Ouestafnews (En collaboration avec la WADR) – La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest vient de demander à l’Etat sénégalais de revenir sur sa décision de reporter l’élection présidentielle. Initialement prévue le 25 février 2024, cette présidentielle a été reportée au 15 décembre 2024, suite à un vote de l’assemblée nationale. Dans cet entretien avec la West Africa Democracy Radio (WADR), le Dr Romaric Lucien Badoussi, enseignant en science politique à l’Université de Parakou (Nord du Bénin) donne sa lecture de la position de la Cedeao.
Question – Suite à la déclaration du président Macky Sall de reporter par décret l’élection présidentielle, le parlement sénégalais a adopté ce 5 février 2024, la proposition de loi pour renvoyer le scrutin au 15 décembre 2024. Cette décision viole clairement le protocole additionnel de la Cedeao. Quelle pourrait être la réaction de l’organisation sous régionale par rapport à ce report acté par une loi ?
Dr Romaric L. Badoussi – La situation politique qui prévaut actuellement au Sénégal est extrêmement préoccupante. Je crois qu’elle ne devrait pas laisser la Cedeao indifférente.
Déjà il y a d’autres crises politiques dans la sous-région qui font qu’elle a beaucoup perdu en termes de légitimité. Son image est écornée à cause de la gestion qu’elle fait de la situation dans les pays ayant connu des coups d’État militaires. Je crois que c’est l’occasion pour elle de montrer à la face du monde qu’elle n’est pas dans une logique de deux poids deux mesures.
Cela dit, comme vous l’avez souligné, on peut considérer qu’il y a une violation du protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance. Ce protocole en son article 2, alinéa 1, interdit toute modification substantielle de la loi électorale dans les six mois qui précèdent l’élection. L’élection était prévue le 25 février 2024, et le mandat du président Macky Sall est censé prendre fin le 2 avril 2024.
On est en droit de penser que la Cedeao intervienne pour essayer de remettre les pendules à l’heure. En 2009, au Niger, le président Mamadou Tandja, qui était au bout de son deuxième mandat, s’est laissé aller dans des manœuvres en dissolvant l’Assemblée nationale, et en révoquant la Cour constitutionnelle dans le but d’organiser un référendum qui puisse lui ouvrir la voie à un troisième mandat. A l’époque, la Cedeao est montée au créneau et a suspendu le Niger de ses instances. L’organisation a justifié sa décision par le fait que la modification de la loi électorale ne pouvait intervenir six mois avant l’élection.
Il me semble que nous sommes dans le même cas de figure au Sénégal. La Cedeao devrait donc monter au créneau, intervenir pour remettre les pendules à l’heure.
Q – Le président Macky Sall fait partie de ces chefs d’État influents au sein de la Cedeao. Est-ce qu’une décision de suspension du Sénégal sera facile à prendre pour l’ensemble des chefs d’État ?
Dr RLB – Aujourd’hui, la Cedeao est à la croisée des chemins. Il s’agit pour elle de montrer si elle est respectueuse de ses propres principes ou si elle doit tenir compte de la personnalité en jeu pour prendre cette décision. Moi, je crois qu’aujourd’hui, elle est mise à l’épreuve. Et l’attitude qu’elle aura face à cette situation restaurera plus ou moins son image ou continuera à dégrader davantage cette image.
Q – Nous avons vu une Cedeao ferme face aux régimes militaires des Etats ayant connu des putschs. Dans son deuxième communiqué sur la situation au Sénégal, elle appelle les autorités sénégalaises à restaurer le calendrier électoral conformément à la Constitution du pays. Est-ce qu’on peut s’attendre à une décision plu forte ?
Dr RLB – La Cedeao a une disposition dans le même protocole additionnel qui interdit les prises de pouvoir par des moyens anticonstitutionnels. Et à mon analyse, la Cedeao considère comme prise de pouvoir par des moyens anticonstitutionnels essentiellement les coups d’État militaires. Jusque-là, ce sont les coups d’État militaires qui ont déclenché son intervention énergique et les sanctions.
Les autres formes de remise en cause de l’ordre constitutionnel, comme les coups d’État civils, ne font pas l’objet condamnation. Enfin, dans la pratique, ne font pas l’objet des condamnations par la Cedeao.
C’est ce qu’on observe. On attend de voir si cette fois-ci, elle ira plus loin que ce que nous avons observé jusque-là.
Propos recueillis par Sanni Moumouni (WADR), retranscription Ouestaf News.
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