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Sénégal : la guerre du poisson

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Cette polémique est née de la désapprobation de la décision du gouvernement par des acteurs du secteur et de la société civile internationale qui dénoncent un « bradage des ressources halieutiques » du Sénégal, notamment les espèces pélagiques (petites espèces) concernées par la vingtaine de licences.

« Certaines ressources pélagiques partagées, présentes en haute mer (…) sont très insuffisamment
exploitées par notre flotte nationale de pêche aussi bien artisanale qu’industrielle qui ne peut opérer à cette distance, c’est-à-dire dans des zones de pêche comprises entre 20 et 35 miles nautiques (entre 37 et 65 km) », précise le ministère sénégalais de l’Economie maritime à travers un communiqué publié pour justifier sa décision qui n’arrive pas à faire l’unanimité au sein de la corporation.

Selon le ministère, ces ressources pélagiques sont constituées par un « stock migrateur », partagé avec le Maroc, la Mauritanie, la Gambie et la Guinée- Bissau. A l’instar du Maroc et de la Mauritanie qui exploitent ces ressources, « le Sénégal a donc souverainement décidé d’exploiter une partie afin que le trésor public puisse en bénéficier », précise le gouvernement.

Le Groupement des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal (Gaipes, regroupement d’entreprises) a vite sonné l’alerte en disant désapprouver totalement l’action des autorités. Son président Saer Seck, dans une interview publiée par le journal L’Observateur (quotidien privé) dans son édition du 28 mars 2011 bat en brèche les arguments de l’Etat.

« On nous dit que ce sont des stocks qui sont en haute mer et qui sont inaccessibles à la pêche artisanale, mais en même temps les autorisations qu’on donne aux bateaux russes sont à partir de 20 miles, soit 30 kilomètres à partir de la côte. A partir de cette distance la plus petite pirogue dotée d’un moteur y va », affirme M. Seck. Pour lui l’argument de l’inaccessibilité de ces ressources est une « grosse farce ».

Selon M. Seck l’Etat devrait plutôt mettre en place une politique « de prudence » qui permette de préserver les ressources et l’écosystème marin. Or, affirme-t-il « aujourd’hui on est en train de tout faire, sauf cela ».

Sur le plan financier aussi, le Gaipes est notamment loin d’approuver la démarche du gouvernement. Pour son président, les navires étrangers qui ont une capacité de 30.000 tonnes chacun vont pêcher en quelques mois plus de la totalité de la production artisanale et industrielle du Sénégal.

« Comment peut–on accepter que des étrangers pêchent dans nos eaux cette valeur de 147 milliards de FCFA, une valeur minimale qui peut être doublée et que l’Etat du Sénégal n’en récupère que 5 milliards de FCFA », se demande-t-il. D’après les explications de M. Seck, le gouvernement a fixé au navires étrangers, le prix de 17 FCFA par kilogramme alors que le prix de base est de 500 FCFA par Kg.

« Nous pensons véritablement que le ministre (Ndlr : Khoureichy Thiam, ministre sénégalais de l’Economie maritime) doit revoir sa copie, d’autant plus que les arguments qui sont avancés pour justifier véritablement l’octroi de ces licences à ces navires (…) ne tiennent pas », lance de son côté Gora Ndiaye du Réseau sur les politiques de pêche en Afrique de l’Ouest joint au téléphone par Ouestafnews. Selon lui, les ressources pélagiques qui sont très importantes pour la sécurité alimentaire, constituent un enjeu socio-économique qui va au delà de l’argument budgétaire brandi par les autorités sénégalaises.

« Il faut tenir en compte des avis scientifiques mais aussi des enjeux nationaux en termes d’accès, puisque la priorité devrait être réservée aux navires nationaux plutôt qu’étrangers », a-t-il indiqué lors de l’entretien.

Par delà les acteurs locaux, la question intéresse également la société civile internationale, notamment l’association écologiste Greenpeace qui s’est immiscée dans le débat.

La décision du gouvernement sénégalais d’octroyer ces licences de pêche ne fera « qu’accélérer le pillage des zones de pêche de l’Afrique de l’Ouest, autrefois abondantes en poissons », affirme Greenpeace dans un communiqué transmis à Ouestafnews.

L’organisation de défense de l’environnement qui demande au gouvernement sénégalais de revenir sur sa décision estime que le Sénégal n’échappe pas à « l’état tragique » dans lequel se trouve les stocks de poisson dans le monde.

Citant un rapport de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao), Greenpeace souligne que « 32% des stocks de poissons vendus sont soit surexploités, soit épuisés ou soit en reconstitution. Plus de la moitié de ce qui reste est pleinement exploitée, tandis que seulement 15% sont sous exploités ou modérément exploités ».

Selon des recherches effectuées par Ouestafnews, les stocks de petits pélagiques sont composés d’espèces dont les plus connues sont la sardine, les sardinelles, le maquereau, l’anchois, le chinchard… En termes de tonnages, ces espèces représentent en moyenne, près de 80 % des captures réalisées en Afrique de l’ouest notamment au Cap Vert, en Gambie, en Guinée, en Guinée Bissau, au Sénégal et en Sierra Leone.

Au Sénégal, la pêche représente environ 2,5 % du Produit intérieur brut (PIB), elle occupe 600.000 personnes, dont 400.000 dans la pêche artisanale. Selon des chiffres de l’Institut de Recherches pour le Développement, la pêche avait rapporté au Sénégal 185 milliard de FCFA en 2007. Selon l’Agence nationale de la statistique et la démographie, la production de la pêche artisanale avait à elle seule atteint une valeur de plus de 144 milliards FCFA.

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