Ouestafnews – La résistance aux antibiotiques est un phénomène de plus en plus inquiétant pour la santé mondiale. Suivant les directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), beaucoup de pays africains sont en train de mettre en place des plans d’actions. Au Sénégal, des scientifiques s’inquiètent et attirent l’attention du public.
Course effrénée au profit des grands laboratoires pharmaceutiques, «sous dosage» de certains médicaments, automédication, consommation parfois excessive par les patients, absence de rigueur dans la régulation, etc. Il s’agit là de quelques un des facteurs qui contribuent à la résistance aux antibiotiques, ou antibio-résistance, devenue une sérieuse menace pour la santé au niveau mondial.
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C’est «un risque de santé publique majeur, placé à l’agenda des agences internationales en charge de la santé humaine, de la santé animale, de l’agriculture et de l’alimentation», explique le professeur Cheikh Saad Bouh Boye, expert en vaccins et en antimicrobiens, dans un entretien à Ouestafnews.
Selon ce médecin sénégalais, «les substances utilisées pour traiter les maladies infectieuses ou pour les prévenir, aussi bien chez l’humain que chez l’animal (…) ne sont plus actives ni efficaces».
«Certains produits de prévention, comme les antiseptiques et autres ne sont plus actifs pour lutter contre la diffusion de certaines bactéries et enfin, il n’y a presque plus de molécules sur le marché», souligne le professeur Cheikh Saad Bouh Boye.
Au Sénégal, il y a trois familles d’antibiotiques où l’on constate le plus de résistance. La première ce sont les tétracyclines, ensuite viennent les sulfamides et enfin les amoxicillines, selon Dr. Mouhamadou Sow, pharmacien et membre de l’inter-ordre des professionnels de la santé.
Causes et effets
La mauvaise prescription et l’automédication figurent souvent parmi les causes régulièrement avancées par les spécialistes.
«Beaucoup de personnes vont acheter des médicaments dans la rue, prennent des antibiotiques, sans autant que ces derniers soient adaptés et la posologies n’est respectée», déplore le docteur Sow.
Selon ce pharmacien, l’idéal avant de prescrire un antibiotique est de faire un antibiogramme (technique de laboratoire visant à tester la sensibilité d’une souche bactérienne). Toutefois, comme le relève d’autres médecins, il arrive que des situations d’urgence ne permettent pas d’avoir recours à ce procédé.
«La conséquence immédiate de la résistance aux antibiotiques en médecine vétérinaire est l’échec thérapeutique», déclare le professeur Boye. Pour la santé humaine, le risque est de deux ordres : les risques posés par les résidus dans les denrées alimentaires d’origine animale (DAOA) et les risques liés à la consommation des DAOA contenant des bactéries zoonotiques résistantes aux antibiotiques utilisés chez l’homme.
L’Afrique menacée
Les spécialistes déplorent aussi le manque de nouvelles molécules qui aggrave l’antibio-résistance. Les antibiotiques mis en cause n’ont pas fait l’objet de suffisamment de recherches afin d’améliorer leur efficacité avec le temps.
« La raréfaction des nouvelles molécules rend la situation plus complexe, particulièrement dans notre contexte de pays à ressources limitées », souligne le professeur Cheikh Saad Bouh Boye.
Selon un article de la Revue de Médecine tropicale publié en 2017 et rédigé par des scientifiques des Centres hospitaliers de Bobo Dioulasso (Burkina Faso) et de Montpellier (France), « les causes de cette mauvaise qualité des médicaments sont principalement liées à la recherche de profit par les firmes pharmaceutiques qui mettent sur le marché de ces pays, des médicaments parfois sous-dosés en principe actifs ou même contrefaits ».
Les auteurs de cet article intitulé : «Emergence et diffusion de la résistance aux antibiotiques en Afrique de l’Ouest», publié en 2017 regrettent que «très peu de pays disposent d’agence de régulation pour surveiller la qualité des médicaments ».
Une étude d’AMR-Review (un programme du gouvernement britannique), datant de mai 2016 estime de son côté que si rien n’est fait, quelque dix millions de personnes mourront chaque année du simple fait de la résistance des microbes aux antibiotiques.
De plus, «les coûts des soins de santé devraient augmenter de 25% dans les pays à faible revenu, si la résistance aux antibiotiques n’est pas contrôlée», selon Liz Tayler, directrice technique du secrétariat à la résistance aux antibiotiques au niveau de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Selon Mme Tayler, citée par le site Scidev, l’Afrique paierait d’ailleurs le plus lourd tribut à ce problème, avec quatre millions de victimes. Parce qu’elle a le système de santé le moins performant et demeure le continent le plus touché par les maladies transmissibles.
Face à ce danger, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis 2015, recommande à chaque pays de mettre en place un plan d’action sur l’antibio-résistance pour atteindre les cinq objectifs du plan d’action mondial.
Parmi ces objectifs, figurent le besoin de mieux faire connaître et de faire comprendre le problème, ensuite de renforcer la surveillance et la recherche. Mais aussi l’optimisation de l’usage des antibiotiques.
Au Ghana, le président Nana Akuffo-Addo a procédé au lancement du plan d’action national le 12 avril 2018. Les autorités ghanéennes à travers ce plan se donnent cinq ans pour atteindre les objectifs fixés par l’OMS.
Dans les fiches de l’OMS consultées par Ouestafnews, on constate que les pays anglophones d’Afrique ont une meilleure conscience de la menace.
L’antibio-résistance qui touche aussi bien la médecine humaine qu’animale, a par ailleurs des incidences sur l’environnement. Au niveau de la médecine animale, le ministère sénégalais de l’Elevage a averti contre le fort usage d’antibiotiques.
Entre 2015 et 2017, l’usage des antibiotiques dans le secteur de l’Elevage est passé de 11.435 à 14.547 kilogrammes, a déclaré Dr. Khadim Guèye, conseiller technique au ministère de l’Elevage, cité par le quotidien national « Le Soleil ».
Cet usage croissant d’antibiotiques nécessite, «une prise de conscience quant à leur utilisation prudente, responsable et rationnelle, afin d’éviter le développement des bactéries multi-résistantes», poursuit-il.
Joint au téléphone par Ouestafnews, le Professeur Iyane Sow, en charge de la problématique de l’antibio-résistance au ministère de la Santé, a confirmé l’existence d’un plan de lutte nationale mais n’a pas souhaité en dire davantage.
Quant au professeur Cheikh Saad Bouh Boye, il plaide pour une approche intégrée dans la lutte contre le phénomène, estimant qu’il «est indispensable d’agir de manière coordonnée, dans une approche intégrant les médecins, les vétérinaires et les spécialistes de l’environnement».
LPS/mn/ts
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