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Sénégal : persistance des pressions contre les voix discordantes  

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Ouestafnews – La série d’audition et d’arrestations d’opposants, de journalistes ou d’activistes jugés critiques du nouveau pouvoir au Sénégal se poursuit. Élu avec un score confortable à la présidentielle de mars 2024 et conforté par une majorité « écrasante » lors des législatives du 17 novembre 2024, le président Diomaye Faye peine à apaiser l’espace public. Le climat politique reste délétère avec la bataille politico-juridique pour le contrôle de la mairie de Dakar et les interpellations des porteurs de voix discordantes.

Adama Gaye, journaliste et homme d’affaires très actif sur les réseaux sociaux, au discours tranchant ; Madiambal Diagne, journaliste, homme d’affaires et proche de l’ancien régime ; Ameth Ndoye, « chroniqueur » omniprésent sur les chaines Youtube et parfois sur les chaines de télévision ; Moustapha Diakhaté, ancien député et opposant au nouveau régime : la liste n’est pas exhaustive. Leur point commun, ils sont critiques vis-à-vis du nouveau régime et en paient le prix.

Ils ont tous fait ces dernières semaines ou mois l’objet d’interpellations ou de poursuites judiciaires de la part des nouvelles autorités ou de leurs alliés. Si Adama Gaye et Madiambal sont encore libres, Moustapha Diakhaté, lui purge actuellement une peine de deux mois ferme.

Ces pratiques sont « déplorables pour l’image du Sénégal », commente le journaliste et analyste politique, Ibrahima Bakhoum, joint par Ouestaf News. Selon lui, ces tensions politiques se déroulaient la plupart du temps dans des contextes de « régimes finissants ». Leur survenance quelques mois après l’arrivée d’un nouveau régime est « préoccupante » et fait craindre un climat plus électrique au regard des fortes attentes non encore satisfaites par les autorités.

Le 16 décembre 2024, le journaliste Madiambal Diagne, également homme d’affaires, était devant les policiers de la Sûreté urbaine de Dakar pour répondre à deux plaintes pour diffamation. L’une a été introduite par Lamine Bara Diop, un membre du parti au pouvoir, et l’autre par le député et entrepreneur, Abdoulaye Sylla (opposant).

Le président du groupe de presse « Avenir Communication », qui édite le journal Le Quotidien, est une voix très critique du Premier ministre Ousmane Sonko. Il avait déjà été entendu le 13 décembre 2024, suite à une plainte déposée par M. Sonko, notamment pour « diffamation, injures publiques, » et « diffusion de fausses nouvelles ».      

Au même moment que Madiambal était convoqué, le journaliste Adama Gaye, répondait à une convocation de la Division de la cybercriminalité de la police. Il répondait à une plainte du ministre du Travail, Abass Fall, dans une affaire de présumée corruption qui avait fait les choux gras de la presse et qu’avait également évoqué le journaliste sur ses réseaux sociaux.

Madiambal Diagne et Adama Gaye sont tous les deux sortis libres de leurs auditions. Mais avant cela, Adama avait fait l’objet d’une première garde-à-vue fin novembre 2024, suivie d’un procès. Il était jugé et relaxé suite à des propos sur les circonstances de la mort, début novembre à Paris, de l’ancien ministre des Finances Mamadou Moustapha Ba.

De son coté, Moustapha Diakhaté, ancien député, purge depuis le 28 novembre 2024 une peine de deux mois de prison. Il lui a été reproché d’avoir qualifié les Sénégalais de « peuple maudit » pour avoir porté leur choix sur le parti Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) lors de la présidentielle de mars et les législatives de novembre 2024. Moustapha Diakhaté est l’un des opposants les plus virulents contre le Premier ministre Ousmane Sonko.

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Les autorités doivent « mettre fin » aux peines de prison pour les délits d’« atteinte à l’honorabilité des personnes et la diffusion de fausses nouvelles », estime Seydi Gassama, directeur exécutif de la section sénégalaise d’Amnesty international. Dans un post sur X le 17 décembre 2024, le défenseur des droits de l’homme a invité à la dépénalisation de ces délits, signalant que le pays s’y est engagé au niveau international.

Ces poursuites judiciaires interviennent dans un contexte de tensions autour d’une tentative de déchéance du maire de Dakar, Barthélemy Dias. Le Préfet de Dakar a acté, le 13 décembre 2024, sa destitution suite à une requête d’un militant du parti au pouvoir.  

Monsieur Dias rejette la décision et a déjà introduit un recours. Mais depuis, la police interdit au maire d’entrer dans l’institution municipale de la capitale, entrainant plusieurs épisodes de tension devant l’hôtel de ville et dans quelques quartiers où ce M. Dias disait programmer des activités.

L’opposant venait de perdre son nouveau mandat de député suite à une requête du ministère de la Justice au bureau de l’Assemblée nationale.

Les ennuis de Barthélemy Dias découlent d’une condamnation en février 2017 à deux ans de prison pour coups mortels. Une peine devenue définitive le 22 décembre 2023 après le rejet de son pourvoi par la Cour suprême. Il a été condamné pour la mort par balle de Ndiaga Diouf, membre d’un groupe qui avait attaqué, le 22 décembre 2011, la mairie de Mermoz-Sacré-Cœur (commune dakaroise) que M. Dias dirigeait à l’époque.

Malgré son fondement juridique, analyse Ibrahima Bakhoum, l’acte posé à toute l’allure d’un « règlement de comptes » entre le maire de Dakar et ses anciens alliés dans l’opposition. Car, selon l’analyste politique, il y a un passif qui n’a pas été « résorbé » dans les anciennes coalitions politiques ayant implosé suite à des crises de confiance entre les membres. 

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Avant de devenir des ennemis jurés, Barthélémy et le Premier ministre Ousmane Sonko étaient des alliés dans la lutte contre le régime de Macky Sall. A l’époque, Ousmane Sonko défendait Dias, accusant l’ex-président Sall de vouloir utiliser les affaires judicaires pour destituer le maire de Dakar.

Loin d’être une décision « arbitraire », la déchéance de Barthélémy Dias est une conséquence « logique et obligatoire » de l’application des dispositions du Code électoral, note le député du pouvoir Ismaïla Diallo. Cette démarche illustre l’attachement des autorités au « respect des lois » et à la « préservation de la crédibilité des institutions », a-t-il écrit sur Facebook au lendemain de la décision du Préfet.

Tout ceci donne une impression de déjà-vu aux Sénégalais qui ont vécu le pire dans la période 2021-2024 sous Macky Sall, avec son lot de morts et d’emprisonnements. On est encore loin d’atteindre ce niveau. Mais en termes de démocratie et de garantie de la liberté d’expression, le climat politique actuel peut nuire à la « bonne image » du Sénégal, affirme M. Bakhoum.  

Des tentatives de joindre des proches du Premier ministre ou des membres de son parti, pour recueillir leurs versions, sont restées vaines.

Mais selon Dame Mbodj, un des plus fidèles alliés du Pastef, il n’y a aucune « instrumentalisation » de la justice par le président Bassirou Diomaye Faye ou le chef du gouvernement, Ousmane Sonko. Invité de l’émission Pencoo de la chaîne privée Walf TV, le 22 novembre 2024, M. Mbodj estimait qu’il y a une « survivance » des textes et des pratiques hérités des précédents régimes. Selon lui, ces imperfections vont être corrigées dans le cadre des réformes de la justice engagées par le nouvel exécutif.

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La volonté du gouvernement de faire taire les voix qui dérangent le nouveau pouvoir s’était manifestée dès les premiers mois après l’élection du président Bassirou Diomaye Faye : le journaliste Cheikh Yérim Seck ; l’opposant et homme d’affaires Bougane Guèye ; Cheikhouna Keita, ex-commissaire de Police ; l’activiste Bah Diakhaté et Ahmet Suzanne Camara, membre de l’Alliance pour la République (APR-ancien parti au pouvoir), entre autres, ont déjà été interpellés ou emprisonnés pour certains. La plupart étaient accusés de diffusion de fausses nouvelles, diffamation ou de propos injurieux, souvent contre le parti au pouvoir ou le Premier ministre lui-même.  

IB/md/ts


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