Last Updated on 04/03/2023 by Ouestafnews
Ouestafnews – Avec la limitation (suppression pure et simple pour certaines catégories) du droit de grève au Bénin, Patrice Talon semble avoir mis citoyens et syndicats devant le fait accompli. Les syndicalistes ne protestent que très mollement et certains citoyens y trouvent leur compte.
« Tous les jours que Dieu fait, nous entendons des plaintes des syndicats contre des injustices. En même temps, le gouvernement n’arrête pas de faire voter loi sur loi pour arracher nos droits sans être inquiété ». Ce constat amer est de Kassa Nagnini Mampo, secrétaire général de la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (CSTB).
Le syndicaliste s’exprimait en prélude à un rassemblement contre « la remise en cause des acquis sociaux » et notamment l’interdiction du droit de grève imposée à certains corps de métier. Ce rassemblement avait été organisé en novembre 2022 pour protester contre des décisions du président Patrice Talon.
M. Mampo est d’autant plus amer que même du temps du parti unique (Parti de la révolution populaire du Bénin – PRPB), sous Mathieu Kérékou, les travailleurs béninois ont toujours revendiqué et fait valoir leur droit à la grève.
Aujourd’hui, les contrevenants à la nouvelle loi votée par le gouvernement Talon font les frais de leur engagement. Suspension par-ci et retenus sur salaires par-là.
Pourtant, tous les Béninois ne réagissent pas de la même manière à cette décision.
Si les syndicalistes sont fâchés, du côté des citoyens, certaines catégories comme certains parents d’élèves applaudissent l’arrivée de cette réforme.
« En tant que parent, je suis très heureux de voir que mes enfants suivent les cours (…) sans aucun mouvement de grève durant toute l’année scolaire », se réjouit Antoine Orékan dont les enfants sont inscrits dans des établissements d’enseignement public.
Comme dans plusieurs autres pays africains, le secteur de l’éducation au Bénin a été rudement touché par des grèves cycliques ces dernières décennies. « Sur la base des estimations faites, la grève de 2010 par exemple a entrainé la réduction de la durée annuelle de travail par travailleur de l’ordre de 760 heures », avait révélé en 2014 une étude du ministère béninois de l’Economie et des Fiances intitulée « impact des grèves de l’administration publique sur l’économie béninoise ».
L’imam Youssouf Ligali, présenté comme le guide spirituel de la jeunesse musulmane béninoise estime que « les travailleurs, surtout ceux des secteurs de la santé, de l’électricité et de l’éducation qui perçoivent régulièrement leurs salaires ne doivent pas paralyser ces secteurs pour revendiquer leurs droits ». Pour lui, il y a plusieurs méthodes pour se faire entendre tout en continuant le service pour lequel on est payé.
La nouvelle loi dont il est question a été votée en septembre 2018. Elle couvrait les secteurs de la santé, la sécurité, la justice … avant d’être élargie en 2022 aux secteurs des hydrocarbures, les transports, etc. Dans sa forme actuelle, elle prévoit la révocation ou le licenciement des grévistes et limite le droit de grève à dix jours au maximum par an. Elle interdit dans la foulée « toute grève de solidarité ». Elle frappe encore lourdement les agents des secteurs de la sécurité, de la défense, de la justice et de la santé. Ces derniers n’ont plus le droit de grève.
Les Béninois qui espéraient voir la société civile prendre en charge ce combat, ont dû déchanter.
Professeur de français dans un collège de Cotonou, Emanuel Dossou, souligne que la restriction du droit de grève dans le secteur éducatif « fragilise les syndicats». Il déplore la prééminence désormais accordée aux gouvernants et aux employeurs dans l’ouverture de toute négociation concernant le sort des travailleurs.
Sur le terrain politique, l’opposition tente de s’engouffrer dans la brèche. Il en est ainsi de Thiery Sedjro du Mouvement populaire de libération, (MPL, opposition) qui invite la neuvième législature « à revoir la loi sur la grève qui considère les travailleurs comme des esclaves ».
De son côté, le président Patrice Talon reste droit dans ses bottes et sûr du bien-fondé de sa réforme. Il en assume la responsabilité même si certains crient au « recul démocratique ».
Invité de l’université d’été du Mouvement des entreprises de France (Medef) le 30 août 2022 à Paris, M. Talon s’est encore vanté de la législation « à nulle autre pareille » qu’il a mise en place au Bénin.
Pour lui, dans un pays comme le Bénin où «tout est à reprendre », « une règlementation forte » s’impose pour « discipliner» les gens, quitte à s’attaquer à leurs droits.
Au Bénin, pays autrefois considéré comme un modèle de démocratie, les propos de Talon en ont irrité plus d’un. Lors d’une conférence de presse quelques jours plus tard.
Dans une diatribe relayée par plusieurs médias, le politologue Richard Boni Ouorou s’est lui, insurgé contre un argumentaire qui « rame à l’envers du progrès » accusant au passage Patrice Talon de vouloir imposer aux Béninois « une démocratie mutilée ».
De son côté, Nagnini Kassa Mampo de la CSTB répond en qualifiant le propos présidentiel de « scandaleux, honteux» et «humiliant » pour les travailleurs. Il ne désespère pas qu’un jour les travailleurs reprendront la main pour « aller en grève, satisfaire leurs revendications et dénoncer l’oppression de l’Etat ». Il reste convaincu que la grève est un droit constitutionnel qui ne requiert « aucune demande d’autorisation ».
FN-FD/ts
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