Mutilations génitales : l’excision a la peau dure dans le sud du Sénégal

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Ouestafnews – Vingt ans de lutte contre l’excision ont à peine entamé une pratique ancrée depuis des siècles. En clair, l’excision est encore une réalité qui traîne dans son sillage des conséquences graves pour des millions de femmes, notamment dans certaines localités du sud du Sénégal.

«Pour la première fois de ma vie, j’ai eu envie de tuer quelqu’un ». Ces propos pour le moins violents sont d’Alima Konaté, mère de famille à Bignona, une localité située dans le sud-ouest du Sénégal. Si elle a eu cette envie de commettre un crime, c’est parce que sa fille, Mariatou Dramé, alors âgée de quatre ans avait été excisée à son insu et a été victime de graves complications qui ont failli lui coûter la vie.

Même dans ses pires cauchemars, Alima Konaté n’a jamais pensé vivre une situation pareille. Elle raconte qu’un matin de 2009, en revenant du marché, elle remarque l’absence de sa fille. « Je ne me suis pas inquiétée outre mesure, parce que je croyais qu’elle était partie jouer chez les voisins», témoigne-t-elle.

Ne voyant pas la fillette revenir à l’heure du déjeuner, elle envoie son fils aîné la chercher. Alima raconte que son fils est revenu lui dire qu’Eli (surnom de Mariatou) est dans une chambre avec les autres petites filles de sa voisine et des femmes lui ont interdit l’accès à la pièce où se trouve sa sœur.

« J’ai aussitôt compris, j’ai couru pied nu chercher ma fille, mais c’était trop tard. Elles me l’ont volée pour l’exciser à mon insu », relate-t-elle, de l’amertume dans la voix. Et ce n’était que le début du calvaire pour cette mère de famille de quatre enfants qui avait toujours clamé haut et fort qu’elle était contre l’excision et que jamais elle n’allait laisser ses filles subir cette mutilation.

La société mandingue à laquelle elle appartient, comme pour lui faire payer sa rébellion, la met devant le fait accompli. Non seulement sa fille a été kidnappée et excisée, mais les responsables tentent de lui cacher que cette dernière est victime d’hémorragie, au risque de la laisser mourir.

Lorsqu’elle arrive enfin à voir sa fille, elle a cru que son monde aller s’écrouler. « Eli perdait du sang et on ne m’a rien dit », se souvient-t-elle. Et de poursuivre : « ma fille était toute pâle et faible. Je me souviens encore du matelas imbibé de son sang, de sa respiration faible lorsque je l’ai prise dans mes bras, alors qu’elle n’arrivait même pas à se tenir debout », témoigne-t-elle.

La loi de l’omerta

Paniquée, elle décide alors d’amener sa fille à l’hôpital. Et c’est là qu’elle se heurte à un mur. Ces mêmes personnes qui ont mutilé la petite fille,  lui demandent de ne pas amener la fille à l’hôpital, au risque d’avoir des problèmes.

«Autrement dit, elles se préoccupaient plus de leur liberté que de la vie de ma fille », analyse-t-elle. Mais, malgré sa détermination, la délégation réussit à la faire fléchir. Pour soigner Eli, elles ont eu recours à la médecine traditionnelle. « Heureusement, qu’elle a survécu », dit Alima Konaté.

Alors que se jouait cette histoire qui a failli tourner au drame, une personne a soigneusement été mise à l’écart : le père de l’enfant. « Jusqu’à présent, mon mari ignore tout ce qui s’est passé », assure-t-elle. Une histoire restée entre femmes, qui continue de hanter Alima Konaté et que l’a poussée depuis lors, à être encore plus vigilante envers la petite.

Pourquoi exciser ?

«Pour qu’elle soit acceptée par sa communauté », répond Oudé Nanko, jeune femme mariée et mère de trois enfants, dont la fille ainée Astou Sambou, 10 ans, a été excisée. Même si elle se dit contre cette pratique, elle a été obligée, selon elle, d’exciser sa fille. « Mon mari m’a dit qu’au cas contraire, elle ne sera jamais acceptée dans les cérémonies culturelles, et ne sera pas considérée dans la société. Je ne voulais pas de ça pour ma fille », justifie-t-elle.

C’est également, selon les communautés qui adhèrent à cette idéologie, un moyen de rendre une femme pure aux yeux de son mari, rapporte l’Ong Plan international, dans son bulletin paru en février 2017, sur les causes et conséquences de l’excision.

Une autre réponse démontre, quant à elle, l’aspect sournois de cette pratique. Notamment, le besoin des hommes de contrôler la sexualité des femmes. En effet, selon Jeanne Diaw, sexologue à l’Hôpital général de Grand-Yoff à Dakar, il y a des femmes qui subissent sexuellement les répercussions graves de l’excision.

Ce, « avec des cicatrices qui ne sont pas belles à voir et des douleurs inimaginables lors des rapports sexuels, car le canal où passe le pénis est réduit par l’excision », explique-t-elle.

Hausse du taux de prévalence

Depuis 20 ans que des Ong et différentes associations luttent contre les mutilations génitales, elles n’ont pas encore réussi à éradiquer le phénomène. Au contraire. Ce qui prouve qu’il est particulièrement difficile de venir à bout d’une croyance ancrée depuis des millénaires, au bout de quelques années d’activisme.

De 13% entre 2013 et 2014, le taux de prévalence est passé à 14,6% chez les filles âgées de moins de 14 ans, selon Andréa Wojnar Diagne, la représentante résidente du Fonds des nations unies pour la population (UNFPA). Une hausse, selon elle, qui vient saborder le progrès notable que l’organisation avait enregistré dans sa lutte contre l’excision.

Elle a indiqué que cette légère hausse a été notée, malgré le progrès remarquable obtenu entre 2013 et 2014. Le taux de prévalence nationale de l’excision chez les filles de moins de 14 était alors passé de 18 à 13%.

Le Vih entre autres conséquences

En dehors des complications qui ont failli coûter la vie à Mariatou Dramé, des difficultés à accoucher ou à concevoir pour certaines femmes, il y a également le spectre du Vih/Sida qui guette les personnes excisées.

M. B, 9 ans, est l’une de ces personnes. Comme Mariatou Dramé, elle aussi a été excisée, à l’insu de son père, avec cette fois-ci, la complicité de sa mère. L’excision est une réalité à Badiouré, (10 km de Bignona, sud-ouest du Sénégal), « même si beaucoup font semblant d’ignorer que c’est toujours pratiqué ici », explique Seydou Massaly, médecin-chef du village.

Selon lui, c’est durant la mutilation que la petite fille a contracté le virus. « Lorsque j’ai fait le test et que j’ai remarqué que les deux parents étaient séronégatifs, j’ai aussitôt soupçonné l’excision ». Et ses soupçons se sont révélés justes.

Pour l’instant la petite fille bénéficie de médicaments antirétroviraux. Ce qui lui donne des chances de vivre encore longtemps et de lui permettre de réaliser son rêve : « devenir enseignante », dit-elle, d’une voix fluette.

«En classe, elle ne laisse rien aux garçons, elle se bat», jubile sa mère, qui ignore tout de la véritable maladie de sa fille. Pour elle, celle-ci n’est atteinte que d’un abcès entêtant à l’épaule.

Si M.B bénéficie de médicaments lui permettant de contrôler son mal, ce n’est pas le cas de B.S, 17 ans. Celle-ci a aussi contracté le Vih, au moment de l’excision. Mais n’ayant pas encore obtenu la confirmation finale devant provenir de l’hôpital de Bignona, le médecin-chef, bien qu’étant persuadé de la maladie de l’adolescente, n’a pas le droit de lui fournir des antirétroviraux.

En attendant cette confirmation, la maladie gagne du terrain. «En l’espace d’une semaine, elle a développé des œdèmes, sur le corps», raconte Seydou Massaly.

DD/mn/ad

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