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Rapport de la Cour des Comptes du Sénégal : « certaines critiques ne sont pas objectives », dit Birahime Seck du Forum Civil (Interview)

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Ouestafnews – Les critiques fusent de partout depuis la publication du rapport de la Cour des comptes (CDC) sur la situation des finances publiques sénégalaises, le 13 février 2025. Birahime Seck, Coordonnateur général du Forum Civil, Section sénégalaise de Transparency International, pense que ceux qui critiquent le document de la CDC n’ont même pas lu le rapport, ou en donnent une lecture qui n’est ni honnête et ni objective. Dans cet entretien exclusif accordé à Ouestaf News à Cotonou, en marge d’un colloque de la Cellule Norbert Zongo pour le Journalisme d’Investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo) sur les flux financiers illicites en Afrique de l’Ouest, Birahime Seck est revenu sur le sujet avec nous. Entretien.

Ouestaf News – Certains Sénégalais ont relevé des incohérences dans le rapport sur la situation des finances publiques du Sénégal de 2019 à mars 2024, publié le 13 février 2025 par la Cour des comptes. Ces critiques sont-elles fondées ?

Birahime Seck – Chaque fois que les corps de contrôle publient des rapports, il y a toujours eu des levées de boucliers. La Cour des comptes (CDC) a donc l’habitude d’essuyer des critiques et ce, sous tous les régimes, depuis le président Abdoulaye Wade en passant par Macky Sall. 

Je pense que certaines critiques ne sont pas objectives car ceux qui les avancent ne savent pas en réalité le fonctionnement de la Cour des comptes. Il y en a qui disent que le rapport n’a pas été signé. Je les renvoie tout juste au site de la Cour des comptes elle-même. Il y a beaucoup de rapports qui ont été publiés qui n’ont pas été signés. Ces rapports n’ont jamais été critiqués parce qu’ils ne portent pas de signature. Ce qu’il faut savoir avec les rapports, c’est qu’il y a ce que la CDC publie sur son site et ce qu’elle envoie aux autorités. 

J’ai également entendu des critiques sur l’absence de contradiction dans le rapport. Or, la Cour a très bien expliqué cela dans la méthodologie. Sa démarche a été contradictoire. C’est le gouvernement qui a produit en premier un rapport qu’il a envoyé à la CDC. Cette dernière a fait son travail dans lequel, le ministère des Finances, à travers ses services, a répondu. Donc, le principe du contradictoire a été respecté par la Cour des comptes. 

D’habitude les rapports de la CDC portent sur le contrôle de gestion des structures publiques ou parapubliques.  L’objet de ce dernier rapport est de faire la situation des finances publiques, la structure étatique qui gère également les finances publiques, c’est-à-dire le ministère des Finances. Il s’agit d’un contrôle beaucoup plus approfondi, plus large et qui touche les fondamentaux des finances publiques. Je pense que les gens doivent avoir l’honnêteté de s’interroger sur le fond.

Ouestaf News – Avant de publier son rapport le 13 février 2025, les derniers rapports publiés sur le site de la CDC en ont été retirés avant d’être remis. Cela ne pose-t-il pas un problème de transparence ?

B.S – J’ignore les raisons de ce retrait à un moment. Je constate actuellement que les rapports sont à nouveau sur le site. Moi, j’ai travaillé ce matin (le 19 février 2025 – NDLR) sur le site. Les rapports sont sur le site.

Je ne pense pas que la Cour des comptes, de façon volontaire, enlèverait ces rapports. D’autant plus que ceux qui ont l’habitude de travailler avec ces rapports, moi par exemple, disposent déjà de ces rapports de 2021, 2022 et 2023 ainsi que les rapports produits vers les années 2000. La Cour sait très bien qu’il y a des Sénégalais au Sénégal et à l’extérieur, qui ont déjà téléchargé tous les rapports.

Donc, je ne pense pas que le retrait des rapports ait été fait de façon volontaire, sous prétexte que la CDC allait publier un rapport sur la gestion des finances publiques. Maintenant, on peut épiloguer sur la circonstance.

Ouestaf News – Certains accusent la CDC de s’être contredite dans ce rapport par rapport à ses rapports précédents. Qu’en pensez-vous ?

B.S – Je ne veux pas aller au-delà de ce que la Cour n’a pas dit. Je voudrais rester uniquement sur les éléments qui ont été soulevés et évoqués par la Cour des comptes.

Dans les débats, j’entends certaines personnes évoquer un rapport qui a été produit par la Cour des comptes en 2022 sur la dette, pour essayer de le comparer à ce dernier rapport de la même Cour sur la gestion des finances publiques. 

Il faudrait que les gens aient l’habitude de lire et de lire avec objectivité les travaux qui ont été effectués par les corps de contrôle de façon générale. Dans le rapport de 2022, la Cour des comptes a été tout à fait claire. Elle a défini son périmètre d’intervention. C’est la dette publique de la gestion 2018 – 2020.

Pour ce (nouveau) rapport, il s’agit de la gestion de 2019 à mars 2024. Donc, les périmètres ne sont pas les mêmes. Comparer les situations de dette tirées du rapport de 2022 à celles présentées dans le rapport de 2025 n’est pas honnête. Ceux qui ont tenté de dire que la Cour avait déjà fait la situation de la dette oublient de préciser cela aux Sénégalais.

L’autre élément de précision est que, j’ai l’impression que beaucoup de Sénégalais n’ont pas lu ce rapport quand ils disent que la Cour des comptes s’est dédite. Non, la Cour a été très claire. Elle a dit que s’agissant de toutes les dépenses et recettes du budget général, effectuées dans les comptes spéciaux du Trésor, à travers le circuit normal, elle ne voit pas d’inconvénient. Elle a même utilisé le mot « concordance », entre ce qui a été présenté dans le rapport du gouvernement, les projets de loi de règlement ainsi que les lois de règlements précédents. 

En revanche, la Cour précise que toutes les autres dépenses effectuées hors circuit budgétaire sont irrégulières.  Ces anomalies, la Cour les a constatées après exploitation de nouveaux éléments qu’elle a recueillis lors de son enquête. C’est ce qu’elle a présenté dans son rapport de février 2025 pour dresser la situation des finances publiques.  Il n’y a pas eu  de contradiction entre ce rapport et les précédents. La Cour des comptes a précisé cela noir sur blanc dans son rapport. Je me demande comment est-ce que les gens ont fait pour dire que la Cour des comptes s’est dédite.

Ouestaf News – Vous qui avez lu et analysé ce nouveau rapport, y a-t-il eu cession de biens immobiliers de l’Etat à des tiers ?

B.S – Le rapport de la CDC ne cite pas de personnes à qui des biens immobiliers de l’Etat ont été cédés. La Cour des comptes parle plutôt d’opérations de Sukuk (obligations islamiques ou obligations conformes à la charia) au Sogepa (Société de Gestion et d’Exploitation du Patrimoine bâti de l’Etat-NDLR). Des immeubles du patrimoine bâti de l’État ont été cédés entre l’État et la Sogepa. C’est dans ces opérations d’emprunts effectuées entre l’État et la Sogepa qui ont généré des milliards, que la Cour s’est rendue compte qu’il y a un reliquat de 114 milliards de FCFA qui n’est pas entré dans les comptes du trésor public. La Cour pose la question de savoir : « où sont passés ces milliards ? ».

Maintenant, il faut que les gens comprennent également l’étendue des compétences de la Cour des comptes. Il n’appartient pas à cette dernière de qualifier un fait en infraction pénale. Cela est du ressort du juge pénal. 

Ce que les Sénégalais devraient demander aux autorités compétentes c’est de saisir la justice pour qu’elle fasse la lumière sur cette opération qui a été effectuée entre l’État et la Sogepa. Quelles sont les personnes et les autorités qui sont impliquées ? 

Il appartient à la justice de faire une enquête pour nous dire ce qu’il en est réellement des opérations qui ont été réalisées. Je pense que c’est ce que les Sénégalais devraient demander à ce régime. 

Ouestaf News – Selon son contenu, ce rapport vous donne-t-il l’impression d’être un rapport contre l’ancien régime ?

B.S – L’erreur est que les politiques pensent que ce rapport est fait pour eux ou contre eux. La Cour des comptes, dans son développement, n’épargne personne. Elle n’épargne personne. Elle a situé des faits, sans nommer personne. La justice nous dira qui sont-ils. Il se pourrait même qu’une enquête approfondie puisse éclabousser le régime actuel. Parce qu’il y a des agents de l’État qui étaient sur la chaîne de responsabilité, qui sont toujours dans les administrations. 

Laissons les choses se faire de la façon la plus logique et normale possible dans une démocratie. Laissons la justice effectuer son travail sur les constats relevés par la Cour des comptes.

Ouestaf News – Les nouvelles autorités ont communiqué sur la situation des finances publiques avant que la Cour des comptes ne fasse son travail. Cela n’a-t-il pas favorisé les critiques contre ce rapport ?

B.S – Nous n’avons pas apprécié que ce nouveau régime communique sur son rapport avant celui de la Cour des comptes. Donc, nous préconisons qu’il y ait des réformes dans la loi de 2012 pour interdire toute communication sur le rapport du gouvernement avant celle produit par la Cour des comptes.

Ensuite, de la même façon que la Cour des comptes publie son rapport, on voudrait également que le rapport qui a été produit par le gouvernement fasse l’objet d’une publication pour que les Sénégalais puissent apprécier ce qui a été constaté par le gouvernement avant et ce qui a été constaté également par la Cour des comptes. Cela renforcerait davantage la transparence et la bonne gouvernance.

Ouestaf News – Au-delà du Sénégal, ce rapport peut-il servir d’exemple pour les autres Etats de la sous-région ?

B.S – Oui, ce rapport pourra faire tache d’huile et permettre aux autres pays de l’Uemoa de suivre l’exemple du Sénégal. Peut-être qu’il y en a qui l’ont fait, mais je n’en ai pas entendu.

De toute façon, ce rapport est une application de l’article 1.7 de l’annexe sur le Code de transparence dans la gestion des finances publiques de 2012, qui est une matérialisation d’une directive de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa). Cette directive préconise que chaque nouveau régime fasse la situation des finances publiques, la situation de la dette, la situation de la trésorerie, la situation des dépenses, la situation des recettes, trois mois après son accession au pouvoir. Au Sénégal, cette loi de 2012 n’a jamais été appliquée par les régimes passés. C’était un premier exercice qu’il faut saluer.

F.D/hd/ts


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