Sénégal : l’organe de régulation de l’audiovisuel, s’insurge contre le projet de retransmission du procès de Hissène Habré (communiqué)

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Le déroulement des audiences judiciaires requiert ordre, sérénité et dignité dans un environnement de solennité. Rendu au nom du peuple, la justice rend public ses délibérations et les débats qui y ont conduit. Mais elle doit, durant tout le processus de construction de sa décision, préserver la présomption d’innocence, le droit à l’image, la dignité et l’honneur de toutes les parties au procès. L’articulation de ces différentes exigences se réalise en tenant compte également  du droit du public à l’information et de la dimension pédagogique du jugement.

En matière pénale, la sensibilité et les effets de la décision finale, relaxant ou condamnant le mis en cause, ont pendant longtemps, dans la plupart des systèmes juridiques, orienté les législateurs vers la protection du climat de sérénité qui doit gouverner l’environnement de la justice. La confiance en la justice invite à garantir la présomption d’innocence, la réinsertion sociale de toute personne renvoyée des fins de la poursuite au terme d’un procès chevillé aux principes de respect des droits de l’Homme.
Le caractère public du procès pénal incite certains à envisager d’élargir son spectre en relayant les débats par la diffusion audiovisuelle. Des législations se sont exprimées clairement pour exclure cette option, certaines, dans le souci de « constituer des archives historiques de la justice » tolèrent l’enregistrement des débats tout en organisant, parcimonieusement, leur diffusion.

Le débat actuel sur la retransmission audiovisuelle du procès de H. Habré offre l’opportunité d’interroger la pertinence d’une telle démarche dans le contexte social et juridique qui prévaut.
Au sortir de la période coloniale jusqu’en 1979, la presse au Sénégal fonctionnait sous l’empire de la loi française de 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi recevait, le 06 décembre 1954, une modification importante qui y introduisait l’interdiction d’enregistrer des audiences judiciaires. La nouvelle disposition précisait que « dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit ». Par cette interdiction, le législateur entendait sauvegarder « l’objectivité, la sérénité et la dignité des débats judiciaires ».

La préparation du procès de Klaus Barbie fut le prétexte pour Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, Ministre de la Justice dans le gouvernement français, d’élaborer une loi sur la constitution d’archives de la Justice. Le souci majeur de cette initiative était d’assurer pour les générations futures et la mémoire collective, la préservation de moments importants de la marche de la nation française, de l’humanité, de pérenniser le souvenir.
 
Cette loi du 11 juillet 1985 n’autorise que les « enregistrement présentant un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la Justice ». Toute diffusion est subordonnée à l’autorisation du président du Tribunal de Grande Instance de Paris. Robert Badinter affirme d’ailleurs «  qu’il faut veiller au respect de la présomption d’innocence, de la protection de la vie privée et du droit à l’image » de toutes les parties au procès pénal et éviter de tomber dans « la justice-spectacle ». Cet aménagement ne remet pas en cause  l’organisation des audiences judiciaires qui reste sous la maitrise des présidents de juridiction. Ces derniers conservent le pouvoir de décider même de l’exclusion de tout public en ordonnant le huis-clos lorsque l’ordre, la sérénité et la dignité des débats le justifient. Le président de juridiction peut décider de refuser la présence de certaines catégories de personnes dans les salles d’audience, comme par exemple les mineurs. Les différentes réformes du Code pénal et du Code de procédure pénal français, notamment la grande réforme de 1994, ont maintenu l’interdiction de captation des débats judiciaires.

 Vingt ans après cette évolution, devant l’insistance des médias audiovisuels, le ministère français de la justice charge une Commission de réfléchir à l’exploitation des enregistrements audiovisuels des débats judiciaires. Présidée par Elisabeth Linden, Premier Président de Cour d’Appel, la commission a produit, en 2005, un rapport dont les conclusions interdisent toute diffusion en directe et simultanée de la captation, à l’exception des comparutions initiales et des prononcés de jugements et des peines.

Toute une procédure est proposée dans le rapport, certains membres ont suggéré l’instauration d’un juge de la mise en image.

Au Sénégal, le Code de procédure pénale prévoit en ses articles 388 et 389, la possibilité pour le président de juridiction, d’ordonner le huis clos, « de prendre toutes mesures utiles pour assurer la dignité et la sérénité des débats ». L’article 288 mentionne la possibilité d’interdire l’accès de la salle d’audience de la Cour d’assises aux mineurs. Si la publicité des débats d’audience peut être dangereuse pour l’ordre et les mœurs, les dispositions de cet article du code de procédure pénale autorisent la Cour d’assises à s’en passer. Le droit sénégalais en la matière s’inspire fortement et s’approprie les principes contenus dans le dispositif légal français.

L’enregistrement et la diffusion des débats d’audiences ne sont ni admis, ni autorisés, ni organisés dans notre arsenal juridique interne. L’explication en est toute simple, la réflexion préalable n’ayant pas été menée, le déroulement du procès continue d’obéir aux principes qui l’encadrent. La perspective d’admettre les micros et caméras dans la salle d’audience doit être strictement encadrée.

Le procès pénal charrie des passions. Le rappel des faits et la recherche du niveau d’implication des acteurs réveillent de douloureux souvenirs. Les argumentaires soutenus à la barre des juridictions convoquent souvent des éléments qui ravivent la tension. Le procès pénal est un moment polémique. Les actes qui y sont appréciés impactent l’ordre public. C’est ce qui justifie que le législateur accorde au président de juridiction, les pouvoirs les plus larges pour construire l’ambiance et l’environnement de déroulement des débats. L’objectif principal est de garantir la sérénité et la dignité des débats.
 
Autoriser l’enregistrement et la diffusion d’une audience judiciaire heurte plusieurs principes qui gouvernent la distribution de la justice. La posture du mis en cause dans la recherche et les discussions publiques des charges et des éléments de preuve l’expose aux appréciations profanes d’un public pas toujours préparé. Les arcanes d’un procès pénal peuvent conduire à des issues déroutantes. La présomption d’innocence irrigue toutes les étapes du procès pénal. Elle prolonge ses effets dans la possibilité que la première juridiction se soit trompée. Il appartient au condamné en première instance, d’user des voies de recours offertes par la loi afin qu’une juridiction supérieure se penche à nouveau sur son cas pour confirmer ou remettre en cause la première décision. Une médiatisation marquée d’une audience pénale risque d’emporter l’opinion au détriment de la distribution cadencée et réfléchie de la justice à toutes les étapes de la procédure.

Les droits de la personne mise en cause  (à la préservation de la vie privée, à l’honneur, à la dignité…) doivent être protégés à toute étape de la procédure. Or, tout élément pouvant conduire à la manifestation de la vérité peut être évoqué et discuté durant les débats. La retransmission audiovisuelle des débats produit des effets sur l’orientation et la sérénité des débats d’audience. Elle expose les parties civiles, les témoins, ainsi que les agents de certains corps protégés par le secret, en anéantissant l’anonymat. La présence des micros et caméras dans une salle d’audience, transmettant en direct le déroulement d’un procès, peut perturber l’objectivité des débats, troubler la justice dans sa démarche. Le danger d’une appréciation concurrente entre l’opinion du public et la décision des professionnels se pose avec acuité dans une situation où la protection des parties est réduite à sa plus simple expression. C’est faire le lit de la justice populaire en l’encouragent aux côtés de la justice institutionnelle.

Le désir de fixer des moments importants de la marche de nos pays peut se comprendre. Il est possible de le satisfaire tout en préservant les droits des parties à un procès pénal. Les autorisations de captation aux fins d’archives – autorisations  que reproduisent les tribunaux spéciaux des Nations unies et la Cour pénale internationale – suffisent amplement.

La définition du cadre de retransmission d’audiences judiciaires nécessite d’organiser les conditions de captation d’images, les incidents qui peuvent survenir, l’adhésion du mis en cause et des autres parties au procès dont l’autorisation doit être recherchée. La possible incursion de la publicité et du sponsoring au moment de la diffusion par la chaine autorisée ou ceux qui reprennent le signal, laisse craindre une utilisation mercantiliste du procès.

Le droit à l’oubli consacré par la loi pénale ne court il pas le risque de se voir dépouillé de sa signification par la pérennisation d’images qui auront fait le tour du monde et gravées à jamais dans la mémoire collective ?
Envisager la retransmission d’un procès pénal comporte des inconvénients préjudiciables à l’harmonie et à la cohérence de notre arsenal juridique actuel. Elle requiert une réflexion approfondie et une expérimentation éprouvée pour en permettre une organisation rigoureuse. La justice ne s’accommode pas de spectacle. Allier le droit du public à l’information, la constitution d’archives judiciaires et les droits de l’homme peut se réaliser sans fragiliser les principes et valeurs sur lesquels s’est construit notre droit pénal.La justice humaine n’est pas infaillible. Elle se trompe. Elle commet des erreurs. L’exposer par une retransmission en direct de son office peut conduire à des conséquences déplorables.//FIN
 

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