Sénégal : Ousmane Tanor Dieng sur les Assises Nationales (texte intégral)

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Par Ousmane Tanor DIENG Secrétaire général du Parti socialiste
A tous nos compatriotes que la harangue pitoyable des thuriféraires et des caudataires du régime libéral pourrait abuser, s’il s’en trouve, je veux convaincre d’une chose et d’une seule : les Assises nationales nous concernent tous directement.
Passons d’abord sur le procès d’intention que couvrent les assauts désespérés du pouvoir en place et de ses frotte-manches. Il a été reproché aux Assises nationales d’être une conférence nationale déguisée ou encore une entreprise de subversion. Il n’y a évidemment rien de plus faux et ceux qui le disent le font par ignorance autant que par malveillance.
En effet, la situation de notre pays, quoique désastreuse, n’est pas encore comparable au contexte des conférences nationales souveraines auxquelles avaient recours certains pays africains, au début des années 90, pour sortir de l’impasse. A l’époque, dans les pays concernés, les institutions étaient sinon inexistantes, du moins déliquescentes. Ici au Sénégal, les institutions existent, mais, elles sont contestées par l’opposition significative à cause de la triste absence de légitimité, de crédibilité et de fiabilité du processus de dévolution des pouvoirs dans l’Etat.
Il en résulte, pour nous, une posture de combat fondée sur la triple certitude du défaut d’âme d’un Sénat infâme, de l’illégitimité d’une Assemblée nationale issue d’une élection majoritairement boycottée par le peuple sénégalais et d’un Président proclamé à la suite d’un scrutin entaché de bout en bout de fraudes avérées et de nombreuses irrégularités.
Il s’agit d’une contestation des institutions que nous avons entamée dès après la publication des résultats de l’élection présidentielle en introduisant des recours en annulation du scrutin devant le Conseil constitutionnel, en lançant un appel au dialogue politique pour évaluer le scrutin présidentiel et, devant le mépris affiché à notre égard par le Président illégitime, en appelant, avec succès, au boycott des élections législatives. C’est notre combat et l’on s’y tient, en usant de toutes les actions et de tous les moyens que la République donne à ses citoyens pour hisser les combats patriotiques aux niveaux requis pour la nécessaire défaite du camp d’en face.
Nous mènerons ce combat politique indépendamment des Assises nationales qui ne doivent pas être perçues comme un prétexte pour faire le procès du régime en place, ni comme un tribunal pour dénoncer et condamner ses frasques et ses échecs. Cela, les instances régulières de nos partis s’en acquittent admirablement dans leurs contacts quotidiens avec les populations.
Les Assises nationales ne constituent pas non plus, quoiqu’en disent nos adversaires, une trouvaille du Front Siggil Senegaal pour assurer sa survie politique après le boycott des élections législatives. Il y a d’ailleurs de sérieuses raisons de s’inquiéter pour notre démocratie quand on entend pareil discours qui semble assimiler, dans une vision étriquée, la vie démocratique à la vie des institutions. Ils doivent savoir que dans une démocratie, il existe, hors le champ des institutions, d’autres espaces dédiés à la citoyenneté, des espaces qui définissent également les outils de régulation et les règles de pacification de la vie politique tout autant que la finalité de l’action politique.
Mais cela, nos adversaires n’en ont cure, comme ils se bercent de l’illusion majoritaire, celle-là qui les pousse à croire qu’ils disposent d’un blanc-seing illimité pour chaque jour faire reculer les limites du raisonnable et du tolérable. Pour leur gouverne, qu’ils sachent que la majorité électorale n’a jamais été statique et ne correspond pas toujours à la majorité sociologique. Ils se trompent donc ; ils se trompent même énormément. Dans un futur plus très lointain, cette majorité, du reste factice parce qu’obtenue par l’usage d’astuces et d’artifices frauduleux, tombera comme château de cartes.
Avec la même constance dans la mauvaise foi, le régime en place s’obstine, plutôt mal que bien, à accréditer l’idée que les Assises nationales sont celles du Front Siggil Senegaal. C’est la preuve d’une cécité et d’une surdité qui l’empêchent de saisir la perche des Assises pour renouer le fil du dialogue national rompu par la pratique solitaire et autoritaire du pouvoir. Mais, puisqu’il cherche, bien malgré lui, certainement, à couvrir de fleurs le Front Siggil Senegaal, qu’il sache que notre rôle aura été, après avoir compris que notre revendication politique initiale, fondée sur le constat inquiétant d’une profonde césure dans notre système démocratique, se diluait dans les flots des urgences du pays et après avoir également perçu que la crise avait largement débordé du cadre politique pour embrasser tous les secteurs de la vie nationale, d’en tirer la conséquence de l’urgence de concertations nationales, globales, directes et inclusives pour y trouver des solutions efficaces et durables.
C’était là une simple intuition rapidement confortée par la réactivité des différents segments de la Nation. En effet, dans nos contacts exploratoires, nous entendions toujours la même demande chez les travailleurs, le patronat, les opérateurs économiques, les paysans, les pasteurs, les pêcheurs, les enseignants, les retraités, les femmes, la jeunesse qui réclamaient tous, avec la même insistance, la tenue d’assises sectorielles. Dans ces conditions, la mission du Front Siggil Senegaal, après avoir identifié ce besoin pressant de dialogue exprimé par tous les segments de la société, consistait, avec d’autres, à mobiliser et à fédérer tous les secteurs et acteurs de la vie nationale dans un même cadre de concertations.
A partir de ce moment, ce qui était une idée, puis une initiative du Front Siggil Senegaal devenait un projet commun et une démarche partagée par toutes les composantes de la Nation qui se sont employées à lui donner une forme et un contenu à travers des termes de référence élaborés de manière consensuelle. Mieux, les organisations partenaires, qu’il s’agisse de celles issues de la société civile ou de celles socioprofessionnelles, jouent un rôle important, avec les plénipotentiaires des partis politiques, dans la conduite des Assises nationales à travers le Comité ad hoc et le bureau national.

Aujourd’hui, la majorité de nos compatriotes, à travers près de quatre-vingts organisations représentatives des différents segments de la société, se retrouvent au cœur des Assises nationales sans compter l’adhésion tout aussi pleine de symbole de grandes figures et de personnalités emblématiques vivant au Sénégal ou établies à l’étranger. Je ne doute pas que d’autres compatriotes, lorsqu’ils seront mieux imprégnés des justifications et des objectifs des Assises, prendront le train en marche. Je veux leur dire que les Assises sont ouvertes à tous les Sénégalais, sans exclusive et qu’à cet effet, mandat a été donné au Bureau des Assises nationales pour mener et poursuivre les contacts afin de persuader et d’inviter d’autres organisations et institutions à participer aux Assises.
Il y a également une autre question qui revient avec insistance dans la litanie du pouvoir relayée par quelques forces obscures obligées de justifier les prébendes perçues indument : que fera-t-on des conclusions des Assises nationales si le pouvoir actuel n’y prend pas part ? C’est évidemment là le type même du faux débat en ce sens que la question est mal posée.
Au lieu de chercher la réponse du côté du Front Siggil Senegaal, il faut plutôt se poser la vraie question : quel intérêt le Sénégal peut tirer de ces concertations à nulles autres pareilles ?
J’y répondrai d’abord en précisant, au sujet de la participation de l’Etat aux Assises nationales, que certains de ses démembrements sont présents aux Assises à travers des députés et des élus locaux. Sous cette réserve, même si nous l’avons souhaitée de longue date, nous n’avons jamais fait de la participation du régime d’Abdoulaye Wade une fixation, ni un critère d’évaluation des Assises.
J’y répondrai ensuite en rappelant que ces Assises constituent, dans la forme, un grand exercice de méthode et, dans le fond, un salutaire exercice de sauvetage de notre pays, qui permettront aux différents acteurs de la vie nationale d’examiner ensemble, de manière sereine et méthodique, les moyens de remettre à flots nos fondamentaux institutionnels, démocratiques, économiques et sociaux.
Elles sont un moment très fort dans la vie de notre Nation, où, renouant avec la tradition du dialogue, les différents segments de la société vont disséquer avec sérieux les problèmes du Sénégal et, je suis sûr, faisant foi à la qualité et à la personnalité des participants, au respect qu’ils inspirent et à la dignité qu’ils représentent dans leur domaine, que les Assises nationales nous donneront les clefs pour redresser le Sénégal et pour restaurer l’espoir chez les Sénégalais.
Ce dont il est donc question, c’est de parvenir, au moyen des ces Assises et en s’appuyant sur le pluralisme et la diversité, tout autant que sur le débat et la discussion, à trouver, dans le très court terme, des solutions à la tyrannie de la crise actuelle et à définir, dans les moyen et long termes, les réformes structurelles nécessaires à la viabilité et à la pérennité de l’Etat, de la République et de la démocratie et à l’efficacité de nos politiques économiques et sociales.
Il me semble, par ailleurs, utile de préciser que les Assises nationales seront un grand moment d’exercice de la démocratie consensuelle qui, en partant des acquis de notre histoire récente et lointaine et en traitant avec le même respect toutes les forces vives de notre pays, permettra à toutes les composantes de la Nation de s’entendre sur un diagnostic, sur des analyses et sur des solutions efficaces et durables à mettre en œuvre.
La méthode participative, qui a été jusqu’ici l’élément moteur de notre démarche, sera encore privilégiée, voire renforcée à travers les contributions des organisations représentatives des différentes composantes de la Nation, à travers également les consultations citoyennes et le forum sur Internet pour impliquer directement les Sénégalais de tout bord qu’ils vivent parmi nous ou à l’étranger.
C’est seulement au terme de ces discussions libres, sans préjugé, ni présupposé qu’une synthèse sera réalisée par consensus, admis comme seul mode de prise de décision. A mon sens, cela nous renvoie à deux évidences :
D’abord, seules les questions sur lesquelles les participants sont parvenus à un consensus feront l’objet de conclusions ; pour les autres, le débat restera ouvert de manière à rendre pérenne et permanent le dialogue national ;
Ensuite, les conclusions et recommandations des Assises nationales, parce qu’elles seront consensuelles, s’imposent à tous les participants et, par conséquent, engagent chacun à les appliquer et à les faire appliquer.
Notre pays pourra donc assurément tirer le meilleur parti des résultats des Assises nationales, avec le pouvoir actuel s’il consent à se débarrasser de sa puérilité congénitale et à renouer avec la lucidité en se joignant aux acteurs politiques, économiques et sociaux engagés dans les Assises nationales. A défaut, ces résultats pourraient servir de boussole pour l’avenir à tout autre pouvoir démocratiquement élu qui pourra alors les faire avancer et appliquer par la volonté et la dynamique conjuguées des forces sociales progressistes largement majoritaires dans notre pays.
Je m’en vais maintenant conclure non sans me réjouir, une nouvelle fois, de l’implication personnelle de certains grands hommes de notre pays et leur rendre un hommage appuyé pour leur dévouement à la cause nationale. Les attaques dont ils sont victimes et qui sont le fait de fanatiques enfermés dans leur ignorance délirante, sont injustes tant ces figures emblématiques de notre Nation inspirent le respect pour leur contribution décisive dans la lutte pour l’indépendance de notre pays et dans l’œuvre de construction nationale ainsi que pour leur constante disponibilité chaque fois que l’intérêt du Sénégal l’exige.
Enfin, le caractère à la fois inédit et novateur des Assises nationales suscite interrogations, incompréhensions et appréhensions. Il ne faut ni s’en outrer, ni s’en étonner. C’est le propre des conservateurs avec « un faux passé, celui qui s’inspire du présent » pour reprendre la formule de Roger Garaudy, de nourrir des réticences et des résistances face à la nouveauté.
A l’inverse, ils sont nombreux, nos compatriotes, qui voient dans la tenue des Assises nationales le symbole le plus achevé de l’exception sénégalaise, fierté de notre Nation qui a toujours su, en puisant dans le génie propre de son peuple, donner une chance aux solutions policées et trouver les ressorts nécessaires pour se surpasser et traverser les épreuves sans violence, ni effusion de sang.
C’est pourquoi, à nos compatriotes engagés dans le mouvement et aux autres encore plongés dans la réflexion, je puis assurer que le concept, le format et les résultats des Assises nationales apporteront des enrichissements indéniables à la scène politique nationale et africaine, à la vie économique et sociale de nos jeunes nations, à leur devenir et même à la science politique comparée des pays en développement qui cherchent encore leur chemin. Je n’en doute pas. N’en doutons point.

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