« C’est avec beaucoup de regret, beaucoup de douleur, que je constate ce désastre » ; « nous vivons un drame » ; « on ne peut pas enseigner le Coran dans ces conditions »…. Telles sont, entre autres, les réactions des autorités sénégalaises, suite à l’incendie qui s’est déclaré, dans la nuit de dimanche 03 au lundi 04 mars 2013, à la Médina, faisant 9 victimes dont 7 jeunes taalibe.
Ces réactions montrent la fatalité, l’émotivité, le manque de responsabilité et l’absence de vision et de politiques sociales des autorités politico-administratives sénégalaises beaucoup plus préoccupées par le sensationnel, les calculs politiques et la préservation de leur pouvoir. Ce qui les pousse à prendre des mesures et politiques impopulaires, inappropriées, à la limite fantaisistes, telle que les déclarations du président Macky Sall : « Qu’ils soient fermés et que les enfants soient récupérés, remis soit à leurs parents pour ceux qui auront la possibilité de les grader, soit l’Etat lui-même les gardera ». « Des mesures très fortes seront prises pour mettre un terme à l’exploitation enfants, sous prétexte qu’ils sont des taalibe ».
Mais, à quels parents va-t-on remettre ces enfants dont la quasi-totalité est apparentée aux seriñ-daara ? Quelles sont les structures de l’Etat qui peuvent prendre en charge les taalibe ? L’État qui peine à résoudre les problèmes des écoles publiques laïques et à payer ses fonctionnaires peut-il, dans les situations dans lesquelles se trouvent les daara, prendre en charge les taalibe.
La réponse est sans aucun doute la négative dans la mesure où les daara sont en marge de toute législation, aucune disposition législative ne fixe leurs modalités d’ouverture et de fonctionnement, leurs normes d’encadrement, leurs programmes d’études, ni leurs méthodes d’enseignement.
Pour cette raison, quiconque le souhaite peut aisément ouvrir une daara et il se pose le problème de ce qu’Émile Durkheim appelait une « anomie », c’est-à-dire une absence de normes et de règles sociales au niveau des daara. Par conséquent, des chômeurs endurcis peuvent se reconvertir, s’autoproclamer seriñ-daara et faire par conséquent de la mendicité de leurs taalibe un fonds de commerce.
Dans ce contexte, des Ong, des associations islamiques, des arabisants, etc., ayant constaté la situation des taalibe déclarent œuvrer pour l’amélioration de leurs conditions, mais il faut plutôt dire que la majeure partie travaille pour eux-mêmes avec des séminaires à n’en plus finir et un budget de fonctionnement plus que colossal. En réalité, ils s’engagent dans des opérations de captation des ressources allouées aux enfants-taalibe. Ce qui nous fait dire que les daara constituent ce que Jean Pierre Olivier de Sardan appelait une arène où interviennent des groupes stratégiques avec des intérêts et des motivations disparates.
Concernant la mendicité des taalibe, tous les groupes stratégiques des daara, les seriñ-daara y compris, ont soutenu la nécessité de l’éliminer, mais le problème est de savoir comment y parvenir. Or, les conclusions de notre thèse de doctorat, portant sur les conditions de vie et d’études des taalibe dans la ville de Dakar, nous ont permis de savoir que les méthodes répressives annoncées par le président Macky Sall sont inappropriées et inefficaces.
Avant lui, d’autres autorités les ont essayées et elles n’ont pas donné les résultats escomptés. Les autorités politico-administratives devraient procéder à l’identification de l’ensemble des causes qui concourent à l’apparition et la propagation de la mendicité. Or toutes ces causes se ramènent à la paupérisation du monde rural, à la fracture sociale entre l’arrière pays davantage pauvre et Dakar où sont consacrées les activités économiques du Sénégal.
Ce qui nous pousse à dire que les mesures du président Macky Sall témoignent de la lecture simpliste que les autorités politico-administratives ont de ce drame et de la mendicité des taalibe et de leur ignorance des situations, des conditions et de la typologie des daaras sénégalaises. Or, elles devraient avoir une analyse beaucoup plus fine et beaucoup plus profonde de ce drame.
De nos jours, il y a au Sénégal une sorte fracture sociale avec des quartiers pour les riches et d’autres pour les pauvres ; des établissements scolaires français pour les riches et d’autres pour les pauvres ; des daara pour les riches et d’autres pour les pauvres.
Les conclusions de notre thèse ont montré qu’au Sénégal, les marabouts confrériques jouaient dans le passé une fonction très importante dans la promotion de l’enseignement coranique ; ils étaient ses principaux promoteurs puisque la grande majorité des seriñ–daara sénégalais étaient des marabouts confrériques. Ils formaient les érudits qui ouvraient, à leur tour, des daara qui constituaient des daara-satellites reliées à celles de leurs marabouts confrériques. Mais aujourd’hui tel n’est pas plus ; c’est à peine s’ils s’intéressent à l’enseignement coranique. Cela a engendré le déclin des grandes daara-traditionnelles sénégalaises et l’émergence de deux principales daara : les daara-modernisées et les daara-mobiles.
Les daara-modernisées sont créées par des promoteurs économiques qui sont dotés de moyens économiques ; ils louent une maison, engagent des maîtres-coraniques qui les soutiennent dans l’enseignement des talibés et recrutent un personnel qui s’occupe de leur hébergement et restauration.
Ces daaras sont celles que les Sénégalais appellent couramment daara-internat. Dans ces daara, la plupart des taalibe sont en régime-internat ; ils paient mensuellement une somme variant entre 15.000 et 70.000 francs Cfa.
Leurs effectifs dépassent rarement 100 taalibe et ils sont le plus souvent des enfants de fonctionnaires de l’Etat, de cadres de société, de riches commerçants, de maraboutiques, des députés, bref de riches financièrement nanties.
Les daara-mobiles sont logées dans des maisons en chantier empruntées à des tierces personnes ou des baraques délabrées qui risquent de s’effondrer à tout moment. Elles sont quasi-inhabitables parce que n’ayant aucune sécurité et, le plus souvent, sans installations sanitaires. Elles sont dépourvues d’eau et d’électricité. Il n’y a même pas de pompes capables d’approvisionner en eau les taalibe et leurs seriñ–daara et ce manque de réseau d’approvisionnement en eau impacte négativement sur les conditions sanitaires des taalibe.
Il n’y a pas d’équipements électriques servant à l’éclairage de ces daara. Ce qui fait que leurs taalibe étudient la nuit avec des lampes à tempête et avec des bougies qui peuvent enflammer leurs chambres à tout moment. Ce risque d’accident est d’autant plus possible si l’on se rend compte qu’il n’y pas de salles réservées aux séances de cours d’enseignement ; les chambres constituent en même temps les salles de cours d’enseignement. Or, ces chambres sont remplies de livres éparpillés dans tous les sens et il suffit qu’une bougie tombe par terre pour que la chambre prenne feu.
C’est ce qui s’est passé exactement à Médina occasionnant autant de mort d’hommes et si rien n’est fait, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y aura forcément d’autres cas d’incendies de ce genre. Ces endroits sont insalubres puisqu’ils sont très souvent infectés de poux, de punaises, et de bestioles de différentes natures. Certaines maladies, telles que la gale, la diarrhée, les infections oculaires, la fièvre, etc. peuvent facilement s’y répandre et en cas d’épidémie, de nombreuses personnes pourraient être affectées.
Ce sont ces genres de daara qui posent le plus de problèmes au Sénégal et qui pratiquent la mendicité à outrance. Il arrive que leurs effectifs dépassent une centaine de taalibe et ils sont fils de paysans, d’éleveurs, de pêcheurs, de maîtres coraniques, de petits commerçants, bref d’indigentes personnes.
Mais, il faut affirmer que fermer ces les daara–mobiles, c’est priver les pauvres d’un enseignement coranique. On devrait plutôt parler de l’amélioration des conditions de vie et d’études dans ces daara. L’Etat peut trouver des solutions aux problèmes des daara en travaillant en étroite collaboration avec les universitaires, qui de part leur maîtrise du terrain, donneront des solutions idoines aux problèmes taalibe.
Mouhamadou Mansour Dia
Docteur en Sociologie, chercheur à l’Ucad, spécialisé en sociologie des religions
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