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Sénégal : le Conseil constitutionnel invalide la loi interprétative de Pastef

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Ouestafnews – Dans une décision très attendue rendue publique le 23 avril 2025, le Conseil constitutionnel du Sénégal a invalidé la loi interprétative modifiant la loi d’amnistie. Ce texte visait à exclure certains crimes — notamment les meurtres, assassinats et actes de torture — de la loi d’amnistie votée un an plus tôt, en mars 2024, sous la présidence de Macky Sall.

« Contraire à la Constitution » : c’est le jugement rendu par le Conseil constitutionnel du Sénégal contre la loi interprétative adoptée par l’Assemblée nationale le 2 avril 2025. Saisie par 27 députés de l’opposition, la haute juridiction a tranché : le texte voté n’était pas conforme à la Constitution.

Selon les cinq sages présents à la délibération, une loi interprétative ne peut « innover » ou modifier le contenu d’une loi existante, mais seulement en clarifier le sens. Or, l’article premier de la loi controversée introduisait des changements substantiels à la loi d’amnistie initiale, considère les membres du conseil.

Le texte qui vient d’être débouté visait la loi d’amnistie de 2024. Cette dernière avait été adoptée à la veille de la présidentielle dans un contexte de fortes tensions, après plusieurs années de violences politiques. Elle visait à « pacifier l’espace politique » et à « raffermir la cohésion nationale », selon ses promoteurs.

Entre 2021 et 2024, plusieurs épisodes de violences, liés notamment aux poursuites judiciaires contre Ousmane Sonko, ont secoué le Sénégal. La loi d’amnistie de 2024 avait été saluée comme un acte de réconciliation.

En mars 2024, l’amnistie avait permis la libération de centaines de détenus liés à ces événements, dont Bassirou Diomaye Faye – aujourd’hui président – et Ousmane Sonko, devenu son Premier ministre.

Mais un an plus tard, sous l’impulsion d’un député du parti au pouvoir, Pastef, une loi dite « interprétative » est présentée pour exclure certains crimes – notamment les assassinats, meurtres et actes de torture – du champ de l’amnistie.

La majorité présidentielle justifiait cette interprétation par le souci de « clarifier le sens et la portée de l’amnistie ». Pour l’opposition, au contraire, il s’agissait d’une manœuvre pour protéger certains militants du pouvoir accusés d’actes violents, tout en exposant les forces de défense et de sécurité qui avaient encadré les troubles.

Certains doutaient de la compétence du Conseil constitutionnel, mais celui-ci a rappelé que selon l’article 92 de la Constitution, il est compétent pour juger de la constitutionnalité de toutes les lois, y compris les lois interprétatives. Selon l’article en question, le Conseil constitutionnel « connaît de la constitutionnalité des lois… ».

Par ailleurs, après avoir jugé recevable le recours de l’opposition, le Conseil souligne aussi qu’une loi interprétative ne peut avoir pour effet que de reconnaître un droit préexistant, sans en modifier le contenu.

Pour justifier sa décision, le Conseil constitutionnel explique : en excluant de l’amnistie les faits « sans lien avec l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique », le législateur a introduit une notion vague et imprécise, rendant la loi interprétative difficile à appliquer.

Selon le Conseil, cette formulation floue porte atteinte « aux principes constitutionnels d’intelligibilité, d’accessibilité et de sécurité juridique », et viole l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui garantit la sûreté comme un fondement de l’ordre et de la sécurité collective.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a également souligne que l’alinéa 2 de l’article premier de la loi interprétative viole la Constitution. Cette disposition tente d’exclure de la loi d’amnistie certaines infractions qui, par leur nature, ne peuvent en faire partie. Sont spécifiquement visés « des crimes tels que l’assassinat, le meurtre, les actes de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants ».

Ces infractions sont « imprescriptibles » au regard des engagements internationaux à valeur constitutionnelle que le Sénégal a ratifiés. Ils ne peuvent être amnistiés. Autrement dit, les inclure dans le champ d’application de la loi d’amnistie adoptée en mars 2024, c’est enfreindre les normes supérieures issues du droit international, lesquelles s’imposent au législateur national.

Par ailleurs, le Conseil évoque aussi le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, considérant que la loi interprétative est plus dure que la loi d’amnistie. Selon ce principe, en droit pénal, une loi plus dure ne peut s’appliquer à des faits passés.

Pour le moment, la décision du Conseil constitutionnel met un coup d’arrêt à un processus législatif engagé par la majorité parlementaire au pouvoir. Pour les députés de l’opposition à l’origine du recours, cette décision constitue une issue favorable.

L’abrogation de la loi d’amnistie figurant parmi les promesses de campagne des autorités actuellement au pouvoir, la question demeure de savoir si l’exécutif optera pour l’introduction d’une nouvelle loi visant explicitement à annuler celle de mars 2024, comme le prévoyait le député de l’opposition Thierno Alassane Sall.

HD/fd


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