Sénégal : les charlatans en vogue, la presse en transe

0
665

Heward-Mills ne prêche pas dans le désert. Il vient dans un pays où, la presse aidant, charlatans, voyants, vendeurs d’illusions et guérisseurs de toutes sortes, pullulent et inondent le quotidien des Sénégalais, relayés par les radios et télévisions, la presse écrite et le web.

Heward-Mills a choisi ce 18 juillet 2012 un terrain vague dans le populeux quartier de Khar Yalla où des milliers de Sénégalais, toutes religions confondues sont venus admirer ses « miracles ». Malgré son discours et une mise en scène évidente, avec des malades « suspects » la formule « fonctionne ». Le Sénégal, pays qui se vante d’être peuplé de musulmans à près de 95 %, et malgré ses aspirations à la « modernité », reste encore ancré dans des croyances irrationnelles, qui facilitent la tâche à tous les vendeurs d’illusions.

Comme hypnotisée, une bonne partie de la presse relaye aveuglément prédictions et offres de guérisons miraculeuses, au point de susciter interrogations sur ses intentions réelles et des condamnations de la part des puristes.

Le jour même où le pasteur s’époumonait à Khar Yalla, le pays tout entier retenait son souffle. La raison : la prédiction d’un crash d’avion par une dame du nom de Selbé Ndom, subitement sortie de l’anonymat à la faveur de quelques pronostics sur des combats de lutte. Relayée par la presse et désormais présentée comme « une célèbre voyante », Selbé Ndom annonçait qu’un avion allait s’écraser sur le campus de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Dans ce qui est supposé être l’antre du savoir, la panique allait s’installer poussant une frange de la population à s’interroger sur le rôle des médias dans la société.

Comme par subjuguée par ces faiseurs de miracles, la presse médiatise à outrance voyants, cérémonies de divination, guérisseurs, féticheurs…Cette cohorte hétéroclite n’est plus confinée dans les petites annonces ou les petits fait-divers, mais occupent allègrement la « Une » des médias. Pas étonnant alors que tous ces vendeurs de miracles rencontrent un énorme succès.

« Les prophéties des voyants sont diffusées sans aucune distance critique par la majorité des médias sénégalais et éclipsent souvent les analyses des experts », regrette Kader Diop, un des journalistes les plus respectés du pays et ancien président du Comité pour le respect de l’éthique et de la déontologie (Cred, organe d’autorégulation) aujourd’hui remplacé par un Comité pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie.

Pour M. Diop ce type d’information devrait être tout au plus traité de façon anecdotique, dans la rubrique « insolites », plutôt que de figurer au devant de l’actualité. D’autant plus que « pour les Sénégalais tout ce qui est écrit et dit à la radio est vrai. Ils prennent toutes les informations sans discernement ». Outré par une telle légèreté de la part de ses confrères, Kader Diop, par ailleurs formateur, dénonce des pratiques journalistiques qui « installent les gens dans l’obscurantisme», tout le contraire de ce qui est attendu d’un bon professionnel des médias. Comme il dénonce du reste le laxisme des autorités, qui eux-mêmes font partie du problème puisque faisant aussi appel aux charlatans et marabouts, qui pour une victoire électorale, qui pour une promotion.

Pourtant, dans son avis de janvier-mars 2012, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA, autorité publique) épinglait les « publicités mensongères » pour des offres miraculeuses diffusées de manière récurrente sur plusieurs stations et en citait une en particulier, « Radio Saphir », qui propose des émissions de voyance en direct.

Interrogé par Ouestafnews, Ibrahima Mbengue professeur de sociologie à l’Ecole Supérieure de Journalisme des Métiers de l’Internet et de la Communication (Ejicom), accuse la forte influence de l’univers de l’occulte chez les Sénégalais, y compris dans la manière dont les journalistes abordent les sujets.

« Par exemple, lorsque les techniciens faisaient face à des difficultés insurmontables pour les travaux d’un tunnel (…), la presse se faisait aussitôt l’écho des raisons mystiques selon lesquelles un génie protecteur de Dakar serait fâché, au lieu d’expliquer les raisons techniques », souligne M. Mbengue qui se désole que les patrons de presse « ne se préoccupent pas d’autre chose que de vendre ».

Car si ces informations occupent une telle place au Sénégal, c’est « qu’elles ont une forte valeur marchande », rappelle M. Mbengue avant d’ajouter que « croire aux pouvoirs magiques fait partie de la mentalité sénégalaise, même parmi les élites, les concitoyens ont une vision du monde où l’homme baigne dans un univers occulte ». La médiatisation des « manifestations surnaturelles », ne ferait donc qu’amplifier ce phénomène de société.

Pour le sociologue, « c’est un véritable cercle vicieux, car la majorité des journalistes y croient, et même si ce n’est pas le cas, ils sont obligés de relayer l’information car tout le monde y croit ».

Le Syndicat national des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics) a aussi réagi pour dénoncer la sur-médiatisation des voyants.

« Les fondements de notre métier commencent à être modifiés », s’est insurgée la secrétaire générale de ce syndicat Diatou Cissé dont les propos tenus lors d’une émission de radio ont été largement rapportés par les médias sur Internet.

En attendant, la dernière prédiction apocalyptique de Selbé Ndom sur le crash aérien – qui ne s’est pas réalisée et dont elle nie désormais être l’auteure – semble tout de même avoir ouvert le débat. Dans son édition du 30 juillet 2012, le journal gouvernemental, Le Soleil, publiait une contribution de Mouhamadou Barro, du site l’analyste.com, qui y va de sa dénonciation en affirmant que « le phénomène de voyance commence à devenir une véritable source de troubles à l’ordre public ».

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici