue explique aussi l’attitude défiante des Maliens vis-à-vis des mesures et consignes par le fait que les autorités elles-mêmes « ont été peu exemplaires ».

Par ailleurs, « à force de vivre un quotidien rythmé par des tensions, l’insécurité, la quête d’une survie au quotidien, un accès difficile aux services sociaux de base, le Malien est devenu peu accommodant aux discours officiels. Il y a eu une crise de confiance installée entre les gouvernants et les gouvernés », selon le chercheur.

L’autre facteur du relâchement est la perception même de la maladie par les Maliens. Le sociologue, directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel, affirme que beaucoup de ses concitoyens considèrent la pandémie comme une « conspiration de l’occident contre les Africains ».

A cela s’ajoute ce que certains perçoivent comme une « faille dans la communication gouvernementale », selon Diomansi Bomboté, spécialiste en communication et enseignant à l’Ecole supérieure de journalisme et des sciences de la communication (ESJSC) de Bamako. Il doute même de l’existence d’une stratégie de communication dans la prévention du Covid-19.

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« On aurait pu imaginer la mise en place des points focaux de sensibilisation dans tous les services publics et privés, mobiliser et impliquer les 400 radios communautaires », suggère M. Bomboté.

Contrairement à Diomansi Bomboté, Lassine Sidibé, également spécialiste en communication, estime que l’ex-Premier ministre Boubou Cissé a commis une erreur de communication autour du Covid-19 lors d’une conférence de presse, le 19 mars 2020 : « les élections auront lieu qu’il y ait ou pas de cas de coronavirus ». « Cette phrase assassine suivie de la tenue du scrutin a davantage encouragé les populations a ne pas croire à l’existence de la maladie », déplore le sociologue.

Le relâchement dans l’observation des gestes barrières n’est pas sans inquiéter les personnels de santé. « Nous constatons un relâchement général des gestes barrières depuis août. Or la fin de la pandémie est incertaine dans un avenir proche surtout que l’on remarque un retour des cas dans les pays voisins », affirme le Pr. Yacouba Toloba, infectiologue et chef du centre de prise en charge de l’hôpital de Point G.

Lui aussi évoque la responsabilité des plus hautes autorités dans le relâchement des gestes barrières. « Les autorités avaient d’autres priorités. C’est ce qui nous a amenés là où nous sommes. Sinon, comment recommander des mesures de distanciation alors les agents de l’Etat eux-mêmes rament à contre-courant ?», s’insurge l’infectiologue.

Avec l’absence de sanction contre les contrevenants, la population persiste dans le non-respect des gestes barrières et favorise du coup, le risque de propagation de la maladie.

Le Mali compte à la date du 15 octobre 2020, 3368 cas confirmés dont 132 décès et 2559 guéris.

MD/Fd/hts

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