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Sénégal : Haro sur la transhumance !

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Terme repris du règne animal, lorsque les troupeaux migrent d’une région à l’autre à la recherche d’espaces plus cléments, le mot en fait son entrée dans le Mexique politique sénégalais et n’est pas prêt d’en sortir. Et pourtant ce n’est pas faute d’avoir été dénoncée par des simples citoyens dépités et autres défenseurs de plus de valeurs et d’idéal en politique.

« Les gens migrent parce qu’ils veulent se rapprocher du chef de l’Etat et de son parti, même si ce dernier est minoritaire », Ibrahima Sow, chercheur et directeur du Laboratoire de l’Imaginaire de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan, basé à Dakar).

Pour ce chercheur, c’est le système politique sénégalais lui-même, caractérisé par l’omnipotence du président qui engendre la transhumance.

« C’est ce que l’on constate avec Macky Sall, dont l’appel à la ‘massification’ de son parti encourage actuellement la transhumance », ajoute- t-il. D’où, explique-t-il, la disparition de ce phénomène qui a fini de ruiner la réputation de l’ensemble de la classe politique, passe forcément par une réforme politique, et notamment le statut même du président de la république qui, dans le système actuel, est au « centre de tout ».

Le chercheur n’hésite pas d’ailleurs à proposer une mesure radicale pour mettre fin à ce qu’il nomme un « politisme navrant » qui ravage la société sénégalaise : un mandat unique pour tout président de la république et son renoncement à toute appartenance politique.

« D’habitude durant le premier mandat, le président ne travaille pas il passe tout son temps à penser à sa réélection, le mandat unique lui permettra d’échapper aux problèmes politiciens, à la pression des syndicats, des marabouts… » explique Ibrahima Sow qui s’exprimait le 30 avril 2014 à Dakar lors d’un débat organisé sur une question qui commence à excéder nombre de Sénégalais.

D’ailleurs pour la  journaliste Eugénie Rokhaya Aw, derrière le mal fait à la société sénégalaise, la transhumance est une « violation faite à la démocratie et aux démocrates (…) nous devons tous en faire un vrai combat ».

Une lutte qui devrait nécessiter « l’implication de toute la société civile, tout comme les partis politiques », affirme Iba Mar Faye, membre du Mouvement de jeunes « Y’en-a-marre », qui s’était fait remarquer par une forte mobilisation contre le régime d’Abdoulaye Wade en 2012, mais que l’on voit de moins en moins sur les terrains depuis l’arrivée de l’actuel président Macky Sall au pouvoir.

Pour un bon nombre de Sénégalais situés en dehors de la pléthore de partis politiques, il ne fait aucun doute que la transhumance est directement et étroitement liée à la corruption, à la mauvaise gouvernance, à l’impunité qui sévissent toujours dans les hautes sphères de l’Etat, en dépit des changements de régime et du choix des citoyens de changer de démarche, exprimé à chaque grande élection depuis 2000.

La pléthore de partis politiques – dont la plupart brille par leur manque de vision, de convictions et d’une large base de militants solides – a aussi été identifiée comme un des facteurs favorisant la transhumance.

« Si l’économie est aux mains d’une poignée d’entreprises souvent étrangères, les politiciens en mal de prébendes n’ont que l’Etat comme dernier ressort », soutient Abdourahim Sy, un jeune étudiant en sociologie.

A l’approche des élections locales, prévues en Juin 2014, le ralliement d’anciennes figures du Parti démocratique sénégalais (PDS, ex-parti au pouvoir) a valu au président Sall de vives critiques au niveau de l’opinion publique et au sein même de son parti, certains militants ayant exprimé publiquement leur désaccord.

Sur le réseau social des internautes sénégalais ont créé le mot-clé #transhumancezéro pour dénoncer l’attitude du président Sall, qui en dépit de ses promesses de « gouvernance vertueuse », est en train de reproduire les pratiques de son prédécesseur et ancien mentor, Abdoulaye Wade.

« La transhumance, phénomène irrespectueux vis-à-vis de l’éthique et de la morale reste, du du point de vue de son ampleur, une ‘spécialité sénégalaise’ » a déploré l’écrivain Mody Niang, auteur de plusieurs brulots sur les douze années de gestions de l’ex-président Abdoulaye Wade.

Donnant l’exemple de la Côte d’Ivoire, Mody Niang rappelle qu’en 1999, quand le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) perdait le pouvoir après 39 ans de gestion, à l’exception notable de Laurent Dona Fologo tous les dignitaires sont restés fidèles au parti, rappelle-t-il.

La transhumance est une vielle pratique au Sénégal qui remonte au temps de Léopold Sédar Senghor comme l’ont rappelé certains intervenants, mais selon Mody Niang elle s’est beaucoup aggravée durant le magistère d’Abdoulaye Wade.

Ce phénomène qui fait la particularité du monde politique sénégalais a aussi été évoqué par l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo (décédé en 2006) dans son dernier ouvrage titré : « A quand l’Afrique ? » et publié en 2004

Dans ce livre entretien avec René Holenstein, le professeur Ki-zerbo déplorait la migration de plusieurs dignitaires du Parti socialiste vers le Parti d’Abdoulaye Wade au lendemain de leur défaite en 2000. Le même phénomène s’est reproduit après le changement intervenu en 2012, lorsqu’on a vu de hauts dignitaires ayant loyalement servi sous Wade pendant tout son magistère rallier sans gêne le nouveau pouvoir.

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