Sénégal : banques de sang, manque de sang!

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Le Centre national de transfusion sanguine (CNTS) « connaît des ruptures de poches» - crédit photo : Charlie Kouagou/Ouestafnews

Ouestafnews – En matière de don de sang, le Sénégal est encore loin de la norme établie par l’Organisation mondiale de la santé qui est de 10 donneurs sur 1000. Dans les hôpitaux, mettre la main sur une poche de sang relève du parcours du combattant pour les médecins.

Située un peu à l’écart, la banque de sang de l’hôpital Roi Baudouin de Guédiawaye est calme. Un calme qui contraste avec l’effervescence notée dans les autres services de cette structure sanitaire de la banlieue Dakar. Dans une petite pièce faisant office de bureau de consultation, le major Abdoul Aziz Ndiaye, responsable de la structure, patiente.

Il est encore tôt et les éventuels donneurs de sang se font désirer. «Il y a des jours où on se retrouve avec zéro donneur», confie le major. Mais aujourd’hui, c’est à croire que les donneurs de sang veulent lui prouver le contraire. Assisté de deux infirmières, il prépare les fiches d’inscription. Il veut y croire. Et son espoir est vite récompensé.

On frappe à la porte, trois hommes font leur entrée, carnet à la main. Ils sont venus donner de leur sang. Leur arrivée est comme un signal pour les autres. Le petit groupe d’hommes est vite suivi par une jeune fille, et un autre garçon. Ce dernier, explique que c’est pour fuir la longue queue dans une agence de la Senelec (société nationale d’électricité) qu’il en profite pour venir donner de son sang et patienter.

Le défilé se poursuit. Bientôt 11 heures! Neuf personnes ont déjà donné de leur sang. Le nombre n’est guère conséquent, mais c’est suffisant pour donner le sourire au major Ndiaye. « Ceci équivaut à neuf vies sauvées», se réjouit-il. La proximité avec un établissement scolaire est une aubaine pour la collecte de sang.  «L’année scolaire est notre meilleure période», renseigne le major Ndiaye.

Cependant, cette journée est juste une petite éclaircie dans le ciel tourmenté des dons de sang. En effet, le manque de sang est récurrent dans les structures de santé.

Les femmes absentes

A l’hôpital Samu municipal de Liberté 6 à Dakar, le Dr Nouha Sonko, médecin-chef adjoint confirme  que «c’est le sang qui manque le plus souvent ici ».

Le Centre national de transfusion sanguine (CNTS) « connaît des ruptures de poches», a-t-il indiqué. Et l’hôpital n’a qu’une parade pour sauver les patients : se rabattre sur l’entourage du malade pour trouver un donneur compatible que l’on envoie d’urgence au CNTS pour la collecte.

«A défaut, on s’en remet au bon Dieu en lançant désespérément un SOS à travers les médias », regrette le médecin.

Etant celles qui ont le plus besoin de sang dans les hôpitaux, les femmes sont pourtant loin derrière quand il s’agit de don de sang. La raison d’un tel comportement est simple, «beaucoup d’entre elles ont peur», soutient le major Abdoul Aziz Ndiaye.

A Matam (Nord), le manque de sang est la cause de 8 décès sur 10 femmes mortes en couche, révèle l’Agence de presse sénégalaise qui cite la présidente de l’Amicale des sages-femmes de la région, Famata Niang Hann.

Dakar en règle

Ces drames liés au manque de sang s’expliquent par le faible taux de 6,1 donneurs pour 1000 habitants en 2016, selon les chiffres du CNTS. Le Sénégal est encore loin du ratio de 10 pour 1000 recommandé par l’Organisation mondiale pour la santé (OMS).

Ce taux équivaut à quelque 86 161 donneurs, alors que le besoin est estimé environ à 140 000 pour une population de 14 millions d’habitants.

Le manque de sang dans les hôpitaux inquiète davantage, si l’on sait que parmi le peu de donneurs, il y a ceux qui décident de «suspendre» leur acte bénévole parce que «dépités» par l’inaccessibilité du sang dans les structures publiques de santé.

Avec 12 donneurs sur 1 000 habitants et 98% de donneurs volontaires, Dakar est la seule région du Sénégal qui a atteint les 10 pour 1 000 recommandés par l’OMS.

A l’intérieur du pays, le déficit à combler est criard : moins de 4 donneurs pour 1 000 habitants dont 20 à 30% de dons familiaux dans des situations d’urgence. Or, «les dons familiaux se font dans des conditions ne permettant pas une prise en charge optimale», regrette le Pr Saliou Diop, directeur du CNTS.

C’est pourquoi d’ailleurs, le thème de la journée mondiale de la transfusion sanguine  de 2017 a été : «donnez du sang, donnez maintenant et donnez souvent ». Ceci, afin de renflouer les stocks de sang et assurer précocement la prise en charge des patients dans le besoin.

Touba et les consignes salvateurs du Khalife

Hormis Dakar, seule la ville Touba (centre) réalise un taux au-dessus de la moyenne nationale avec 5000 donneurs de sang en 2016 sur une population de 800.670 habitants. Le chef de service banque de sang de l’hôpital Matlaboul Fawzeyni, Mame Fatou Diop Fall, explique le résultat de sa banque, ouverte en 2005, par «le ndigueul (consigne du guide religieux) et la population (deuxième ville la plus peuplée du pays).

«Avec le ndigueul du marabout, les gens viennent régulièrement donner  de leur sang. Or, certains ne le feraient pas si ce n’était la consigne du guide religieux», explique-t-elle.

«Touba est la seule localité de l’intérieur du pays ayant un hôpital de niveau 3», rappelle-t-elle. Et en tant qu’hôpital national, sa banque de sang est sollicitée par les structures de santé des régions environnantes comme Kaolack.

Le centre de Touba est également le mieux loti de tous les centres régionaux de transfusion sanguine (CRTS) du pays qui font toutefois des tests rapides en matière de traitement de sang. D’après Mme Fall, son unité de transfusion est équipée d’une seule armoire réfrigérée pour la conservation du sang. Elle vient d’être automatisée et informatisée en sérologie.

Situation critique dans le sud

La situation est plus critique à Tambacounda, Sédhiou et Kolda où on obtient moins de 4 donneurs pour 1000 habitants. Kolda enregistre 3,4 pour 1000 donneurs de sang.

Le médecin chef de la région médicale, Yaya Baldé a expliqué à Ouestafnews que cette situation est liée à la faiblesse des infrastructures. Même s’il note des perspectives de renforcement en moyens techniques avec les partenaires pour renforcer les plateaux techniques de la transfusion sanguine.

L’autre facteur plus handicapant, selon Dr Baldé, ce sont les tabous socio-culturels et la faiblesse en ressources humaines dans les banques de sang.

«Le problème se situe surtout au niveau de la collecte et de la disponibilité du sang de qualité. D’où le besoin de renforcer les unités de traitement et de stockage. Il faut une stratégie efficace de sensibilisation pour corriger toutes ces faiblesses.
C’est pourquoi, nous communiquons avec les organisations de jeunes et de femmes pour les sensibiliser», note Dr Baldé.

Il se réjouit toutefois que leur taux de 3,4 pour 1000 soit en nette progression d’année en année.

Une avancée notée globalement car le Sénégal a enregistré une progression de 13 % ces dix dernières années, selon le CNTS. Les dons sont ainsi passés de 69.295 en 2014, à 78.540 en 2015 et 86.161 en 2016.

Par contre 12% des poches collectées sont détruites parce qu’elles ont des maladies comme l’hépatite B, le Vih, etc.

Déficit à combler avant 2021

Dans les régions, «la plupart des banques de sang sont logées dans les hôpitaux sans moyens adéquats», regrette le Pr Diop du CNTS. Pour les équiper, l’Etat a décidé de construire des centres régionaux de transfusion sanguine (CRTS), hors des hôpitaux. En plus des centres de Matam, Louga et Saint-Louis qui sont construits ou en cours de l’être, quatre autres sont prévus dans le cadre d’un plan stratégique 2017-2021 du CNTS.

Ce plan de 11,5 milliards FCFA a pour but principal d’assurer la disponibilité des produits sanguins sécurisés à Dakar et dans toutes les régions.

Même avec son taux de 6,1 pour 1000, le Sénégal dépasse largement la moyenne globale de 3,9 pour 1000 des pays à revenus faibles. Les pays à revenus élevés sont 36,8 pour 1000 contre 11,7 pour 1000 pour les pays à revenus intermédiaires.

FD/dd/ad

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