Premier résultat de cette piteuse gestion pour sa famille : le 31 juillet 2014 s’est ouvert à Dakar le procès de son fils, Karim, accusé d’enrichissement illicite, un rendez-vous devant les juges hautement médiatisé, alors que le pays bruit d’autres scandales hérités du régime de son père, avec notamment la publication d’un rapport accablant de l’Inspection générale d’Etat (IGE) et la publication retentissante d’un ouvrage écrit par un colonel de gendarmerie dénonçant des pratiques de corruption au sein de ce corps paramilitaire durant les années Wade.
Inculpé et placé sous mandat de dépôt depuis avril 2013, Karim Wade fait désormais face aux juges de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), une « vieille » juridiction spéciale laissée à l’abandon, et réactivée par l’actuel pouvoir pour juger les incriminés de ce qu’on appelle ici « la traque des biens mal acquis », une opération lancée dès la prise de fonction de l’actuel président Macky Sall.
S’il jouit de l’immunité de sa fonction, le président Sall qui a aussi servi sous Abdoulaye Wade (en tant que ministre, premier ministre et président de l’assemblée nationale), n’en fait pas moins partie avec Idrissa Seck et Karim Wade d’un trio dont les fortunes colossales intriguent et font jaser les Sénégalais. Ils sont loin d’être les seuls, ce qui ne manque d’ailleurs pas de susciter un grand débat sur la manière sélective de procéder de la justice à l’heure de la reddition des comptes.
Procès hors normes
Mais pour l’heure c’est Karim et son procès hors-normes qui dominent l’agenda : une trentaine d’avocats, 92 témoins et un dossier de 40 milles pages. Personnage intouchable de la République du temps de son père, Karim Wade par ma seule grâce des décrets de celui-ci, a géré d’importants portefeuilles ministériels (coopérations internationale, transport aérien, énergie…) qui le mettaient au cœur de tous les grands dossiers de l’Etat. Les Sénégalais avaient fini par le surnommer « le ministre du Ciel et de la terre ». Il devra aujourd’hui justifier d’une fortune qui s’élève selon les juges à plusieurs milliards de FCFA.
Dans ce qui l’oppose la justice, Karim Wade, fut dans un premier temps mis en demeure de justifier « l’origine licite » de ses biens, évalués à 691 milliards FCFA. Au fur et à mesure de son instruction, la Crei a ramené ce montant à 117 milliards FCFA. Une fortune qui reste vertigineuse dans un pays « pauvre », mais les partisans de Wade se sont accrochés à cet écart entre les deux chiffres pour accuser cette Cour d’exception d’être un « instrument politique ».
Le Rapport accablant de l’IGE
Publié à quelques jours de l’ouverture de ce procès, un rapport de L’IGE, sur « l’état de la gouvernance et la reddition des comptes », et couvrant une bonne partie de l’ère Abdoulaye Wade (au pouvoir de 2000 à 2012) constate beaucoup d’entorses à la gestion budgétaire durant cette période. Aux yeux de certains, le rapport tombe à pic pour davantage enfoncer Karim Wade empêtré dans ses déboires judiciaires.
Le rapport largement commenté par la presse est venu dénoncer la gestion d’un des projets phares de l’ex-président Abdoulaye Wade, à savoir l’organisation en 2008 à Dakar du sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) dont Karim Wade tenait les manettes avec son « ami » Abdoulaye Baldé, l’actuel maire de Ziguinchor, lui aussi dans le collimateur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite, qui lui a d’ailleurs servi une mise en demeure.
Le rapport de l’IGE révèle un « recours abusif » aux décrets d’avance qui a été relevé entre 2007 et 2012, le tout culminant à un montant de 500 milliards FCFA. Un procédé largement utilisé par le président Abdoulaye Wade dans le financement du sommet de l’OCI et du Festival mondial des arts nègres (Fesman) entre 2011 et 2012, et qui était confiée à sa fille Sindjély Wade, curieusement jusque-là épargnée par le nouveau régime.
Des irrégularités financières dénoncées en son temps par des organisations comme le Forum civil, l’antenne sénégalaise de l’Ong Transparency international.
Et le colonel s’en mêle
Alors même qu’on s’acheminait vers l’ouverture du procès de Karim Wade, un Colonel de gendarmerie, Abdoulaye Aziz Ndao, jetait un autre pavé dans la marre en publiant « Pour l’honneur de la gendarmerie sénégalaise », un pamphlet qui dénonce la corruption au sein de la gendarmerie sous Abdoulaye Wade.
Particulièrement visé, le Général Abdoulaye Fall, ancien homme de confiance du président Wade, haut commandant de la Gendarmerie à l’époque. Il est accusé de corruption et d’autres activités à la limite de la connivence avec des éléments de la rébellion du Mouvement des Forces démocratiques de la Casamance (MFDC), le mouvement séparatiste qui depuis plus de 30 ans mène une lutte armée au sud du Sénégal.
Cette publication qui circule largement en version électronique fait depuis sa parution les choux gras des quotidiens sénégalais, obligeant le général Fall à démissionner de son poste d’ambassadeur du Sénégal au Portugal.
Au vue des graves révélations du Colonel Ndaw, des voix s’élèvent sans cesse au niveau de la société civile pour réclamer l’ouverture d’une enquête judiciaire — et non un règlement administratif, qui risquerait de noyer le poisson dans l’eau.
Sanctions et éclaboussures
Pour le moment le gouvernement de Macky Sall semble peu disposé à accéder à cette demande qui édifierait les Sénégalais. Les quelques officiels qui se sont exprimés sur la question notamment le ministre des Forces Armées, Augustin Tine, ont agité la menace d’une sanction disciplinaire pour le Colonel Ndaw, rappelé de son poste en Italie, et coupable selon le ministre de ne pas respecter son « devoir de réserve ».
S’il est sanctionné le Colonel Ndaw, ne sera pas le premier à faire les frais d’une révélation publique des dysfonctionnements des forces de sécurité : avant lui, un commissaire de police, Ckeikhouna Keita, l’ancien patron de l’Office central pour la répression des trafics illicites de stupéfiants (OCRTIS), a été radié pour avoir dénoncé dans un rapport soumis au ministre de l’Intérieur l’implication d’un de ses collègues dans un trafic de drogue.
Toutes ses affaires laissent aux citoyens un sentiment de pourriture à l’intérieur même de l’Etat durant les douze ans du président Wade, ramené au souvenir des Sénégalais par le procès Karim et ses six co-accusés. Un procès qui replonge le pays dans les frasques de l’ex-régime de son père, avec ses « mallettes » bourrés de billets de banques comme le rappelle l’affaire Alex Segura, cet ex-représentant du Fonds monétaire international au Sénégal qui était parti du pays avec une mallette remplie de devises offerte par Wade.
Reste à savoir comment l’actuel pouvoir, dirigé et constitué pour l’essentiel d’anciens partisans de Wade pourra sortir indemne des grands déballages que risque de produire le procès.
Vous voulez réagir à cet article ou nous signaler une erreur, envoyez nous un mail à info[@]ouestaf.com