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Sénégal : comment Dakar assoiffe le monde rural

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Ouestafnews – L’eau potable est inégalement répartie au Sénégal. A elle seule, la capitale Dakar consomme 70% de la production d’eau sur l’ensemble du périmètre affermé de la Sénégalaise des eaux (SDE). Malgré la part belle faite à la capitale, elle n’est pas épargnée par les coupures d’eau.

La population rurale reste le parent pauvre de la politique hydraulique. Au sein de cette frange qui représente 67% de la population, seuls 4% (soit quelques 400 villages) ont accès au réseau de la SDE.

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Selon l’ancien chargé de communication de la Société nationale d’exploitation des eaux du Sénégal (Sonees), Momar Seyni Ndiaye, ce déséquilibre qui caractérise l’approvisionnement en eau obéit à des «raisons». Et celles-ci guident le déséquilibre qui prive une bonne partie de la population de cette eau dont la disponibilité en quantité fait partie des droits humains.

«80 % des salariés sont à Dakar et 75 % des activités y sont concentrées. Donc la clientèle qui paye l’eau est à Dakar. C’est là où il y a plus d’abonnés» explique M. Ndiaye.

Autre argument que Momar Seyni Ndiaye jette dans la bassine : les industries qui payent l’eau à 1200 francs le m3, permettant aux petits ménages de l’acheter à moins de 200 francs, sont en majorité à Dakar.

A cela s’ajoute le fait que la SDE, liée à l’Etat par un contrat d’affermage (relatif à l’exploitation commerciale) est soumise à un certain nombre d’obligations relatives à des investissements. Elle est obligée de privilégier la recherche de rentabilité, selon une source proche de la société qui requiert l’anonymat.

Ce contrat, qui devait prendre fin en 2006, a été renouvelé six fois. A chaque fois qu’il a été prolongé, les obligations d’investissements de la société d’exploitation ont été revues à la hausse.

Dernier argument et non des moindres, selon M. Ndiaye, c’est que «la Sones a aussi l’obligation de contrôler l’exploitation par la SDE. Elle lui exige de vendre 85 % de l’eau produite et établit ses factures sur la base de ce pourcentage de production».

Des clauses balayées d’un revers de la main par l’Institut de recherche, de formation  et d’action pour la citoyenneté, la consommation et le développement en Afrique (Cicodev), à travers une étude sur l’impact de la concession de l’eau sur les consommateurs défavorisés.

Pour l’Association internationale de droit sénégalais, dans un contrat de concession, le secteur privé s’engage à prendre en charge les opérations de gestion et de conduite des installations. Y compris leur extension pour répondre à l’évolution de la demande. L’Etat peut apporter son concours financier soit pour subventionner le service vendu, soit pour prendre en charge une partie des investissements.

La rentabilité à tout prix

Ce souci de retour sur investissement, en plus des disparités entre petits et grands consommateurs, impacte négativement sur l’équité en matière d’accès à l’eau potable et sur la responsabilité de l’Etat envers les populations.

Selon votre lieu de résidence et votre statut social, l’accès à une eau saine et potable varie. La moyenne sénégalaise en manière de consommation étant de 45 litres par jour et par personne, les petits centres ruraux, incapables de développer un système de distribution d’eau classique rentable, ainsi que les centres urbains secondaires aux investissements coûteux, sont ainsi exclus d’un accès décent à l’eau potable des réseaux publics.

Ce mode de gestion de la fourniture d’eau au Sénégal, qu’il émane d’une option politique ou commerciale, n’est cependant pas à une contradiction près. Les populations des zones «pauvres» payent l’eau plus cher que les urbains. En effet, les coûts de l’hydraulique rurale sont plus élevés que ceux de l’hydraulique urbaine.

Dans la tranche sociale, le m3 d’eau (1 000 litres) revient à 189 francs aux Dakarois. Dans les villages, une bassine d’eau ou la bouteille de 20 litres coûte entre 50 et 100 francs. Soit environ cent fois plus cher que pour les urbains.

Pénuries à Dakar, le recours aux nappes

Aux Parcelles Assainies (banlieue de Dakar), la plupart des robinets ne coulent pas en cette matinée de septembre. Les populations veillent pour remplir les bassines. Dans la petite cour à ciel ouvert de la villa n°516, à l’Unité 2,  des dames sont au service pour le repas de midi. Autour d’elles, de grands réservoirs d’eau, fruit d’une quête nocturne qu’elles se doivent de gérer pendant toute la journée.

«Depuis quatre ans nous n’avons pas d’eau. Les techniciens de la Sones sont venus plusieurs fois regarder les installations mais aucune solution n’a été trouvée». Un geste de la main accompagne les propos de Mlle Ndiaye pour pointer une petite installation devant la porte de la maison.

Un tuyau branché à un canal de transfert d’eau leur permet de s’approvisionner la nuit. Les voisins ne manquent pas d’en profiter. Des Parcelles au Cap Manuel, la litanie est la même. Notamment quand on habite sur les zones en hauteur.

Bien que recevant 70% de la production de la SDE, Dakar n’en est pas moins épargnée par les pénuries qui surviennent de façon périodique, affectant principalement les quartiers de sa banlieue.

Capitale politique et économique du Sénégal, Dakar et sa région sont confrontées à une démographie galopante, sur les 15 millions de Sénégalais,  près de 3 millions y vivent.

Selon beaucoup d’observateurs, Dakar est aujourd’hui en train de payer le prix d’un défaut de planification, car les infrastructures de production et de distribution n’ont pas suivi la courbe de croissance de la population.

Pour le cas des Parcelles Assainies, où les populations souffrent le martyre à chaque coupure, l’ex-chargé de communication à la Sonees, Momar Seyni Ndiaye, révèle que le mal des Parcelles-Assainies vient du fait que son réseau est sous dimensionné.

Avec des conduites de petits diamètres (300 à 400 cm), ce réseau secondaire, bien que d’installation nouvelle, ne permet pas de couvrir les besoins des populations.

«Certaines conduites ont été remplacées pour un meilleur paramétrage, mais la population ne cesse d’accroître», confie-t-il.

Dans le but d’apporter une solution durable à ce problème, les nappes sont sollicitées à nouveau avec la mise en place d’une batterie de forages pour approvisionner les zones d’extension et les zones en hauteur.

Un projet qui inquiète, au demeurant, certains scientifiques qui parlent de risques  par rapport à l’avancée de la mer dans les sous-sols.

«Depuis quelques années, les forages ne permettent plus de satisfaire les besoins en eau car les nappes souterraines sont surexploitées et la qualité n’y est plus. Les trous laissés par les opérations de pompage favorisent l’avancée de la mer. Je ne comprends pas pourquoi l’Etat prend le risque d’exploiter à nouveau les eaux souterraines », s’indigne le professeur Saybatou Diop, hydrogéologue  à l’Institut des sciences de la terre (IST) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar.

A la SDE, le directeur de la communication, Ndiaya Diop, ne manque pas de réponse. Cette batterie de forages installés dans certaines parties de la capitale, confie-t-il, permet de répondre ponctuellement à des besoins urgents.

Mais le président de la Commission développement et aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, le député Cheikh Seck, soulève un autre problème. Selon lui, l’Etat perd surtout 15 milliards de m3 dans le transport de l’eau du barrage de Diama sur le fleuve Sénégal vers le Lac de Guiers.

«Ce  barrage n’étant pas un barrage de stockage, nous perdons beaucoup d’eau par jour», s’indigne-t-il. Pour lui, l’option première de l’Etat devrait être la valorisation de cette quantité d’eau en la drainant vers l’intérieur du pays pour développer le secteur agricole et de l’élevage.

Selon un document du ministère sénégalais de l’Hydraulique et de l’Assainissement, consulté par Ouestaf News, le taux national d’accès par adduction d’eau potable s’établit à 74% en 2016, contre 69,85% en 2014. Cela fait une évolution positive de 4,15  points.

MCS/mn/ad

 

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