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Migration : dans la banlieue dakaroise, le rêve de partir toujours intact

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Ouestafnews – En Afrique, la migration figure désormais parmi les grandes causes de mortalité, avec plus de 5.000 morts en 2017, selon l’Organisation mondiale pour la migration (OIM).

Il a fallu près de 20 jours de négociations avant que les dirigeants européens acceptent le débarquement à La Valette, la capitale de l’Ile de Malte, de 49 migrants bloqués à bord du Sea-Watch 3 et du Professor-Albrecht-Penck, depuis leur sauvetage aux larges de la Libye les 22 et 29 décembre 2018.

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Toujours très médiatisé, ce genre de traitement infligé aux migrants africains qui veulent se rendre en Europe, n’a sûrement pas échappé aux autres candidats à l’émigration, restés au pays.

Paradoxe : aussi avilissante soient-elles, ces conditions n’entament en rien la volonté de certains jeunes africains de rallier l’Europe. Et par tous les moyens.

Novembre 2017, la chaîne CNN porte à la connaissance de l’opinion publique mondiale que des centaines de jeunes africains sont vendus comme «esclaves en Libye». L’affaire soulève un grand tollé, mais qui retombe très vite.

En Afrique, on s’indigne et on dénonce certes, mais c’est encore peu pour ceux qui rêvent de ce qu’ils perçoivent encore comme un eldorado.

«Ce n’est pas la probabilité de devenir esclave qui va freiner les ambitions d’une personne qui s’attend à mourir pour rejoindre l’Europe», affirme Ahmet Guèye, président du Conseil départemental de la jeunesse de Pikine, dans la banlieue dakaroise.

S’il est convaincu qu’on peut s’en sortir en restant au Sénégal, ce n’est guère le cas des centaines de jeunes qu’il dirige. «Tous ceux que je connais, veulent partir, même si beaucoup d’entre eux désormais optent (de partir) par la voix légale».

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Mais pour voyager légalement, faudrait-il franchir le cap du «visa», véritables barrières érigées au niveau des ambassades, qui rendent l’exercice pénible. Qu’à cela ne tienne, pour Ibrahima Ndoye, membre du Conseil départemental : «il n’y a que comme ça (partir), qu’on peut aider nos familles».

Avec plus d’un million cent mille habitants, la localité de Pikine affiche un taux de pauvreté qui frôle les 30%, selon l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD).

Dans cette ville, selon l’agence, seule une personne sur 10 est active, avec un revenu par tête et par jour n’atteignant pas deux dollars !

Ce qui prédispose non seulement les jeunes à la migration irrégulière, mais également à la radicalisation selon un rapport paru en janvier 2018 sur les facteurs de radicalisation des jeunes, publié par Timbuktu Institute (un think tank basé à Dakar et spécialisée sur le radicalisme islamiste).

Les pirogues reprennent du service

Si à Pikine, certains affirment vouloir changer de «méthode», la donne n’a en rien changé à Thiaroye-sur-mer, quartier traditionnel de pêcheurs avec ses 36.600 habitants.

Comme pour les jeunes de Pikine-Est, la migration demeure une des rares «solutions» au problème du chômage et du sous-emploi que perçoivent les jeunes de cette localité de la périphérie dakaroise qui a payé un lourd tribut à la «migration» dite clandestine, au moment où les départs par pirogues connaissaient leur pic dans les années 2005 et 2006.

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Si les chiffres exacts font défaut au niveau des institutions, à Thiaroye sur mer, l’on peut facilement se faire une idée, du drame à travers les déclarations des résidents.

«Chaque maison compte des orphelins dont le pères est resté en mer en tentant de rejoindre (l’Europe)», soutient Moustapha Diouf, président de l’Association des jeunes rapatriés de Thiaroye sur mer (AJRAP).

Dans cette communauté de pêcheurs, des centaines, voire des milliers de jeunes ont rejoint ou essayé de rejoindre l’Europe par la mer.

Cependant, ni la douleur des pertes en vies humaines, ni la vidéo de CNN cité plus haut n’a entamé le désir de «partir» des jeunes d’ici.

Selon les témoignages recueillis sur place, les petits désagréments, les malheurs répétés et les grosses douleurs, les contrôles renforcés n’ont en réalité changé que très peu les habitudes.

Selon M. Diouf, qui dirige AJRAP, créée en 2007 et qui essaie de sensibiliser les jeunes sur les dangers de l’émigration irrégulière, ce sont désormais des pirogues avec des moteurs plus puissants qui prennent désormais le départ depuis les plages de leur quartier.

«Dans les années 2005 et 2006, les pirogues avaient des moteurs de 40 chevaux, elles mettaient cinq à six jours avant d’atteindre les Iles Canaries. Dorénavant, ce sont des moteurs de 70 chevaux qui équipent les pirogues (et) les migrants mettent moins de trois jours pour rallier les îles Canaries», affirme-t-il.

Selon lui, cette facilité à rejoindre les Iles Canaries est considérée par les jeunes comme une aubaine, même s’il dit ignorer le nombre exact de personnes qui ont récemment quitté la localité, par ce moyen.

L’emploi, la source du mal

«La pauvreté, le chômage et le manque de considération qui nous poussaient à prendre les pirogues en 2005 pour rallier l’Europe, est toujours d’actualité, rien n’a changé», martèle Djibril Diaw, 32 ans, un migrant de retour au pays, actuellement pêcheur et membre de l’AJRAP dans le quartier de Thiaroye sur mer.

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Il pointe ainsi du doigt, la lancinante question de l’emploi des jeunes, qui se caractérise entre autres, par un accès difficile à un travail décent pour les jeunes demandeurs, par un accès inégal entre hommes et femmes, mais également, par des emplois précaires et des revenus faibles.

«La presque totalité des jeunes qui sont dans notre association n’ont pas d’emploi», confie le président de l’AJRAP, pour qui la pêche en mer demeure la seule activité qui leur fournit du travail pour nourrir  leurs familles. Or, la pêche est de moins en moins rentable avec la rareté du poisson.

Cette difficulté à trouver du travail, n’est pas totalement amputable au gouvernement, se défendent les autorités,  puisque le problème de qualification se pose. Selon le Directeur de l’emploi, 46% des demandeurs d’emploi au Sénégal n’ont subi aucune formation et ne disposent d’aucun diplôme.

La même observation a été faite par Amadou Lamine Dieng, le directeur de l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes (ANPEJ). Ce qui, complique la mission des autorités étatiques sur la question de l’emploi.

Quand l’Europe exagère

Face à ces départs, la presse européenne a souvent utilisé le mot « envahissement » ou d’autres termes pour parler de l’émigration des jeunes africains. Ceci est loin de refléter une « réalité », disent les experts africains. Le sociologue Massamba Diouf, dans une enquête, révèle que seulement 13% des migrations africaines concernent l’Europe.

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La socio-anthropologue Sylvie Bedeloup, lors d’un séminaire organisé le 19 septembre 2017 par la Fondation Konrad Adenauer et le Centre des Hautes études  sur « Migrations, Défense et Sécurité » précisait de son côté que 80% des migrations africaines sont internes et concernent l’Afrique de l’Ouest en grande majorité.

DD/mn


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