Ouestafnews – Plus de deux millions de tonnes et demi, soit une hausse de 20% par rapport à 2017 et de 54% par rapport à la moyenne des cinq dernières années. Ce sont là, les estimations préliminaires concernant la production céréalière de la campagne agricole 2017/2018.
Les chiffres font rêver et témoignent de la bonne marche du secteur agricole vivrier au Sénégal. Toutefois, dans le petit village de Boly, situé à trois kilomètres de la ville de Djilor, dans la région de Fatick (centre du Sénégal), cette bonne marche du secteur agricole n’est qu’un lointain écho qui parvient de temps en temps aux habitants, leur rappelant l’époque où le village s’épanouissait dans l’agriculture. Pour retrouver cette période faste, il faut remonter à une décennie en arrière.
«Nous qui vivions directement de la terre, nous n’avons plus rien à cause du sel», se plaint Sadioukha Ndiaye, le chef de village. Pour lui, ces chiffres, avancés par les autorités, ne concernent que ceux qui ont des domaines agricoles et qui vendent leurs récoltes.
La salinisation des terres demeure une réelle menace pour la sécurité alimentaire au Sénégal. Le phénomène, selon Mame Yacine Badiane Ndour, chercheuse à l’Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA), touche plus d’un million d’hectares de surfaces cultivables dans les régions côtières. Ce qui équivaut à 10.000 km2, soit, plus de deux fois la superficie d’une région comme Diourbel (centre du Sénégal).
La salinisation est liée au déficit pluviométrique qui s’accentue d’année en année, favorisant la remontée du sel dans plusieurs vallées où se pratique la riziculture, selon Amadou Baldé, Expert Agronome au projet d’appui à la petite irrigation locale (PAPIL).
L’agriculture pluviale étant encore sa principale activité, la région de Fatick se voit doublement affectée par cette situation. Car devant faire face au retard des pluies et à la remontée des langues salines qui grignotent de plus en plus la superficie agricole utile, estimée à 395.400 ha, selon l’expert agronome.
Ces impacts sont visibles dans la localité de Boly où la détérioration de la vallée est occasionnée par la rupture en 2010 de la digue anti-sel qui permettait aux 365 habitants du village ainsi qu’à quatre autres localités environnantes d’exploiter une vallée de 137 ha.
Envahi par le sel, ce qui était jadis une succession de rizières verdoyantes, et d’aires de pâturage pour les troupeaux, s’est transformé en un espace lunaire où scintillent au soleil des multitudes de cristaux de sel. De loin, ces cristaux éblouissent. Mais cette beauté acide installe progressivement des centaines de personne dans l’insécurité alimentaire.
Dans cet espace où même le vent semble statique, rien ne bouge. «Même les oiseaux ont disparu», dit le chef de village désignant ses anciennes rizières dans un large mouvement de bras.
Exode rural
Avec la culture du riz, les habitants des localités qui dépendaient de la vallée, avaient selon leurs dires, réussi à se mettre à l’abri d’une insécurité alimentaire : «On vivait avec nos récoltes tout le long de l’année, et jusqu’en 2010 nous étions nombreux dans ce village à ne pas connaître le prix du kilogramme de riz importé», affirme le chef de village.
Dans ces contrées de l’intérieur du Sénégal, l’agriculture joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire en raison de la proportion élevée de ménages qui en dépend.
Dans le programme national d’appui à la sécurité alimentaire et à la résilience (PNASAR 2018- 2022), on peut lire que 46,7% des ménages sénégalais s’activent dans l’agriculture et d’autres en tirent leurs revenus dans des chaînes de valeurs annexes.
Aujourd’hui, les habitants de ce petit village, pour combler ce manque se tournent de plus en plus vers le riz importé. Cette céréale est l’une des denrées les plus consommées au Sénégal. Le Conseil interministériel tenu en février 2017, indique que le Sénégal a importé 891 068 tonnes de riz en 2016.
Sadioukha Ndiaye dit consommer quatre kilogrammes de riz par jour. Il fait lui-même le décompte : «à 275 FCFA le kg, je dépense plus de 300 milles FCFA, en riz dans l’année». Ce qui représente selon lui, une somme énorme pour cet ancien cultivateur qui ne compte plus pour vivre que sur l’argent que lui envoient ses enfants partis chercher du travail en ville.
Ces départs ont fini par presque vider le village et traduisent le phénomène de l’exode rural qui frappe certaines localités du pays. «Ils sont partis dans les grandes villes comme Kaolack, ou Fatick, parfois Dakar, ce sont eux qui soutiennent les familles», explique un habitant du village.
L’exode rural est également l’une des conséquences de la salinisation des sols. N’ayant plus de terres fertiles à cultiver, certains cultivateurs préfèrent rallier les villes pour trouver du travail.
Difficile récupération
A quelques kilomètres, non loin de la ville de Fatick, le village de Fayil, lui, est en train de réussir sa bataille contre le sel. Même si à l’entrée du village, subsistent encore des étendues vides tapissées de fines pellicules de sels et parcourues de quelques plantes rampantes, qui sont visiblement résistantes au sel.
C’est sur ces étendues peu généreuses que des femmes tentent vaille que vaille de faire pousser des céréales. En cette journée du mois de novembre elles sont occupées à battre des arachides qui sont la principale culture de la localité.
A cause de la langue de sel qui avait envahi leurs terres, le village de 15.000 habitants avait vu ses récoltes baisser de manière spectaculaire. Grâce à la réalisation de trois digues anti-sels, la tendance s’est renversée. «Nous sommes passés de 500 kg à l’hectare, à cinq tonnes pour la même superficie», explique Théophile Ngom, cultivateur et habitant du village.
L’implantation des digues a aussi permis la récupération de 280 hectares de terre. Bien avant l’érection de ces structures, les villageois pratiquaient des techniques locales pour espérer reprendre au sel quelques parcelles et les rendre cultivables.
«Ce n’est pas une méthode définitive comme les digues, mais au moins, on arrive à cultiver même si le rendement restait à désirer», souligne Théophile Ngom.
Cinq décennies de lutte
Remédier durablement au phénomène de salinisation représente un grand défi à l’état du Sénégal qui lui a réservé une attention particulière dans la deuxième phase de son Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture au Sénégal, selon Dr El Hadji Malick Leye, microbiologiste du sol, chargé de recherches au Laboratoire National de Recherches sur les Productions Végétales.
«Au niveau national, plusieurs études ont tenté d’expliquer les phénomènes de salinisation des terres et de proposer des solutions de récupération depuis 1964 », dit-il. Ainsi, trois méthodes de lutte ont été développées depuis les années 60. Il s’agit d’abord des méthodes mécaniques ou « flushing » par irrigation et drainage successifs, à travers la mise en place de barrages, digues et diguettes.
Il y a également les méthodes biologiques s’appuyant sur l’utilisation de plantes tolérantes au sel, de bio-fertilisants à base de micro-organismes bénéfiques. Cette dernière méthode est la plus étudiée au Sénégal, selon M. Leye.
En attendant que ces méthodes ne soient appliquées ou ne portent leurs fruits, les localités touchées par ce fléau comme Boly, continuent de recevoir chaque année des visites des autorités étatiques qui viennent constater la situation, font souvent des promesses de réhabilitation, qui tardent à se réaliser, depuis bientôt 10 ans.
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