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Mutilations génitales féminines : « Environ 91% des Maliennes » sont-elles « concernées » ? (Fact-checking)

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Ouestafnews – Une page Facebook dédiée à la lutte contre les inégalités de genre et pour les droits des femmes au Mali a affirmé qu’environ 91% des Maliennes étaient « concernées » par les mutilations génitales féminines. Qu’en est-il réellement ?

« Il n’y a toujours aucune loi interdisant les mutilations génitales féminines [MGF, ndlr], une pratique néfaste qui concerne pourtant environ 91% des femmes maliennes », peut-on lire dans un message posté le 29 mars 2021 sur cette page Facebook baptisée « La Femme en MOI ».

Le texte accompagne une vidéo d’une minute et treize secondes dans laquelle s’exprime une activiste du Conseil consultatif national des enfants et jeunes du Mali (CCNEJ-Mali), en campagne contre l’excision. La même vidéo, précédée du même texte, figure sur la page Facebook du CCNEJ. Elle a été réalisée en partenariat avec l’ONG Plan international, d’après le message.

D’où provient ce chiffre ?

Aucun détail n’a été fourni par « La Femme en MOI », créée en septembre 2018 et qui comptait à fin juillet près de 7.100 abonnés. Rien, notamment sur la source ayant communiqué ce taux, l’année de référence de ce chiffre ou encore la tranche d’âges concernée.

Ouestaf News a contacté l’administratrice de la page, Awa Mah Camara, via ses comptes Facebook et WhatsApp. Elle n’avait pas donné suite à ces messages jusqu’à la mise en ligne de cet article.

Le taux d’environ 91% ne figure pas non plus dans la vidéo, où l’activiste du CCNEJ-Mali déclare : « Comme vous le savez, l’excision reste profondément ancrée dans notre société malienne avec un taux de prévalence de 89% selon le rapport de l’Unicef en 2013. »

Capture d’écran de la page Facebook baptisée « La Femme en MOI »

Qu’est-ce qu’une mutilation génitale féminine ?

Dans une étude intitulée « Causes et conséquences de l’excision sur la vie des filles au Mali » réalisée le 31 janvier 2020 et publiée sur son site, Plan international, organisation spécialisée dans la protection des enfants, a défini les mutilations génitales féminines (MGF) comme étant « l’ablation totale ou partielle des organes génitaux féminins extérieurs » se pratiquant « généralement avant les 5 ans. »

Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) a également publié une fiche d’information sur les MGF, actualisée pour la dernière fois le 25 février 2019. « Les mutilations génitales féminines sont des interventions visant à modifier ou à endommager les parties génitales d’une femme ou d’une fille, sans raison médicale », et elles « constituent une violation des droits fondamentaux des filles et des femmes », peut-on lire dans cette fiche.

D’après des archives de 1998 d’un projet sur ces questions menées par les autorités maliennes et l’organisation internationale Population Council, agissant dans le domaine de la santé sexuelle, plusieurs expressions sont utilisées au Mali pour désigner ces pratiques : « prendre le pagne », « devenir femme » ou « s’asseoir sous le fer », selon une traduction littérale de la langue bambara, majoritairement parlée dans le pays. Ces mutilations sont aussi considérées comme un rite de passage et d’initiation de la fille, qui passe de « bilakoro » (personne non encore excisée) à « mousso » (femme).

Selon l’Unicef, plusieurs  facteurs expliquent la persistance de ce fléau. « De nombreuses communautés pratiquent les (MGF) parce qu’elles sont convaincues que celles-ci permettront aux filles de faire un bon mariage ou de préserver l’honneur de la famille ».

Ces pratiques « ont souvent des conséquences physiques et psychologiques à long terme » chez les filles et femmes qui les subissent, d’après l’agence onusienne. Elle cite « des complications médicales, telles que des douleurs intenses, des hémorragies prolongées, des infections ou l’infertilité », sans oublier des risques accrus de transmission du VIH-sida, des complications lors de l’accouchement ou des décès.

Quel est le taux d’excision au Mali ?

Dans ses recherches, Ouestaf News a rencontré le taux de 91% rapporté par « La Femme en MOI » dans deux rapports distincts, avec des années de référence différentes.

Des organisations en partenariat avec le gouvernement malien ont publié des rapports qui révèlent avec clarté les taux de prévalence sur les mutilations génitales féminines au Mali.

Par exemple, un rapport publié le 17 novembre 2016, réalisé avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à la suite de l’enquête démographique et de santé du Mali (EDSM-V 2012/2013). Ce document indique que les 91 % de femmes excisées ne concernent que les femmes âgées de 15 à 49 ans dans les cinq premières régions du Mali (Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti) et le district de Bamako.

Dans le même rapport, on indique que les filles de 0 à 14 ans excisées représentent 83% dans mêmes localités.

Dans son rapport réalisé en 2018 et publié en août 2019, l’Institut national de la statistique (INSTAT) indique également que 91% de taux de prévalence des MGF concerne les femmes âgées de 15 à 49 ans. Toutefois, le document précise que ce taux ne concerne que le district de Bamako.

Le même document ajoute que de larges majorités de femmes sont excisées comme à Kayes (ouest, 95%), Koulikoro (ouest, 96%) ou encore à Sikasso (sud) et Ségou (centre), respectivement 96% et 92%.

Avec un pourcentage de 50%, la région de Tombouctou (nord-ouest) enregistre une prévalence plus faible. Enfin, dans des régions comme Gao (nord-est, 1%) et Kidal (extrême nord-est, <1%), l’excision est une pratique marginale.

À quel taux se fier ?

Contactée par Ouestaf News via WhatsApp, Maïmouna Dioncounda Dembélé directrice pays du Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) au Mali, a précisé que le taux de 91 % de prévalence des MGF concernant les femmes âgées de 15 à 49 ans est un résultat de l’INSTAT. « C’est la seule source qu’on peut avoir en termes de référence de statistiques à travers l’étude démographique de santé du Mali », a ajouté Mme Dembélé, militante engagée pour l’autonomisation et la protection des femmes et des filles.

Selon elle, les rapports sur ces pratiques évoquent en général 91% ou 89%. « La vérité est que les MGF n’étant pas des pratiques que les populations dénoncent, les organisations de la société civile ne reçoivent pas de plaintes sur ces questions. Du coup, elles ne prennent pas en charge les statistiques sur la question et se réfèrent aux données révélées par le système des Nations unies ».

Quels chiffres de l’ONU ?

En 2020, l’Unicef a publié un « rapport inédit » sur l’excision dans le monde fondé, a-t-elle précisé, « sur des enquêtes nationales réalisées sur les vingt dernières années dans 29 pays d’Afrique et du Moyen-Orient, là où vivent plus de 90% des femmes et des fillettes excisées dans le monde ».

Le taux de prévalence de l’excision au Mali était de 89% pour les filles de la tranche d’âge de 15 à 19 ans, il y a 30 ans, et de 86% aujourd’hui, selon l’Unicef.

On peut y lire, que pour les filles de la tranche d’âges des 15-19 ans, le taux de prévalence de l’excision au Mali était de 89%, il y a 30 ans, et de 86% aujourd’hui. Sur la carte faisant le point pour le continent, on peut voir un taux élevé pour l’ouest et le sud du Mali, à plus de 80%, une fourchette à la baisse dans le centre (entre 50 et 80%) et des chiffres encore plus bas pour le nord-ouest (entre 26 et 50%) et encore plus pour le nord-est (moins de 10%).

La carte de l’Unicef fait état de taux de prévalences différents au Mali selon les régions.

Situation dans le monde ?

« Bien que la prévalence des MGF dans le monde ait diminué par rapport à il y a trois décennies, au moins 200 millions de filles et de femmes vivantes aujourd’hui ont subi des MGF dans les 31 pays pour lesquels des données sont disponibles, et 68 millions de filles sont menacées d’ici à 2030 », déclare l’Unicef dans son dernier rapport. « Rien qu’en 2020, plus de 4 millions de filles dans le monde risquent d’être excisées », précise-t-elle.

Taux valable pour une tranche d’âges précise

« La Femme en MOI », page Facebook malienne dédiée à la défense des droits des femmes, a posté, fin mars 2021, un message selon lequel « environ 91% » des Maliennes seraient « concernées » par les mutilations génitales féminines – sans indication de sources – en regrettant l’inexistence de loi pour l’interdire dans leur pays. Ce message accompagnait une vidéo dans laquelle est évoqué un chiffre différent : 89% de prévalence, selon un rapport publié par l’Unicef en 2013.

D’après différents rapports consultés par Ouestaf News et des acteurs de la lutte contre l’excision, la prévalence de 91% ne concerne pas l’ensemble des Maliennes, mais celles âgées de 15 à 49 ans. Et ce chiffre date d’il y a quelques années. C’est ce qu’a notamment souligné une militante des droits des filles et des femmes, Maïmouna Dioncounda Dembélé, également directrice du Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) au Mali.

Des rapports de l’agence statistique nationale INSTAT de 2018-2019 et un rapport mondial de l’Unicef publié en 2021 fournissent des pourcentages différents, selon les tranches d’âges et les régions.

AD-MN/fd/cs/ts

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