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Délabrement avancé
A ce vide s’ajoute un état de délabrement avancé. La grande plaque surplombant le portail d’entrée et qui affichait le nom de l’hôpital a disparu, laissant à nu des lampes en néon qui n’éclairent plus «faute d’électricité», renseigne une des rares employés de la structure. Il n’y a pas de doute. Ninéfécha se meurt.
Une mort qui n’épargne aucune unité de l’établissement. Si de l’extérieur, les bâtisses ont encore fière allure, l’état des espaces verts jonchés de feuilles mortes et de débris de toutes sortes donne un aperçu de ce que doit être l’intérieur. Ce qui était jadis la salle de radiologie a des allures de dépotoir.
Sous une épaisse couche de poussière, des cartons contenant des dossiers, ainsi que des restes de médicaments sont éparpillés çà et là à travers la pièce.
Ils sont empilés par terre, sur des étagères branlantes, et même sur une chaise roulante. Le désordre règne en maître.
Dans quelques pièces, la peinture se détache en lambeaux, sous l’effet de l’humidité. La couleur des plafonds qu’on devine jadis immaculée a viré au marron, sous l’assaut de la moisissure. L’unité néo-natale n’est pas mieux lotie, même si tout le matériel est encore en place. Cela donne un aperçu sur ce qu’était cette unité, à l’époque où l’hôpital marchait.
Malgré la poussière et la moisissure visibles partout, ainsi que les toiles d’araignée, l’espace garde encore une certaine netteté. Sur une petite table, juste à l’entrée, le matériel nécessaire pour un accouchement est posé sur un petit plateau en nickel piqueté de taches de rouille.
La table d’accouchement est entourée d’un petit paravent dont les tissus en lin, comme par miracle, gardent encore une certaine blancheur. Une odeur d’humidité flotte dans l’air chargé de poussière. Plus on avance dans un couloir sombre, plus elle s’accentue. Elle émane de la salle d’opération.
Ni eau, ni électricité
La pièce dépourvue de fenêtre est plongée dans le noir. Toutefois, l’obscurité n’arrive pas à masquer le désordre qui y règne. L’aile en construction pour accueillir des salles de consultations attend toujours d’être achevée.
Un peu plus loin, dans un coin de la cour, quatre voitures composent le parc automobile. Elles sont en mauvais état. Les quelques touffes d’herbes sous leurs pneus indiquent qu’elles n’ont pas été utilisées depuis fort longtemps. Ce qui n’est pas étonnant, puisque l’hôpital n’a ni eau courante, ni électricité, encore moins de carburant pour faire démarrer les voitures.
Pour le moment, seule la plaque commémorative en marbre échappe au délabrement. Elle rappelle la présence à l’inauguration de l’établissement, en 2002, de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade et de Charles Pasqua, ancien ministre français de l’Intérieur, et homme politique, décédé en 2015.
M. Pasqua a été l’un des principaux partenaires de la fondation de «Education Santé» de l’ancienne Première Dame, Viviane Wade, dans la construction de l’hôpital, à travers sa société d’économie mixte humanitaire. Une société qui, d’ailleurs, a été dissoute en 2008 pour des soupçons de malversations.
Une incohérence sur la carte sanitaire
L’hôpital de Ninéfécha, dont le financement est estimé à plus de 200 millions de francs, est, pour certains, une incohérence sur la carte sanitaire du pays. En effet, pour y accéder, à partir de Kédougou, il faut emprunter, sur plus de 45 km, une route en latérite. Supporter moult secousses durant des heures, inhaler quantité de poussière, traverser quelques villages et escalader la petite colline qui abrite la localité.
En effet, le village de Ninéfécha, qui a donné son nom à l’hôpital, s’est fait connaître par la bonne volonté ou les «caprices» selon certains, de l’ancienne Première dame Viviane Wade.
En implantant un hôpital à «vocation régionale», selon le Docteur Fodé Danfakha, ancien infirmier en chef de la structure, dans cet endroit si difficile d’accès et si faiblement peuplé, Mme Wade avait ouvert ce petit village de 450 habitants au monde.
Ninéfécha est en effet composé principalement de Bédick (une des ethnies minoritaires au Sénégal) et de quelques peulhs.
L’hôpital détonne dans le paysage de ce village haut perché sur une petite colline.
Ce qui frappe en premier, c’est le contraste entre la modernité des bâtiments de la structure sanitaire et les cases des villageois qui lui font face.
Et pourtant durant les dix ans où l’hôpital a normalement fonctionné, il a fait le bonheur des habitants. «Avant, même des médecins de Dakar souhaitaient venir à Ninéfécha, parce qu’il y avait des primes qu’ils ne pouvaient pas avoir dans les autres régions», affirme le Dr Danfakha aujourd’hui muté à Kédougou.
Mais aujourd’hui, même au ministère, les responsables évitent la question de l’hôpital. Du coup, on se sent impuissant devant la situation », ajoute-t-il. Ce sentiment d’impuissance, la blouse blanche le partage avec les habitants de la localité qui ne savent plus quelle tactique utiliser pour attirer l’attention des autorités sur le sort de l’hôpital.
2012, le début du désenchantement
«Vous voyez cet endroit », lance Jean-Pierre Camara, le chef de village, en indiquant un espace où il y a les ruines de quelques petites cases en banco. «Il y avait des rangées de boutiques qui proposaient toutes sortes de services, lorsque l’hôpital marchait. Les villageois avaient une indépendance financière et on vivait bien», se souvient-t-il, nostalgique.
Selon lui, les femmes avaient abandonné la cueillette des fruits sauvages comme le pain de singe et s’étaient mises au maraîchage. Une façon pour elles d’embrasser la modernité. Elles écoulaient leurs produits à Kédougou, grâce aux bus qui faisaient la navette.
«On avait une indépendance financière», renchérit Thérèse Keïta, une «badiénou gokh» (relais communautaire) du village. Elle assure qu’elle gagnait plus de 50.000 francs par mois, grâce aux activités que générait l’hôpital. Ce qui avait considérablement amélioré le niveau de vie dans la localité.
Désormais, pour joindre les deux bouts, elle a dû réapprendre ses anciennes activités telles que la cueillette de fruits sauvages. «On n’avait pas le choix, nous avons repris nos anciennes activités dans la forêt», explique Thérèse Keïta.
Plus les années passent, plus l’espoir d’une prochaine réouverture s’amenuise. Aux habitants de Ninéfécha, il ne reste plus que des souvenirs de la belle époque. Une parenthèse de 10 ans qui s’est arrêtée avec la chute de l’ancien président Abdoulaye Wade en 2012.
DD/ad
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