Ouestafnews – Une grande partie du patrimoine africain se trouve hors du continent et prive ce dernier d’accéder à des éléments essentiels de sa culture. En novembre 2018, un rapport préconisait sa « restitution ». Le sujet suscite toujours beaucoup de débat.
Dans l’enceinte du Centre socioculturel Boubacar Joseph Ndiaye dans l’lle de Gorée (Sénégal), le danseur chorégraphe congolais, Faustin Linyekula reconstitue l’histoire de son voyage vers le village de son grand-père. Ceci, suite à la découverte dans un musée de New York (Etats-Unis), d’une sculpture étiquetée « le peuple lingala », celui de son arrière grand-mère.
A travers ce voyage, le chorégraphe se demande si les gens ont encore souvenance de cette œuvre, s’il leur rappelait quelque chose et si c’était important pour eux. « J’ai découvert » que c’était le cas, indique à Ouestaf News, Faustin Linyekula.
Ceci démontre tout « le sens que nous donnons à la restitution », souligne à Ouestaf News le professeur d’histoire de l’art moderne à l’Institut d’études artistiques et d’études urbaines historiques de la Technische Universität à Berlin (Allemagne), Bénédicte Savoy. Il s’agit, selon elle, de rétablir une « justice patrimoniale ».
M. Linyekula et Pr Savoy ont tous pris part à une rencontre organisée à Dakar par l’Open Society Initiative for West Africa (Osiwa) le 24 mai 2022 sur le thème : « Restitution du patrimoine africain : la nouvelle vague et son importance au sein des communautés », dans le cadre du colloque scientifique de la 14e édition de la Biennale de Dakar.
En novembre 2018, un rapport intitulé : « La restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle » produit par le professeur d’économie à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal), Felwine Sarr et Pr Bénédicte Savoy, a été remis au président français Emmanuel Macron. Ce document préconisait la restitution d’une grande partie des œuvres d’art et objets d’origine africaine exposés ou entreposés dans les musées en France.
Ce processus, s’il est enclenché et réussi, va permettre aux pays africains de retrouver « la mémoire de leur histoire, de mieux développer leur politique culturelle et de rétablir les politiques muséales », explique à Ouestaf News le directeur artistique de la Biennale de Dakar 2022, Dr El Hadji Malick Ndiaye, en marge du colloque scientifique.
Selon Dr Ndiaye, la restitution des œuvres d’art africaines vise à « redévelopper un engouement pour le patrimoine » en vue de mieux gérer le processus de transmission de celui-ci.
En novembre 2019, le gouvernement français avait restitué le sabre et le fourreau attribués au marabout et résistant sénégalais du 19e siècle, El Hadji Omar Tall, qui étaient jusque-là exposés au musée des Invalides de Paris (France).
La France avait également restitué en novembre 2021, 26 œuvres d’art des trésors royaux d’Abomey (Bénin), pillées par les troupes coloniales françaises à la fin du XIXe siècle. Plusieurs de ces œuvres d’art viennent de l’ancien royaume d’Abomey, conquis et pillé par les troupes du général français, Alfred Dodds en 1892.
Ce « pillage » était souvent fait « dans des conditions très violentes, très difficiles », souligne le conseiller spécial Ibrahima Kane de l’Osiwa, tout en indiquant qu’il doit y avoir « une reconnaissance de la part de ceux qui ont perpétré ces actes ». Dans ce processus de restitution, M. Kane pense, qu’il ne doit pas s’agir de parler que d’œuvres d’art mais de « connaissance » de celles-ci et des conditions dans lesquelles elles ont été « volées ».
Il s’agit également de rétablir une forme de « justice sociale », souligne le professeur d’histoire à l’Université du Cap (Afrique du Sud) et directeur du programme africain d’étude muséale et patrimoniale, Ciraaj Rassool, lors d’une table ronde, toujours dans la cadre des activités de la biennale de Dakar 2022.
Pour le professeur Rassool, la question n’est pas de retourner vers le passé mais « de l’interroger » et de « s’interroger sur l’avenir du continent ».
Restitution contre circulation
Face aux revendications africaines, certains Européens font de la résistance pour ne pas rendre à l’Afrique son patrimoine. La meilleure réponse à la réappropriation par les Africains de leur patrimoine n’est pas « une restitution importante » comme le préconise le rapport Sarr-Savoy, défend vigoureusement Stéphane Martin, président du Musée du Quai Branly-Jacque Chirac à Paris (France). Lui, préconise plutôt un soutien à de nouveaux musées et une large « circulation » des œuvres d’art.
Le rapport met « beaucoup les musées sur la touche au profil des spécialistes de la réparation mémorielle », soutenait-il, cité par l’Agence France Presse en novembre 2018. Et pour cause, il administre un musée qui rassemble 70.000 œuvres d’africain sur environ 90.000 œuvres présentes dans des collections publiques françaises, selon Stéphane Martin.
Mais en Afrique, ces arguments passent mal. La question de la « circulation » est évoquée pour éviter de parler de la question « des provenances » des œuvres d’art, de l’histoire coloniale, d’après le Pr Felwine Sarr, président du Colloque scientifique de la Biennale de Dakar et coauteur du rapport sur la restitution d’œuvres d’art africain.

Pour qu’il ait circulation, explique l’universitaire sénégalais, il faut que les deux axes de la circulation détiennent les choses à faire circuler. « Lorsqu’elle est dans un seul sens, il n’y a pas de circulation ».
Le Pr Savoy, lui s’intéresse à la nuance qu’il y a entre les vocables « circulation » et « restitution ». Pour lui, la restitution est « une capsule du temps de l’histoire », c’est-à-dire qu’il y a un temps d’avant et d’après. Alors que la circulation, se fait « seulement dans l’espace mais pas dans le temps ».
Le 18 décembre 2020, le gouvernement français précisait à travers un communiqué qu’il ne s’agit pas « de restituer l’ensemble des œuvres africaines présentes dans les collections publiques et privées (…) » dans les musées français.
Les actes de restitutions, selon le document, doivent s’inscrire à la fois dans un processus rigoureux « permettant toutes les formes de circulation des œuvres : expositions, échanges, prêts, dépôts, coopération, etc. ».
A cela, Felwin Sarr répond que la « restitution est un préalable pour la circulation » des œuvres d’art.
Le chorégraphe congolais, Faustin Linyekula, va plus loin estimant qu’il faut dépasser la restitution pour aller vers une « réappropriation » du patrimoine africain. Aller « au contact des objets » d’art pour se « réapproprier le monde des connaissances qui ont été inscrits dans ces objets » précise-t-il.
L’artiste rwandais Dorcy Rugamba qui a matérialisé cette réappropriation du passé africain à travers son exposition « Les Restes suprêmes » est convaincu que le « contact avec les objets d’art » permettra de renouer avec « l’esprit d’antan » c’est-à-dire « vivre en communauté et dans une belle harmonie ».
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