Ouestafnews- Créée en 2012, l’Ofnac avait pour mission de « promouvoir l’intégrité et la probité dans la gouvernance publique », selon les propos du président Macky Sall, tenus le 12 mai 2012, au cours d’une rencontre entre les inspecteurs généraux d’Etat et les membres du gouvernement.
« La lutte contre la corruption est une exigence éthique, avant d’être un impératif démocratique », avait-t-il également affirmé lors d’un autre discours, à l’occasion cette fois-ci de l’installation des membres de l’Ofnac.
La création de l’Office est une nécessité sociale, « c’est, surtout, une condition du développement», avait renchéri le président Sall en promettant de rompre avec l’injustice, pour promouvoir la compétence et l’intégrité, pour « faire triompher la vertu, la transparence et l’intérêt général ».
Ancien Premier ministre, Aminata Touré, dans une contribution au journal Le Monde Afrique parue le 30 juin 2016, saluait le chemin parcouru contre la corruption au Sénégal. Elle s’était réjouie que grâce, en partie, à la création de l’Ofnac, le Sénégal est classé 9è par la Fondation Mo Ibrahim, parmi les pays africains ayant connu une amélioration de leur gouvernance au cours des quatre dernières années.
« Et cela alors que, selon le rapport 2015 de la même Fondation, l’état de la corruption s’est aggravé en Afrique dans la même période », affirmait triomphalement Mme Touré. Mais il fallut très vite déchanter et faire face à une réalité moins glorieuse.
Premier couac : la déclaration de patrimoine
La loi n° 2014-17 du 02 avril 2014 relative à la « déclaration de patrimoine » sera là l’un des premiers obstacles à la bonne marche de l’Ofnac.
Les personnes concernées par cette loi, sont notamment le Président de l’Assemblée nationale, le Premier Ministre et tous les administrateurs de crédits ainsi que les ordonnateurs de recettes et de dépenses et les comptables publics effectuant des opérations portant sur un total annuel supérieur ou égal à un milliard de francs CFA. Certains d’entre eux ont catégoriquement refusé de s’acquitter de cette tâche.
Sur 742 déclarations attendues, l’Ofnac ne recevra que 385 déclarations. Soit environs 51% à la date du 31 décembre 2014, date limite fixée par le président Macky Sall lui-même.
Non content de refuser de se conformer à la loi, certains des assujettis ont menacé la présidente, révèle Mody Niang ancien porte-parole de l’Ofnac dans une interview accordée au quotidien privé sénégalais, Enquête en août 2016. Mais le véritable tournant dans la vie de l’Ofnac va intervenir à la sortie de son premier rapport publié en mai 2016 couvrant la période 2014-2015.
Ce rapport cite le directeur de la Poste, Siré Dia et celui du Coud (Centre des œuvres universitaires de Dakar), Cheikh Oumar Anne. Ils sont tous les deux responsables de l’Apr (Alliance pour la République, parti au pouvoir), et viennent d’être élus députés à l’Assemblée nationale à la suite des élections législatives du 30 juillet 2017.
Par ailleurs, selon le journal « Sud-quotidien » du 26 septembre 2016, c’est surtout l’annonce d’une enquête sur l’affaire « Petrotim » (dans laquelle le frère du président, M. Aliou Sall, est cité) qui va précipiter le départ de Mme Nafi Ngom Keïta, la première présidente de l’Ofnac, nommée au poste dès sa création.
Départ « illégal » et petites querelles
Sud-quotidien dans son édition du 26 juillet 2016, indique par ailleurs que le décret qui a permis de mettre fin aux fonctions de Mme Keïta est « illégal », enttendu que son mandat courait jusqu’en mars 2017. Puisqu’elle avait pris poste en mars 2014 pour un mandat de trois ans.
Jacques-Mariel Nzouankeu, Professeur de droit public à la retraite à l’Université de Dakar de Dakar, soutient la même thèse dans un entretien avec la TFM (chaîne de télévision privée).
Selon ce juriste, le mandat de trois ans qui est conféré à Mme Keïta et son équipe commence à partir de la date de prestation de serment, c’est-à-dire le 25 mars 2014, « et expire au troisième anniversaire de cette date, en mars 2017 ».
Le porte-parole du gouvernement Seydou Guèye soutient le contraire. Le départ de Mme Keïta n’a rien d’illégal, affirme-t-il en précisant qu’il faut bien distinguer la date de prise d’effet, le début du mandat et la date de prestation de serment
«…Entre-temps, madame Nafi Ngom Keïta a eu la qualité dès sa nomination de présidente de l’Ofnac et à ce titre, elle a posé des actes en recrutant du personnel, en occupant les locaux et en signant des documents », explique-t-il.
Nafi Ngom Keïta qui avait finalement fait appel auprès de la Chambre administrative de la Cour suprême, après son « limogeage » de la présidence de l’Ofnac, a perdu son bras de fer avec l’Etat. Dans sa décision du 13 juillet 2017, la Chambre, n’a pas jugé illégal le décret du Président Macky Sall.
Les couacs ci-dessus ainsi que la mise à la disposition tardive des ressources pour le fonctionnement de l’Office, n’ont permis à ce jour que la publication d’un seul rapport.
Un seul rapport diversement apprécié
De ce rapport on retiendra surtout les malversations notées au service de La Poste et du Coud. Le document avait aussi relevé des cas de mauvaises pratiques dans d’autres secteurs : santé, éducation, collectivités locales. Mais aucun nom n’avait été cité.
Me Sidiki Kaba, l’actuel ministre de la Justice, quant à lui, refuse de se prononcer sur le rapport qu’il n’a « pas lu » (sic) parce que n’étant « pas destinataire » (re-sic). Me El-Hadj Oumar Youm, le ministre directeur de cabinet du Président de la République, prenant la défense de Cheikh Oumar Anne, le Directeur du Coud cité dans le rapport, fustige le fait que l’Ofnac n’ait pas respecté l’obligation de réserve de ses agents.
Retour à la case départ
La levée de boucliers contre les personnes incriminées dans le rapport, mais surtout le remplacement de Nafi Ngom Keïta par Seynabou Ndiaye Diakhaté tout juste deux mois après la publication du premier rapport, est un changement qui est synonyme de retour en arrière selon Mouhamadou Mbodj, coordonnateur du Forum Civil, qui s’exprimait sur les ondes de la radio Sud-Fm, le 5 février 2017. Il voit en ces manœuvres, un message d’encouragement à l’endroit de tous ceux ou celles qui ont commis des crimes financiers.
Aucun suivi
Bien que le rapport de l’Ofnac ait recommandé que Cheikh Oumar Anne, soit relevé de ses fonctions, de ne plus lui confier la responsabilité de diriger un organisme public et de transférer son dossier aux autorités judiciaires pour l’ouverture de poursuites, il n’y a eu pour le moment aucune poursuite contre lui. Cheikh Oumar Anne continue, au moment de la publication de cet article, d’occuper le poste de Directeur du Coud.
Il y va de même pour Siré Dia qui reste le Directeur de La Poste, alors que le rapport lui reproche d’avoir occasionné, au détriment de l’entreprise, un préjudice financier à hauteur de 80 milliards FCFA, sous forme d’arriérés de paiement dus au trésor public.
Réelle volonté de changement ?
Le pouvoir élu en 2012 veut-il vraiment changer les choses en matière de gouvernance ? La réponse est « non », selon Mody Niang, ancien porte-parole de l’Ofnac. Il va même plus loin en accusant, dans une interview accordée au quotidien Enquête le 1er aout 2016, le président de la République de n’avoir été pas « sincère » jusqu’au bout.
« Il a mis en place l’Ofnac à pas de caméléon, moins par conviction que pour être en accord avec certaines fortes recommandations des organisations sous régionales ou internationales », soutient M. Niang.
Nos multiples tentatives pour avoir le point de vue et des clarifications de l’actuelle direction de l’Ofnac et du gouvernement sur toutes ces questions sont restées sans suite.
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