Ouestafnews – Un fonds d’investissement américain est au cœur d’un scandale en Guinée. Selon une enquête de la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF), Orion Resource Partners et ses filiales Alufer Mining et Bel Air Mining sont impliqués dans des faits de corruption, de fraude fiscale et de pollution. Témoignages et documents révèlent des pratiques douteuses qui contournent la réglementation locale, au détriment des populations et de l’environnement.
Des révélations publiées par la PPLAAF font état d’une « gestion répréhensible » des activités minières de sociétés contrôlées par le fonds d’investissement américain Orion Resource Partners en Guinée. Selon l’enquête de la PPLAAF, publiée le 5 février 2025 et lue par Ouestaf News, le groupe, via ses filiales Alufer Mining Limited et Bel Air Mining, fait l’objet de « soupçons de corruption, fraude, et atteinte désastreuse à l’environnement ».
Les témoignages recueillis par la plateforme, notamment ceux d’un lanceur d’alerte guinéen nommé « Alpha », décrivent une situation où les réglementations locales sont contournées au détriment des populations, de l’Etat guinéen et de l’environnement.
D’après l’informateur de la PPLAAF, l’arrivée du fonds d’investissement américain en Guinée a entraîné des « abus », allant de la fraude fiscale à la corruption de responsables locaux. En 2022, Orion Resource Partners, enregistré dans l’Etat américain du Delaware, a pris le contrôle d’Alufer Mining Limited et de sa filiale guinéenne, Bel Air Mining (BAM). Ces sociétés exploitent une mine de bauxite à Boffa, dans la région de Boké, une zone riche en ressources naturelles.
Membre du Conseil d’administration d’Alufer/BAM, Jeff Couch, principal mis en cause dans ces accusations, est présenté comme étant un ancien banquier d’affaires, connu pour « ses méthodes musclées ». Il dirige plusieurs sociétés minières, dont certaines liées à des scandales de corruption, notamment en Guinée et en Roumanie, selon la PPLAAF.
L’enquête sur le cas de la Guinée rapporte, avec documents et témoignages à l’appui, de multiples incidents reprochés au fonds d’investissement. Parmi ces incidents, l’enquête note un versement de 10.000 dollars (plus de 6 millions de Francs CFA) à un fonctionnaire pour lever des blocages administratifs après les suspensions de la production pendant la pandémie de Covid-19. Le même document précise que ce versement, effectué en janvier 2023, a été autorisé par Jeff Couch.
L’enquête révèle un autre abus du groupe américain : en février de la même année, les douanes guinéennes ont constaté que la valeur d’un navire importé par la société avait été sous-évaluée de quatre fois, réduisant ainsi les taxes à payer. Une régularisation partielle a été effectuée via un agent de transit, mais « le montant payé ne correspond toujours pas à ce qui aurait dû être payé dans les caisses de l’Etat si la valeur réelle du bateau avait été déclarée », selon Alpha.
Les opérations minières d’Alufer/BAM ont également entraîné de lourds dommages environnementaux. En juin 2023, une barge de la société, « endommagée », a déversé 7.500 tonnes de bauxite et du fioul dans le golfe de Guinée. Cet incident n’a pas été déclaré dans les délais aux autorités et a provoqué des dégâts environnementaux. Un rapport interne de Bel Air Mining, repris par l’enquête de la PPLAAF, met en cause une maintenance déficiente, signalée à maintes reprises par des employés, mais ignorée par la direction.
Pour éviter des sanctions, Jeff Couch et le directeur pays du Wansa Group (un sous-traitant d’Alufer/BAM), Karim El Ghawi, ont tenté d’entraver l’enquête diligentée par le gouvernement et de corrompre des agents du ministère des Mines. Malgré ces manœuvres, la société a été condamnée à payer une amende de 60,2 milliards de francs guinéens (plus de 4 milliards de francs CFA), et M. El Ghawi a été interpellé par la gendarmerie.
Au-delà des problèmes fiscaux et environnementaux, l’enquête de la PPLAAF met en lumière un non-respect des engagements pris envers les populations locales. Alufer/BAM avait promis d’investir dans des projets communautaires, mais aucune initiative significative n’a vu le jour, selon la PPLAAF. Les habitants de Boffa, déjà en situation de précarité, subissent les conséquences de l’exploitation de la bauxite : expropriations, destruction des terres agricoles et dégradation de leur santé due à la pollution, selon la même source.
Contactées par la PPLAAF, les entreprises Alufer et Orion ont rejetté les accusations, affirmant qu’une enquête indépendante menée en 2023 par le cabinet JS Held n’a révélé aucun acte répréhensible. Ils assurent respecter les normes de gouvernance les plus strictes et appliquer des politiques rigoureuses contre la corruption.
Les pratiques dénoncées dans cette enquête soulèvent de sérieuses interrogations sur la gouvernance du secteur minier en Guinée qui contribue à hauteur de 12 à 15 % du Produit intérieur brut, selon le portail gouvernemental guinéen « Investir en Guinée », consulté par Ouestaf News.
Selon le directeur exécutif de la PPLAAF, Henri Thulliez, ces pratiques « révèlent un schéma où certaines entreprises étrangères, exploitant les ressources naturelles de pays comme la Guinée, se placent au-dessus des lois ». Elles renforcent « l’impunité et aggravent la vulnérabilité des communautés locales », déclare-t-il dans l’enquête.
Jimmy Kande, directeur Afrique de l’Ouest et francophone de la PPLAAF, quant à lui, appelle l’État guinéen à « renforcer le Code minier et instaurer une gestion transparente des ressources naturelles pour un développement durable et respectueux des droits des populations locales et de l’environnement ».
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