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Qu’est-ce que la dette fiscale, objet d’une polémique au Sénégal ? (Fiche d’information)

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Ouestafnews – Au Sénégal, la dette fiscale a été au centre d’un débat en 2024 lorsque des médias ont été enjoints par les autorités de payer des arriérés d’impôts, certaines structures ayant vu leurs comptes bloqués. De quoi s’agit-il ? Est-ce de la fraude fiscale ? Ouestaf News propose des éléments de réponses sur ce sujet, qui peut concerner des entreprises comme des particuliers.

Le 18 mars 2024, Macky Sall, encore président du Sénégal, a reçu une délégation du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (CDEPS), rassemblant des patrons de presse du public et du privé. Il leur a annoncé sa décision d’effacer « des impôts et taxes dus par (leurs) entreprises jusqu’en décembre 2023 », d’après une publication partagée le 18 mars 2024 par la présidence sénégalaise sur Facebook (version archivée ici). Macky Sall a quitté le pouvoir quelques semaines plus tard, à la suite de l’élection du 24 mars 2024 à laquelle il n’était pas candidat.

Selon un communiqué diffusé le 18 mars 2024 par le CDEPS, la presse sénégalaise « avait bénéficié d’une exonération de toutes les taxes et de tous les impôts, du 1er janvier au 31 décembre 2021 » pour l’aider à se remettre de la pandémie due à la maladie du coronavirus 2019 (Covid-19).

Lors de la rencontre du 18 mars 2024, Macky Sall « a réitéré sa promesse d’effacement de toutes les dettes fiscales des entreprises de presse pour toute la période antérieure au 31 décembre 2023 », a affirmé dans ce communiqué un porte-parole du patronat de presse, Mamadou Ibra Kane. « Cet effacement comprend également les redevances dues par les entreprises de presse à l’ARTP », l’Agence de régulation des télécommunications et des postes, a ajouté M. Kane, sans préciser de montant.

Dans une dépêche mise en ligne aussi le 18 mars 2024 (version archivée ici), et citant un responsable du patronat concerné, l’Agence de presse sénégalaise (APS, officielle) a fait état d’une « dette fiscale des entreprises de presse du Sénégal estimée à plus de 40 milliards de francs CFA ».

Changement de donne avec l’arrivée au pouvoir du Bassirou Diomaye Faye, ayant pris ses fonctions en avril 2024, et de son Premier ministre Ousmane Sonko : l’État est revenu sur la mesure et a demandé aux organes de presse de payer les impôts dus.

En signe de protestation, des médias sénégalais ont observé le 13 août 2024 une « journée sans presse » à l’appel du CDEPS.

Qu’est-ce qu’une dette fiscale ?

« La dette fiscale, c’est tout simplement un impôt qui n’a pas été payé », résume à Ouestaf News Mohamadou Boye, juriste-fiscaliste et enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal. En d’autres termes, il s’agit d’un impôt dû au Trésor public mais qui n’a pas été versé à la date prévue.

Le fait de ne pas payer cet impôt obligatoire entraîne une créance vis-à-vis de l’État, donc, une dette fiscale vis-à-vis de l’État, indique de son côté Ahmet Lamine Babou, inspecteur des impôts, également contacté par Ouestaf News. « La déclaration de l’impôt ou l’apparition de certains faits ou événements juridiques appelés “faits générateurs” font naître une dette fiscale », ajoute-t-il.

En d’autres termes, qu’Ouestaf News emprunte au monde du football, le « fait générateur » est comme le coup de sifflet qui marque le début du match : c’est là que commence le jeu fiscal entre la personne qui doit payer les impôts ou taxes, c’est-à-dire le contribuable, et l’administration fiscale, au nom de l’État.

La dette fiscale « peut être réclamée en même temps que la déclaration ou selon un échéancier déterminé. Passé ce délai fixé, la procédure de recouvrement forcé est susceptible d’être entamée », indique encore Ahmet Lamine Babou. En clair, c’est comme une accumulation d’amendes impayées que l’État peut demander de régler en une fois ou selon un plan défini. En cas de refus de payer ou de non-respect des délais impartis, l’État peut ordonner des saisies de biens ou revenus de la personne, de l’entreprise ou de l’organisation concernée.

Selon l’inspecteur des impôts Ahmet Lamine Babou, toute entité ou individu soumis à des obligations fiscales peut accumuler une dette fiscale. Cela inclut les particuliers, les entreprises, les organisations à but non lucratif, voire les entités gouvernementales elles-mêmes. Les raisons de l’accumulation de dette fiscale peuvent varier, allant de difficultés financières temporaires à des tentatives délibérées d’évasion fiscale.

Photo utilisée à titre d’illustration. © Pexels/Nicola Barts

Quels sont les différents types de dettes fiscales ?

Selon LegalPlace, plateforme française dédiée notamment à l’information juridique pour le public, pour une société, une dette fiscale peut concerner le non-paiement à l’État de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; le non-règlement des cotisations sociales ; des défauts de versement de l’impôt sur les sociétés et même des impayés de salaires.

« En règle générale, une telle dette résulte d’un contrôle fiscal ou d’un changement soudain de revenus », précise LegalPlace dans un guide sur la dette fiscale, mis à jour pour la dernière fois le 21 novembre 2023 (version archivée ici) lorsqu’Ouestaf News l’a consultée pour les besoins de cet article.

L’impôt sur les sociétés, c’est ce que paient les entreprises sur leurs bénéfices, tandis que les impayés de salaires sont le fait d’employeurs qui ne versent pas les salaires dus à leurs employés. Un particulier peut se retrouver endetté vis-à-vis de l’État parce qu’il n’a pas payé les droits de succession qu’il devait, la taxe sur les plus-values immobilières, la taxe foncière ou l’impôt sur le revenu, par exemple.

Impôt, dette fiscale, évasion fiscale…

On peut croire que dette fiscale et impôt désignent la même chose, mais ce n’est pas le cas, explique encore à Ouestaf News l’inspecteur des impôts Ahmet Lamine Babou.

L’impôt est une taxe payée par les citoyens ou les entreprises pour financer les activités de l’État, alors que la dette fiscale est un manquement au paiement de l’impôt. Elle représente un passif dans le bilan d’une entreprise ou d’un individu, précise M. Babou.

Une dette fiscale n’est pas non plus de la fraude fiscale, affirme à Ouestaf News Mohamadou Boye, l’enseignant à l’Université de Saint-Louis : la dette fiscale représente un impôt non payé, tandis que la fraude fiscale implique une tentative délibérée d’échapper à l’impôt par des moyens illégaux.

Selon l’inspecteur des impôts Ahmet Lamine Babou, le fraudeur fiscal cherche à empêcher l’existence d’une dette fiscale en utilisant des méthodes illégales. « La fraude fiscale représente une soustraction ou une tentative de soustraction volontaire au paiement d’une partie ou de la totalité d’un impôt. Elle est généralement corrigée par une procédure de rappel de droits engagée par l’administration fiscale », détaille M. Babou.

Que faire face à une dette fiscale ?

Selon le fiscaliste Mohamadou Boye, une personne ou une entreprise qui se trouve dans une situation de dette fiscale peut réagir de trois manières. « Tout d’abord, nous avons le paiement de l’impôt dû, ce qui efface la dette. Il existe également la remise gracieuse, c’est-à-dire que le contribuable demande au ministre des Finances à ne pas payer l’impôt, parce qu’il a des difficultés financières avec des pièces justificatives », poursuit M. Boye. Cependant, indique-t-il, un contribuable peut choisir de ne pas payer la somme due. Ce scénario, qui est le plus risqué, entraîne une accumulation d’intérêts de retard, alourdissant le montant dû.

De plus, avertit l’inspecteur des impôts Ahmet Lamine Babou, l’administration fiscale peut recourir à des mesures coercitives, telles que des saisies de biens, pour recouvrer la dette.

Photo utilisée à titre d’illustration. © Pexels/Mohamed Hamdi

C’est ainsi que le groupe de presse privé WalFadjri a vu, en juin 2024, « ses comptes bancaires bloqués par les impôts », selon son récit dans un article publié le 13 juin 2024 sur son site (version archivée ici). Les services fiscaux lui réclamaient « des impôts de 2016 à 2018 », a-t-il ajouté, sans en préciser le montant.

Dans son journal paru le 15 juin 2024 (version sauvegardée par Ouestaf News ici), WalFadjri a annoncé que le blocage de ses comptes a été levé après le « paiement d’un acompte sur la somme due aux services du fisc ». Montant versé : un peu plus de 64 millions de FCFA.

Quel est le montant global de la dette fiscale au Sénégal ?

Depuis le début de la polémique au sujet de la dette fiscale de la presse au Sénégal, des chiffres ont été avancés pour ce secteur, mais les recherches d’Ouestaf News ne lui ont pas permis de disposer d’estimations pour tout le pays et tous les secteurs (public, parapublic, privé).

Ouestaf News a sollicité la Direction générale des Impôts et Domaines (DGID) du Sénégal, organisme gouvernemental. L’administration fiscale a promis d’accorder à Ouestaf News un entretien, qui a fait l’objet de plusieurs échanges, sans être suivi d’effet jusqu’à la mise en ligne de ce texte.

Cette fiche d’information sera actualisée lorsque Ouestaf News recevra les réponses de la DGID qui, selon son site, « est compétente pour tout ce qui concerne les impôts directs et taxes assimilées ; les impôts indirects et taxes assimilées autres que ceux exigibles à l’importation et à l’exportation », entre autres matières (version archivée ici).

DD-cs/ts


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