Ouestafnews – Etablis au Bénin depuis plus de deux décennies suite à des soulèvements dans leur pays d’origine, le Nigeria, les Ogonis vivent cloîtrés dans des camps de fortune à Ouidah, cité historique du sud du Bénin. Certains, sans aucune pièce d’identité, luttent au quotidien, dans des conditions de vie précaires, exposés à toutes sortes d’intempéries, de maladies et à la mort.
Commune de Ouidah, sur la côte béninoise, à une quarantaine de kilomètres de Cotonou, la capitale économique. L’après-midi tire à sa fin quand Dumka, la cinquantaine nous reçoit à Lèbou, un quartier du deuxième arrondissement de la cité historique. Habillé d’un survêtement défraîchi, le visage légèrement envahi par une barbe de trois jours, l’homme se dirige vers un petit portail qu’il ouvre, faisant découvrir une dizaine d’abris réalisés avec du carton et des planches usagées, et recouverts de plastique et de vieux lambeaux de bâches. Clôturé, l’endroit abrite des Ogonis.
Les Ogonis sont un groupe minoritaire originaire de l’État de Rivers, région pétrolifère du Sud du Nigeria appelé Ogoniland. La destruction de l’environnement causée par les activités des compagnies pétrolières depuis la fin des années 50, ainsi qu’un manque de partage des richesses de l’or noir les ont poussés à des révoltes. Celles-ci ont été violemment réprimées et la région, le Ogoniland, a été militarisé.
En 1995 Ken Saro-Wiwa, le leader du Mouvement pour la survie du peuple ogoni (Mosop), un groupe d’activistes, est exécuté avec huit de ses compagnons par la junte militaire alors au pouvoir.
Fuyant les exactions, les Ogonis se sont réfugiés au Bénin voisin où l’Etat les a installés sur le site d’accueil de Kpomassè, une commune du sud-ouest du pays. Ils y sont restés jusqu’à sa fermeture en 2012 avant d’être répartis par groupes. Certains ont préféré s’installer à Ouidah où ils vivent dans des conditions difficiles. A Lèbou, elles sont huit familles à cohabiter sous la responsabilité de M. Dumka.
Le silence est lourd à l’intérieur du sombre et minuscule abri où ce dernier et quatre de ses compatriotes, dont deux femmes, reçoivent le reporter d’Ouestaf News. La mort vient d’arracher l’un des leurs, plongeant la communauté dans le désarroi. L’une des femmes, la quarantaine, teint noir, disparaît et revient quelques instants après avec deux photos qu’elle brandit. Sur la première, un jeune homme de grande taille, la vingtaine, sourit. Sur la seconde, on distingue un vieillard affaibli, le regard hagard, la peau sur les os. Il s’agit de la même personne, assure la dame, en sortant d’une des poches de son blouson un téléphone portable. Elle fait alors défiler des photos de l’intéressé dont on se rend compte de la décrépitude progressive.
Il s’appelait Patrick. Arrivé au Bénin en 2000 avec des centaines d’autres Ogonis, Patrick est décédé à 44 ans des suites d’une infection qui lui a rongé un pied. « Hé oui, c’est bien lui. C’est mon frère. Il est mort (…) et nous ne savons pas comment faire pour l’enterrer », assure la quadragénaire.
Face à la stupéfaction que suscite la situation, Dumka intervient : « la moindre démarche administrative nécessite des papiers. Nous n’avons aucun papier d’identité. Nous avons fui notre pays dans la précipitation, laissant tout derrière nous ».
En plus des problèmes administratifs, la communauté est incapable d’acheter une tombe. « A Ouidah, le prix minimum pour un sépulcre est de 200.000 FCFA. Nous n’avons pas une telle somme », avance Dumka dont l’espoir résidait dans les promesses du chef du quartier. « Il a dit qu’il informera son conseil et nous espérons une réponse favorable afin d’enterrer notre frère au plus vite », déclarait la sœur du défunt lors du passage du reporter d’Ouestaf news dans la localité.
Parmi les pièces à fournir pour une inhumation au Bénin figure la photocopie de la carte d’identité du déclarant. Personne ne disposant d’une telle pièce dans la communauté, les formalités administratives pour l’enterrement de Patrick étaient au point mort 72 heures après son décès pendant que sa dépouille gisait à même le sol dans l’abri où il a rendu son dernier souffle.
Cohabiter avec la mort
Les larmes aux yeux, Dumka et les siens racontent les problèmes auxquels ils sont confrontés depuis leur fuite du Nigeria. « Nous souffrons le martyre. Jusqu’à un passé récent, nos femmes accouchaient à la maison et certaines, malheureusement ont perdu la vie », avance Eric Amanyie. Il ajoute qu’en 2021, un autre camp de réfugiés a été ravagé par un incendie et depuis, les sinistrés dorment à la belle étoile, livrés aux maladies, aux intempéries et à l’insécurité.
A leur arrivée au Bénin, il y a plus de deux décennies, les Ogonis ont pu bénéficier de la protection et de l’assistance des autorités béninoises, avec l’appui technique et financier du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), explique Mélanie Yèkpè, Chargée de la protection à la Commission nationale chargée des réfugiés (CNR).
En 2012, lors de la 63è session du Comité exécutif du HCR, le Bénin s’est engagé à trouver une solution définitive et durable aux réfugiés de longue durée vivant sur son sol, conformément à la Convention de Genève qui prévoit le retrait du statut de réfugié lorsqu’on estime que les circonstances qui ont permis la reconnaissance dudit statut ont cessé d’exister. « En plus des Ogonis, étaient concernés les réfugiés du Togo, du Congo (Brazzaville), de la République démocratique du Congo et du Tchad. Tout a été fait en collaboration avec le HCR et nous avons mis en place les solutions durables», explique Mélanie Yèkpè.
Mises en œuvre à partir de 2013, lesdites solutions sont au nombre de trois. Le rapatriement volontaire, l’intégration locale et la réinstallation dans un pays tiers autre que le pays d’origine et le pays d’accueil du réfugié.
« On a procédé au recensement de ceux qui voulaient participer à ce programme, mais les Ogonis ont refusé », regrette Mélanie Yekpè. Peu de familles finiront par accepter le rapatriement volontaire, selon la chargée de protection à la CNR. « Nous les avons accompagnées jusqu’à la frontière et le HCR du Nigéria les a récupérées », explique la chargée de protection à la CNR.
En 2013, pour l’intégration locale, le gouvernement béninois proposait d’offrir gracieusement aux réfugiés de longue durée, la carte de résident privilégié valable dix ans, voire la naturalisation, avec un appui financier du HCR. C’était pour faciliter leur intégration, selon les autorités de l’époque. Mais, regrette la responsable de la CNR, « ils ont refusé. Tout comme certains réfugiés togolais, ils voulaient être réinstallés aux Etats-Unis, en Suède ou en Australie, or la réinstallation obéit à des critères précis ».
Les Ogonis rencontrés et interrogés dans les camps de Lèbou et Gomey par Ouestaf News nieront avoir exigé la réinstallation dans des pays du Nord.
A la clôture du programme en janvier 2014, les Ogonis perdent officiellement leur statut de réfugiés. Ils végètent depuis dans des camps de fortune érigés çà et là.
De réfugiés à apatrides
Situé au cœur de la ville de Ouidah, le camp de Gomey est constitué d’une multitude d’abris précaires collés les uns aux autres. Plus de cent personnes y vivent dans la promiscuité, se partageant un seul puits et l’unique latrine en mauvais état.
Pour survivre, les femmes se sont mises à diverses activités comme la recherche et la vente de mollusques, la production du gari, une sorte farine granuleuse obtenue à partir du manioc, etc. Les hommes se débrouillent. « Je sers parfois comme aide-maçon sur des chantiers. Les gens m’exploitent mais je n’ai pas le choix. Je ne peux pas envoyer tous mes enfants à l’école », se plaint Bebari Bright, un quadragénaire du camp de Gomey qui déclare avoir fui le Nigeria alors qu’il était sur le point d’entrer à l’université.
Près de dix ans après la perte de leur statut de réfugié, les Ogonis ne veulent pas s’y résoudre. « Nous avons droit au statut de réfugiés parce que notre vie est en danger au Nigeria. Nous voulons être protégés », plaide le responsable du camp de Gomey.
Même si la CNR protège des personnes nourrissant des craintes de persécution dans leur pays, le plaidoyer des Ogonis n’a pas de chance d’aboutir à en croire Mélanie Yekpè : « Le processus est clos depuis et je ne pense pas qu’on puisse revenir là-dessus ».
En 2017, les Ogonis de Gomey ont finalement accepté de se faire enrôler lors du recensement administratif initié par le gouvernement béninois. Le responsable du camp affirme qu’ils ont tous été recensés et que chacun détient son certificat d’identification personnelle de résident d’une validité de deux ans. « C’est un pas mais cela ne nous suffit pas parce que nous sommes très limités dans nos déplacements. Nous ne pouvons pas voyager », regrette-t-il.
Les enfants Ogonis nés sur le territoire béninois ont aussi pu obtenir des papiers, explique un cadre du service à la population de la mairie d’Ouidah. « Nous les avons aidés à constituer les dossiers, à passer devant le juge, etc. Aujourd’hui, ces enfants ont des actes de naissance », se réjouit ce cadre qui reconnaît que « ça n’a pas été facile ».
Dieudonné Dagbéto, le directeur exécutif d’Amnesty international Bénin voit dans ces avancées, « le premier pas avant de réclamer un document d’identité ». Il ne comprend cependant pas l’opposition des Ogonis de Lèbou au recensement. « Ça nous a surpris. Il y a eu des sensibilisations pour qu’ils se fassent enrôler. Beaucoup ont dit qu’ils ne voulaient pas. Ils ont été catégoriques », regrette-t-il. Sans toutefois le prouver, Éric Amanyie du camp de Lèbou remet en cause l’authenticité des papiers délivrés lors du recensement.
Pour Bebari Bright comme pour tous les Ogonis de Ouidah, le retour au Nigeria n’est pas envisageable. Selon lui, l’Etat de Rivers n’est pas pacifié comme veulent le faire croire les autorités de son pays. « Nous allons nous faire tuer si nous rentrons», assure-t-il.
Dumka insiste sur le sentiment d’impuissance qui a fini par gagner sa communauté : « nous sommes au Bénin parce que nous sommes en quête de protection. Nous ne pouvons pas rentrer au Nigeria parce que notre protection n’y est pas garantie. Nous avons peur d’être assassinés ».
En 2020, à l’occasion de la célébration des vingt-cinq ans de l’exécution de Ken Saro-Wiwa et ses compagnons, Célestine Akpobari, écologiste dans le delta du Niger a avancé à Deutsche Welle (radio publique allemande) que plus de 2.000 personnes ont été tuées au plus fort des manifestations ogoni. Selon cet écologiste, rien n’a beaucoup changé en un quart de siècle.
« Coincé » au Bénin, Bebari Bright a désormais oublié ses rêves d’études supérieures. Avec son certificat de résident, il espère mieux que d’être exploité « comme manœuvre pour des miettes » alors qu’il doit s’occuper de ses enfants. Au nombre de quatre, ces enfants n’ont, depuis leur naissance, connu d’autre univers que la précarité du camp de Gomey.
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