Ouestafnews – A un an de l’élection présidentielle au Sénégal, prévue le 25 février 2024, la situation est tendue dans le pays. Plusieurs hommes politiques ont annoncé leur candidature. Le président sénégalais Macky Sall n’a toujours pas dévoilé ses intentions. En attendant le climat politique reste pollué par une sordide affaire de mœurs.
Et si Mbacké (au centre du Sénégal) a été le vrai point de départ de la précampagne électorale pour l’élection présidentielle sénégalaise du 25 février 2024 ? Le 10 février 2023, des heurts, pillages et affrontements entre manifestants et policiers ont été enregistrés dans cette ville adossée à la cité religieuse de Touba.
Suite à l’interdiction de leur « rassemblement pacifique », des militants et sympathisants du parti Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) de l’opposant Ousmane Sonko ont défié, jusque dans la soirée, les forces de l’ordre. Des commerces et des biens publics ont été saccagés, plusieurs personnes arrêtées, et envoyées en prison pour la plupart d’entre eux.
Le 16 février 2023, des nouvelles manifestations ont éclaté à Dakar après le renvoi au 16 mars d’un procès en diffamation opposant Ousmane Sonko à l’actuel ministre du Tourisme et des Loisirs, Mame Mbaye Niang.
Mais le grand sujet qui pollue l’atmosphère de la pré-campagne, c’est bien le procès devant trancher entre Ousmane Sonko et la jeune dame Adji Sarr. Cette dernière, employée d’un salon de massage dakarois, accuse l’opposant de l’avoir violée. Sonko et ses partisans crient au « complot ».
L’affaire tient le pays en haleine depuis bientôt deux ans, et elle est loin de son épilogue.
Depuis l’éclatement de cette affaire, le Sénégal vit sous tension. L’interpellation de l’opposant avait conduit à des troubles en mars 2021. Quatorze personnes avaient trouvé la mort dans ces évènements qui ont failli faire vaciller le pouvoir du président Macky Sall.
L’affaire traine toujours dans les tribunaux. Ousmane Sonko est désormais inculpé pour viol. Il attend son procès devant une chambre criminelle, à la demande du juge d’instruction chargé du dossier.
« Le Sénégal est dans une situation préoccupante, émaillée d’incertitudes avec des risques assez graves dont on ignore l’issue pour le moment », s’alarme Elimane Haby Kane, président du Think Tank Legs Africa, dans un entretien téléphonique avec Ouestaf News.
Selon Elimane Kane, au-delà du contexte politique très polarisé, d’autres facteurs d’ordre socio-économique, en particulier la pandémie de Covid-19 et les conséquences locales de la crise russo-ukrainienne, alimentent « une boule de feu qui peut éclater à tout moment ».
Selon les analystes, une étincelle pourrait déclencher ce feu : le risque encouru par le principal opposant au pouvoir de voir sa candidature invalidée par une décision de justice au terme de ses deux procès.
L’article L.29 du code électoral de la loi n°2021-35 du 23 juillet 2021 prévoit que les Sénégalais condamnés à une peine d’emprisonnement « supérieure à trois mois » ferme, ou à une peine d’une « durée supérieure à six mois avec sursis » pour divers délits, sont inéligibles à une candidature à l’élection présidentielle.
Toutefois, le juge peut déclarer que la personne condamnée n’a pas perdu « ses droits civiques et politique », précise l’enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Iba Barry Camara. Dans ce cas de figure, même condamnée, la personne reste « éligible ».
En plus de l’affaire Adji Sarr, Ousmane Sonko doit également faire face à la justice dans le cadre d’une autre affaire qui l’oppose au ministre Mame Mbaye Niang. Ce dernier s’estime diffamé par les propos de l’opposant tenus en public l’accusant d’avoir été épinglé dans une affaire de malversation financière par des corps de contrôle de l’Etat. Le plaignant demande à l’opposant de produire ses preuves. Ce dernier et ses avocats ont demandé le renvoi.
Dans ce dernier dossier, s’ajoutent aux accusations de « diffamation » contre Ousmane Sonko, des accusations de « faux et usage de faux dans un document administratif », « d’injure », selon le quotidien Libération. Le pays entier attend l’issue du procès avec anxiété, comme il attend l’issue du procès Sonko -Adji Sarr. Son verdict, quel qu’il soit, aura un impact sur la prochaine présidentielle.
Candidatures incertaines
A un an du scrutin, ce n’est pas que la candidature de Sonko qui reste dans le flou. Les autres ténors de l’espace politique sont aussi dans la même, incertitude.
Les opposants Khalifa Sall et Karim Wade qui comme Ousmane Sonko ont tous affiché leurs ambitions pour février 2024, mais n’ont la certitude de prendre part à ce scrutin majeur.
En mars 2018, l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, condamné à cinq ans de prison ferme pour divers délits dont « escroquerie aux deniers publics » a été a privé de participer à l’élection présidentielle de 2019. Un sort identique a été réservé à Karim Wade du parti démocratique sénégalais (PDS), après sa condamnation pour « enrichissement illicite » dans le dossier dit de la traque des biens mal acquis.
A côté de ces trois opposants, d’autres personnalités politiques ont également annoncé leur candidature à la course à l’élection présidentielle 2024, notamment l’ancienne Première ministre du président Macky Sall, Aminata Touré, Malick Gakou, le leader du Grand parti, Bougane Guèye Dani, le président de « Gueum sa bopp » (Confiance en soi), Dr Abdourahmane Diouf, président du parti « Awalé », l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur sous le président Sall, Pr Mary Teuw Niane, et Cheikh Hadjibou Soumaré, ancien premier ministre sous Abdoulaye Wade.
D’autres encore sont à l’affût, attendant le bon moment pour dévoiler leur jeu. Le président sortant Macky Sall est dans le lot, même si ses partisans le poussent à se présenter alors que ses adversaires disent qu’il est à son « dernier mandat » et ne peut aucunement se présenter.
La Constitution sénégalaise révisée en mars 2016 dispose en son article 27 que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Le président Macky Sall a été élu 2012 pour un mandat de sept ans et réélu en 2019 pour un mandat de cinq ans.
Une révision constitutionnelle de 2016 qui a ramené la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans lui offre la possibilité de briguer un autre quinquennat, selon l’ancien professeur à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Ucad, Jacques Mariel Nzouankeu.
Mais pour d’autres spécialistes du droit constitutionnel comme Ngouda Mboup (proche de Pastef) et Ababacar Guèye, la limitation des mandats à deux était déjà en vigueur lors de l’élection de 2019. Cette même disposition s’applique au président actuel, soulignent-ils.
Le dernier mot pourrait revenir au Conseil constitutionnel.
Dans cette ambiance où les acteurs politiques se regardent en chiens de faïence, soupçonneux les uns contre les autres, des organisations de la société civile tentent de modérer les débats.
En octobre 2022, diverses organisations ont ainsi décidé de mettre en place un large mouvement dénommé « Jamma Gën Troisième mandat » (NDLR : la paix vaut mieux qu’un 3e mandat).
En face, les démembrements politiques de la coalition au pouvoir appellent le chef de l’Etat à être candidat à travers diverses manifestations plus ou moins spontanées.
« Si le président Macky Sall confirme cette tendance de ces partisans et déclare sa candidature, forcément, il y aura une résistance », avertit Elimane Kane qui se souvient des violentes manifestations contre la candidature d’Abdoulaye Wade en 2011, avec une dizaine de personnes tuées.
« Nous Sénégalais et Africains, interpellons ensemble le président du Sénégal (…) de bien vouloir agir pour apaiser et appeler au dialogue pour éviter au Sénégal un scénario catastrophe et disruptif pour la région », avait lancé le président de AfriKa Jom Center, Alioune Tine, début février 2023 après le lancement du mouvement « Jamma Gën 3e mandat ».
Au-delà de la question du 3e mandat du président sortant, d’autres questions cruciales restent en suspens. Celle du parrainage imposé par Macky Sall depuis 2019 mais condamné par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui a ordonné son retrait. En vain.
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