Ouestafnews – Près de huit millions d’électeurs maliens sont appelés le 18 juin 2023 aux urnes pour un scrutin référendaire en vue de l’adoption d’une nouvelle constitution. C’est l’une des phases cruciales de la transition avant l’élection présidentielle prévue en février 2024. Reste à savoir qui entre les partisans du « oui » et ceux du « non » l’emporteront ? En attendant le verdict des urnes, les Maliens restent divisés.
Le Mali renoue avec les urnes ce dimanche 18 juin 2023, après le double coup d’Etat qui, en 2020, a mis fin au pouvoir du défunt président Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Pour les militaires au pouvoir, qui proposent ce projet de nouvelle constitution, si le « oui » l’emporte, le Mali devrait retrouver « toute sa souveraineté », selon les propos du président de la transition, le colonel Assimi Goïta.
Dans un discours télévisé le 13 juin 2023, le président Goïta a invité les Maliens à « l’union pour défendre le choix de la souveraineté face aux ennemis » du pays.
Cependant, la réponse à cet appel ne fait pas l’unanimité, les Maliens étant très divisés sur le contenu de ce projet de constitution.
Les défenseurs du « non » pensent que le texte soumis au référendum fragilise les acquis démocratiques. Selon une certaine frange de la population, c’est un texte qui installera un régime présidentiel puissant, car il donne plus de pouvoir au président de la République.
Pour, le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), regroupant la société civile, des partis politiques, des associations religieuses, c’est un « projet de constitution qui renforce le déséquilibre des pouvoirs au profit du président de la République, qu’il érige comme monarque ».
« C’est un recul au regard de la Constitution de 1992, toujours en vigueur (…) », souligne dans un communiqué le M5-RFP, tout en dénonçant un projet de Constitution qui « divise énormément les Maliens ».
Le M5-RFP fait partie des mouvements ayant contribué à la chute du régime d’IBK, en ayant fragilisé son régime par une série de manifestations populaires entre 2019 et 2020.
L’organisation de ce scrutin est « une façon pour l’opinion nationale malienne, voire internationale, de nourrir l’espoir d’une transition qui serait prête à mettre fin à cette période transitoire », explique l’analyste politique et expert au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), Dr Aly Tounkara, dans un entretien avec BBC Afrique.
Pour le politologue malien, Ibrahima Harane Diallo, chercheur associé au Timbuktu Institute, c’est une « étape importante au retour à l’ordre constitutionnel ».
Une bonne partie du Mali, notamment dans le nord, reste encore sous contrôle de groupes armés. Il n’est donc pas surprenant que le projet de constitution proposé au vote, réaffirme la « souveraineté » et le caractère « unitaire » et « indivisible » du pays.
Ce référendum, initialement prévu le 19 mars puis reporté, est l’une des étapes du processus pour le retour au pouvoir des civils. Les autorités de la transition se sont engagées à rendre le pouvoir aux civils en mars 2024, après la tenue d’élections libres et transparentes en février de la même année.
En janvier 2022, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avait pris une série de sanctions contre le Mali, pour pousser les militaires au pouvoir à définir un chronogramme de retour à l’ordre constitutionnel, en précisant que la date des élections devant marquer la fin de la transition.
Le 11 juin, le vote par anticipation des militaires a connu une « forte affluence », indique la Coalition pour l’observation citoyenne des élections au Mali. Ce scrutin est « le processus de matérialisation de la volonté du peuple malien exprimée lors des Assises nationales de la Refondation », a souligné le ministre de la Défense et des anciens combattants, le colonel Sadio Camara, après son vote.
Ce premier vote s’est déroulé dans les casernes et les camps sur toute l’étendue du territoire national, à l’exception de la ville de Kidal (nord) où les militaires du camp de l’armée malienne reconstituée n’ont pu voter. Des groupes armés qui tiennent toujours cette localité se sont opposés à la tenue du vote du projet de constitution, a indiqué un communiqué du gouvernement, publié sur les réseaux sociaux.
Les groupes armés justifient l’interdiction du vote dans leur bastion par « la non prise en compte » de leurs préoccupations dans le projet de nouvelle constitution, notamment leurs doléances liées à « l’accord d’Alger ».
Du côté de Bamako, les autorités de la transition estiment que les points liés à l’accord d’Alger ont été bel et bien pris en compte notamment par « la loi sur le découpage territorial », déjà votée et le « bicaméralisme » que prévoit le projet de constitution avec « une deuxième chambre qui va prendre en compte les légitimités traditionnelles issues des régions du nord ».
Signé en juin 2015 entre l’Etat malien et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, coalition de mouvements d’insurgés qui réclament l’indépendance d’une partie du Mali), l’accord d’Alger supposé ramener la paix dans le nord du pays peine toujours à se concrétiser.
Le Parti pour la Renaissance nationale (Parena), présidé par l’ancien ministre, Tiébilé Dramé, a quant à lui lancé un appel aux mouvements signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale (APR) à ne pas « entraver la tenue du référendum » du 18 juin 2023. « (…) Dans l’intérêt de la paix, laissez, s’il vous plaît, les opérations référendaires se dérouler dans les régions du nord comme partout ailleurs au Mali », a invité le Parena.
Depuis 2012, le Mali est en proie à des attaques terroristes, avec comme résultat l’occupation des principales localités au nord du pays par des groupes armés islamistes. L’Etat malien y peine toujours à ramener la paix définitive, la stabilité et son autorité.
En plus de ces mouvements armés, une partie de la classe politique et des chefs religieux, estiment « qu’une période transitoire n’est pas la mieux indiquée pour amorcer des réformes constitutionnelles et même administratives ».
Le parti Union pour la démocratie et le développement (UDD), a appelé, dans un communiqué daté du 12 juin 2023, à voter « Non » lors du scrutin référendaire prochain.
Pour l’UDD, les priorités des autorités de la transition devaient « se limiter à la restauration de la sécurité, (à) la conquête de la paix à travers l’APR (Accord pour la paix et la réconciliation nationale) et (à) l’organisation de la résilience économique et sociale du Mali ».
La Convention nationale pour une Afrique solidaire (CNAS) de l’ancien premier ministre, Dr. Soumana Sako, a appelé, lors d’un point de presse le 12 juin 2023 au boycott du référendum qu’ils considèrent comme « anticonstitutionnel, démocraticide et liberticide ».
Cette nouvelle constitution « viole les principes de la République et de la démocratie », estime la CNAS. Selon le parti de M. Sako les autorités veulent remettre « au cœur du pouvoir d’Etat, de soi-disant légitimités traditionnelles et religieuses du régime colonial » que le peuple malien « a complètement désavouées ».
Dans ce texte référendaire, certains principes, notamment la notion de « laïcité », ne font pas consensus. Certaines organisations religieuses la trouvent mal à propos et demandent son remplacement.
Des chefs religieux, réunis au sein de la Ligue malienne des imams et érudits, dénoncent une constitution qui prône l’« attachement à la forme républicaine et à la laïcité de l’Etat ». Ces derniers affirment que le texte n’est pas adapté aux « valeurs religieuses et sociétales » du pays.
Pour Dr Tounkara, du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), ces acteurs, qu’ils soient politiques ou religieux « demeurent des acteurs marginaux » pour influencer les décisions du pouvoir de transition.
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