Réenchanter le Sénégal autour d’un récit collectif (Libre opinion)

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Mamadou Cissokho, doctorant en droit privé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)./Photo-Ouestaf News.

Par Mamadou Cissokho *

Fait-on communauté au Sénégal ? Cette question qui, il y a quelques décennies, pouvait paraître superfétatoire a aujourd’hui toute sa légitimité. L’instrumentalisation du  fait communautaire dont les stigmates hantent encore la partie centrale de l’Afrique a désormais trouvé une terre d’accueil au Sénégal. Notre grand pays est depuis plus d’une décennie en train d’expérimenter, ce que nous avons nommé dans notre ouvrage L’Afrique (en)quête de renaissance de « violence de la fraternité », laquelle nuit au vivre ensemble, vecteur de notre cohésion sociale tant enviée au plan national qu’international. Ce pays, il faut le dire sans réserve, stagne, s’enfonce et se meurt à cause de la montée éclair des discours communautaristes.

Il était pressenti que le chantier le plus urgent du successeur du président Macky Sall serait la réhumanisation de l’espace social sénégalais tant les radicalités politiques, religieuses et identitaires avaient fini par provoquer une sorte de déliaison sociale remettant en cause ce que ce pays a toujours eu de plus précieux : sa tradition de tolérance. Tolérance religieuse, tolérance entre communautés, tolérance confrérique semblent aujourd’hui loin derrière nous. Nous assistons, avec une passivité coupable, à leur mort lente.

La note est salée : le Sénégal ressemble à tout sauf un pays uni, une terre d’hospitalité favorable à la rencontre des mondes. Ce qui en conséquence signifie que le Président nouvellement élu, le président Bassirou Diomaye Faye, en marge des préoccupations économiques, aura en face de lui un chantier social très complexe, celui du réenchantement de l’espace social.

Mais comment en est-on arrivé là ?

Les discours politiques sont passés par là. La fracture sociale du Sénégal est à notre sens l’œuvre des politiques sénégalais. L’irresponsabilité et l’inculture de ces derniers auront fini par plonger le pays dans la grande nuit des radicalités communautaires chères à une époque. D’un espace politique républicain respectueux de l’unité nationale, on est progressivement passé à un ordre de la barbarie fait de stigmatisations, de rejets et de cloisonnements. C’est sans doute durant la période de la bataille politique entre l’ancien président Macky Sall et le tout nouveau premier ministre Ousmane Sonko qu’on a surtout observé ce grand basculement du Sénégal vers les ténèbres.

Depuis 2016, on semble voir un Sénégal qui ostracise, qui méprise le commun, et exalte la distance : l’autre et nous, le lointain et le proche, le frère et le non frère. L’opposition politique entre ces deux hommes a couté au Sénégal son statut de terre soucieuse de l’harmonie et du vivre ensemble. Le silence de l’ancien président sur les insultes à caractère communautaire récurrentes de certains de ses partisans est tout aussi absurde que l’explication régionaliste du tout nouveau premier ministre sur les bavures policières subies par les ressortissants de sa localité d’origine lors des récentes émeutes politiques qui ont secoué le pays.

Les dégâts auraient été moindres si ce mal que l’on a nommé « violence de la fraternité »  se limitait à leur petite querelle pour la conquête ou la conservation du pouvoir, mais la maladie semble, au grand dam de ce pays, contaminer toute la classe politique sénégalaise. Nul besoin d’emprunter à Foucault sa science de « l’archéologie du discours » pour prendre connaissance d’un tel mal. La mobilisation des faits communautaire, confrérique et nationaliste dans l’espace politique sénégalais se dispense en effet de loupe pour s’observer, tant elle est outrancière et ne revendique aucune forme de décence républicaine. Tout semble indiquer que les hommes politiques sénégalais se sont assignés un devoir de violence tant dans leurs discours n’émergent que des idées qui sabordent notre cohésion sociale. Aujourd’hui, c’est là où nous en sommes. Les murs à terrasser se solidifient, l’esprit « d’ensauvagement » s’installe, et le pays s’éloigne de plus en plus des voies de gouvernance pacifiques conformément au pacte républicain.

Partant de ce constat, il est possible d’imaginer toutes les difficultés à faire émerger une nation lorsque la férocité devient le thermomètre de l’ingéniosité politique. Ne peut éclore une nation prospère, là où s’impose un ordre de la négation, du rejet et du repli communautaire. Car l’énergie créatrice est affectée au service d’un projet d’ensauvagement mutuel pour parler comme Frantz Fanon. L’histoire en atteste. A quelques encablures de chez nous, le spectre de l’ivoirité constitue un rappel permanent de ce qui nous guette lorsque l’on emprunte ce chemin de la division. L’usage du fait communautaire est dangereux quand il devient le principe organisateur de la politique. Ce propos devrait être gravé comme frontispice dans tous lieux publics et sièges de parti politique sénégalais. On construit un pays comme le Sénégal sur la base d’un projet de salut national. La métaphore de la pirogue (sunu gaal) reste pertinente. Le défunt Président Léopold Sedar Senghor l’avait compris, lui qui fut le grand architecte de l’unité nationale sénégalaise.

Comme il a été précédemment rappelé, le président nouvellement élu, face à ce constat d’un Sénégal socialement à la ramasse, devra mobiliser ses énergies vers la recherche de possibilités d’une reconstruction du tissu social. L’un des buts sinon le but principal de son action politique ne devra être autre que cette quête salvatrice d’une sortie des temps glauques. Un pays aussi grand que le Sénégal avec une si belle histoire ne doit pas accueillir dans son espace des discours xénophobes, de rejet et de repli. C’est contraire à ses valeurs, à son image, à sa belle renommée internationale. Ces discours qui manipulent et divisent remettent en cause ce que nous sommes en tant que société ; ils méprisent nos valeurs que nous chérissons et qui demeurent le fondement de notre nation.

Pour exorciser ce mal rampant, il faudra nécessairement une revivification de la noble tradition d’hospitalité et du vivre ensemble. Sur ce point, il nous semble important de convoquer la tradition d’hospitalité développée par le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne ou encore le concept d’Ubuntu afin d’injecter une dose de vie à cet espace que la cohésion a déserté depuis un bon moment. Les pensées humanistes de Senghor offrent par ailleurs de belles perspectives. Il y a urgence. Les lendemains du Sénégal se jouent ici.

Le président Bassirou Diomaye Faye n’a pas trop le choix s’il veut sauver le Sénégal, il devra créer ce moment de montée en humanité pour cette société sénégalaise plus que divisée. Ce corps souillé aura en effet besoin d’être lavé de ses impuretés politico-idéologiques pour retrouver son lustre d’antan notamment sa Téranga traditionnelle. Sans cette catharsis des syndromes de notre division, l’exemple de résilience démocratique qu’on vient de montrer au monde entier risque de ne pas durer. Ce sera une victoire comparable à une défaite pour reprendre l’avertissement de Nietzsche fait aux Prussiens après leur victoire sur les Français s’ils se passaient d’une remise en cause. La guerre 39-45 avec le nazisme lui avait donné raison cinquante ans après. C’est tout ce qu’il faut éviter pour le Sénégal.

* Mamadou Cissokho est doctorant en droit privé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il est l’auteur de l’ouvrage L’Afrique(en)quête de renaissance, Elma éditions, 2022, 270 pages.

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