«Pendant presque 10 ans, Landing Savané a reçu de mes mains ou des autres collaborateurs du président de la République, 30 millions de francs CFA tous les mois, et jamais il n’a partagé cet argent avec ses camarades », a déclaré le Premier ministre lors d’un meeting politique tenu à Ziguinchor (sud) le 22 mai 2011.
Non seulement Landing Savané, jadis opposant rigoureux et intègre n’a pas démenti qu’il percevait de l’argent contre son soutien à Abdoulaye Wade, mais il a enfoncé le clou en précisant n’être pas le seul bénéficiaire des « largesses » du président Wade.
« Oui j’ai bénéficié de cet argent », a-t-il admis ajoutant qu’il l’a fait « au même titre que les responsables des autres partis alliés du PDS », le Parti démocratique sénégalais, au pouvoir.
C’était suffisant pour jeter le discrédit sur l’ensemble de la classe politique et mettre à nu des pratiques que tous les Sénégalais soupçonnaient depuis l’arrivée de Wade au pouvoir : l’origine douteuse de l’enrichissement de plusieurs leaders politiques et membres du gouvernement dont le niveau de vie affiché en public dépasse de loin les possibilités financières d’un poste ministériel, quel qu’en soit par ailleurs les avantages.
La presse locale sénégalaise s’est vite emparée de l’affaire et demande des comptes depuis, ainsi qu’un assainissement des mœurs politiques, pourries par l’argent.
Certains analystes se sont lancés dans des calculs pour affirmer que selon le montant annoncé par le Premier ministre, les largesses du président Wade au profit de son allié Savané, s’élèvent à 3,6 milliards, si l’on fait le total sur les dix ans comme le prétend le directeur de campagne du Président Wade.
Cette extrapolation a susicté une question que se pose tout le monde et qui installe la colère dans les foyers démunis : combien de milliards ont été distribués à l’insu et au préjudice du peuple sénégalais, par le Président de la république si comme le prétend Landing Savané pour sa défense, tous les leaders de la cap 21 (une coalition qui compte des dizaines de partis réunis autour de lui) ont reçu ou continuent de recevoir la même somme mensuellement ?
La « révélation de Ziguinchor » qui tentait d’affaiblir un allié entré dans la dissidence se révèle aujourd’hui néfaste pour le président Wade, dont les pratiques clientélistes et les méthodes peu orthodoxes sont mises à nu et confirmées par un membre de son camp, comme jadis dans l’affaire Alex Segura, du nom de ce représentant du Fonds monétaire international à Dakar, parti de la capitale sénégalaise avec une malette remplie de devises et offerte par le président Wade.
« En révélant avoir remis autant d’argent à Landing Savané, le Premier ministre se noie dans la gabegie au sommet de l’Etat du Sénégal et le financement occulte de partis politiques », commente Georges Nesta Diop du quotidien Walfadjri (privé). Ce dernier estime d’ailleurs que « le peuple est en droit de demander dans quelle caisse cette manne financière a été puisée pour monnayer le soutien d’une cinquantaine de partis politiques… ».
Amath Dansokho, un ancien allié de Wade devenu un de ses détracteurs au même titre que l’homme au centre de la controverse, estime pour sa part que le Président Wade a eu lui aussi à bénéficier des largesses de son prédécesseur Abdou Diouf, au temps où celui-ci était au pouvoir.
« Tous les week-end, il avait de l’argent. En ce moment, il était dans le gouvernement, il y avait des fonds politiques qui lui avaient été alloués. C’était la somme de 5 millions de FCFA chaque week-end. Il ne l’a jamais dit, et il ne le dira pas », a dénoncé M. Dansokho dans une interview au journal le Populaire (privé).
Cette énième affaire de scandale financier, ajouté à la révélation par la presse de l’achat par le président Abdoulaye Wade d’un terrain au prix de 1,3 milliards suscite l’indignation des Sénégalais, dans un pays sans électricité et où certaines familles dorment sur le toit de maisons inondées depuis plus de deux ans.
Pour Babacar Diop retraité de 64 ans, cette affaire qui suscite la polémique n’est quand même pas une « nouveauté », car « la presse avait révélé un cas similaire, il y a quelques années et les mis en cause, par l’intermédiaire de Iba der Thiam (un autre allié du Président Wade) avaient confirmé qu’ils recevaient de l’argent chaque mois pour avoir contribué à l’avènement de l’alternance ».
« Quand on écoute aujourd’hui Landing Savané, on entend la même justification, en somme le régime de Wade et ses alliés ont fait de l’alternance une fin, alors que cela devait être le début d’un Sénégal nouveau », se plaint ce retraité.
« Au final, je pense qu’il faut se mobiliser et signer une pétition pour demander la restitution de la totalité des sommes versées qui ne sont autre que l’argent du malheureux contribuable », estime pour sa part Makhtar Niang étudiant en droit, interrogé par Ouestafnews.
« Beaucoup de femmes et de jeunes sont à la recherche de 300.000 FCFA ou même 100.000 FCFA qu’ils peinent à trouver pour démarrer un petit commerce, ouvrir un atelier, alors, entendre que de telles sommes sont versées comme ça à une seule personne, cela fait mal », proteste Marie Seck, coiffeuse rencontrée à Guédiawaye dans la banlieue dakaroise qui se demande combien de projets tout cet argent aurait pu financer.
Mais sous le régime du président Wade, la gestion des deniers publics est plus que problématique et les scandales financiers ne se comptent plus.
En plus de l’affaire Segura évoquée plus haut, le scandale des chantiers de Thiès, sur laquelle la vérité reste toujours attendue des Sénégalais, de même que sur la gestion controversée des fonds mobilisés par l’Agence nationale de la conférence islamique (Anoci, chargée de l’organisation d’un sommet tenu en mars 2008 à Dakar), ou encore les transactions obscures ayant permis la construction du monument de la Renaissance…
Les scandales se succèdent à un rythme tel qu’en Mai 2010, l’ambassadeur des Etats Unis, Marcia Bernicat, est sortie de sa réserve diplomatique pour relayer publiquement les préoccupations de son gouvernement quant à la gestion du président Wade dénonçant « la corruption » rampante qui règne au sommet de l’Etat sénégalais.
Comme pour mieux se mettre à l’abri de toute mauvaise surprise, dans son édition du 24 mai 2011, le journal privé «Le quotidien » révélait que le gouvernement travaillait sur un amendement de la loi contre le blanchiment d’argent. Un amendement qui selon le journal vise à rogner les prérogatives de la Cellule nationale de traitement de l’information financière (Centif) dont les dossiers transmis au « procureur de la république » pourraient ainsi être classés sans suite. Une manière trop gauche de protéger tous ceux ayant acquis des fonds de manière douteuse ces dernières années et sur qui pourraient peser d’éventuelles poursuites.
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