Ouestafnews – Les villages de reclassement social (VRS), à l’origine réservés à l’internement des lépreux, sont aujourd’hui en quête de mieux-être au regard de leurs populations qui ont augmenté au fil des décennies. Le statut particulier que leur confère la loi de 1976, surtout par la limitation géographique qu’elle impose, empêche leur développement socio-économique. Pis, la forte promiscuité qui règne dans ces villages constitue un des facteurs de la recrudescence de la lèpre. Afin de constater de visu, Ouestafnews a fait un tour à Koutal Malick Ndiaye, un VRS situé à 9 kilomètres de Kaolack (centre du Sénégal).
Le visiteur qui veut se rendre à Koutal est aussitôt invité à préciser sa destination. « Lequel des deux Koutal ? », rétorque une dame abordée au bord de la route nationale. A peine le mot lèpre prononcé, elle nous assène : « c’est là-bas », désignant, sans le regarder, l’autre côté de la route nationale.
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En effet, il existe deux villages nommés Koutal, à la périphérie de Kaolack, sur la route menant vers la Gambie. Koutal Wolof, un village «normal» fait en réalité face à Koutal Malick Ndiaye, le village de lépreux, un monde à l’écart, à l’horizon bouché par une forêt classée.
Après une bonne centaine de mètres, nous tombons sur un groupe d’enfants qui jouent bruyamment au football, dans l’enceinte ombragée de la grande place du village. Un volontaire, tout souriant, propose de nous mener jusqu’à la demeure du chef de village.
En ce mois de mars, une chaleur d’étuve règne prématurément sur toute la région de Kaolack. Assis à l’ombre des arbres, des hommes et des femmes au regard inquisiteur, répondent tout de même à haute voix à nos salutations.
Sur notre chemin s’étalent des cases désaffectées à la paille laminée par le soleil. Les habitats en dur comme celui du chef de village Abdoulaye Ndiaye sont plutôt vieux et remontent pour la plupart à la naissance même des lieux, en 1952.
«Je suis né ici en 1971», indique ce jeune chef de village, habillé en pantalon jean et chemise carrelée. Marié et père de cinq enfants, Abdoulaye Ndiaye est un Koutalois pur jus. «Mon père faisait partie des sept premiers lépreux internés ici en 1952 », précise-t-il.
Ses parents atteints par la lèpre, se sont connus et mariés dans ce village qui n’était à l’époque qu’un pavillon de traitement comme les huit autres VRS que compte le Sénégal. Mais aujourd’hui, le temps a fait son œuvre et Koutal est peuplé de près de mille âmes.
Tenace stigmatisation
«Aujourd’hui, la majorité des enfants vont à l’école française. Certains ont eu le bac et sont partis à l’université de Dakar», conte le chef de village alors que nous bravons le soleil ardant pour faire le tour de Koutal. Pour Abdoulaye, qui dit avoir abandonné l’école à cause des moqueries de ses camarades, sa génération n’a pas eu cette chance.
«Doomi gaanayi (enfants de lépreux) ! C’est comme ça qu’on nous désignait», se souvient-il. Tout autour des cases, des puisards à moitié construits. « Ça c’est l’œuvre de la Direction générale de l’action sociale (DGAS), qui préconise de multiplier les lieux d’aisance afin de briser la chaine de contamination de la lèpre », explique Ndiaye.
Pour les Koutalois, même si beaucoup de choses ont changé au cours des décennies, leur village reste victime d’un carcan : la loi 76 réglementant les VRS. Cette loi leur empêche d’avoir un village comme les autres, avec les avantages socio-économiques qui vont avec.
A Koutal, il n’y a ni poste de santé ni école. Les infrastructures sociales de base sont logées dans les villages environnants comme Koutal Wolof, ou encore dans la commune de Ndiaffate.
«On n’a pas de terre pour pratiquer l’agriculture, rien pour animer économiquement ce village», assène un homme d’âge moyen qui, après des salutations appuyées, se joint à la conversion avec le chef de village.
Ici, seule une dizaine de familles dispose d’électricité. Autour du village, on voit pourtant trois poteaux électrique en bois, vétustes car inchangés depuis le milieu des années 1970, selon les habitants.
Aux abords de la case des tout-petits, offerte par une ONG allemande, est implantée la borne fontaine publique mais la poignée de commande du robinet est scellée à l’aide d’une plaque de métal et d’un cadenas. Alors que le Sénégal se targue de ses performances en matière d’hydraulique urbaine et rurale, l’eau semble être donc un luxe à Koutal.
Le liquide qui sort des robinets provient du forage situé à la périphérie du village. L’infrastructure est un don du Secours Catholique. Tout comme les autres VRS, Koutal a une superficie limitée à 1 km carré par la loi 76-03 du 23 mars 1976.
Selon une étude menée par la DGAS, cette loi « inadaptée » a aujourd’hui comme corollaires : promiscuité et pauvreté. Les VRS sont encore dans leur limite géographique d’antan, alors que la population augmente.
Koutal est entouré par une forêt classée. Et ses habitants rêvent d’en obtenir quelques hectares pour la pratique de l’agriculture et du maraîchage . Une possibilité dans le long terme d’autant que, selon Dr Coumba Wade, de la DGAS, le processus de modification de la loi de 1976 est lancé.
A Koutal, beaucoup d’anciens lépreux, des personnes âgées pour la plupart, vivent avec leur progéniture. Mais le village comporte un pavillon spécial où vivent une douzaine de malades dont la plupart sont devenus âgés et traînent des handicaps.
Alioune Diop est un septuagénaire qui réside à Koutal depuis plus de 30 ans avec son demi-frère Ousmane. Les doigts et les orteils en compote, les frères Diop sont atteints de la forme sévère de la lèpre. Ils sont arrivés à Koutal seuls et continuent d’y vivre sans aucune attache familiale.
Atteints par le poids de l’âge et surtout par la cécité, ils ont recours à la mendicité pour survivre.
La promiscuité, source du mal
Quoique fortement entamées par la rouille et l’humidité, les vieilles bâtisses qui servaient de pavillons d’internement tiennent toujours. Elles sont occupées aujourd’hui par des familles vivant dans une grande promiscuité.
Veuve et mère de sept enfants, Awa Touré nous conduit volontiers vers la maison à deux pièces qu’elle occupe. «Ici, je dors avec les plus petits, là c’est pour mes deux garçons», confie la dame, qui a perdu six mois plutôt son mari, un lépreux qui vivait de mendicité à Dakar.
A Koutal, règne une grande promiscuité. Plusieurs familles se partagent des latrines dénuées d’eau courante.
Un déficit d’hygiène considéré comme une des principales causes de la recrudescence de la lèpre, alors que le seuil d’élimination de cette pathologie classée dans la catégorie des maladies tropicales négligées (MTN) avait été atteint au début des années 1990.
Le dernier dépistage mené par l’ONG allemande, DAHW et le ministère de la Santé remonte à 2015. Il avait permis de détecter 42 nouveaux cas, renseigne le chef du village de Koutal.
Agé de 10 ans à l’époque, Pape Dramé faisait partie de la cohorte de néo-lépreux. « Il a suivi le traitement pendant deux ans. Maintenant, il est totalement guéri », explique sa mère. Le port altier, Aliou Faye (37 ans) rappelle sa « grande surprise » quand les médecins lui ont annoncé un diagnostic positif.
«J’avais quelques taches blanchâtres sur le dos et au niveau de l’omoplate, j’étais à mille lieux d’imaginer que c’était la lèpre», se souvient ce père de deux enfants. Contrairement au petit Dramé qui avait contracté la forme sévère de la maladie, Aliou Faye, lui était guéri au bout de six mois de traitement.
La recrudescence de la lèpre est constatée depuis 2010 avec 205 nouveaux cas, un nombre qui atteindra 332 six ans plus tard, indique le ministère de la Santé et de l’Action sociale. La région de Kaolack, qui abrite Koutal, figure parmi les régions les plus endémiques.
En 2017, le Programme national d’élimination de la lèpre (PNEL) a recensé 235 nouveaux cas, soit une hausse de trois nouveaux cas par rapport à l’année précédente.
Cette recrudescence de la lèpre n’est pas l’apanage du Sénégal et de l’Afrique. En 2015, ce sont près 210 758 nouveaux cas qui ont été recensés dans le monde, souligne l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
En Côte d’Ivoire, 27 nouveaux cas ont été dépistés en 2018, contre 39 en 2016, notent des chiffres fournis par la branche locale de l’ONG Raoul Follereau.
Pourtant, selon les spécialistes, 95% des humains disposent d’une immunité naturelle. Alors quid des nouveaux cas dépistés au Sénégal et ailleurs dans le monde ?
Le PNEL explique que les nouveaux cas sont dus à des contaminations provenant d’anciens malades qui avaient subi la monothérapie contrairement à la poly-chimiothérapie qui comporte moins de risque de contamination et de rechute.
En attendant, Koutal se prépare. Le ministère de la Santé et de l’Action sociale et ses partenaires ont déjà entamé un «dépistage intégral» dans les neuf VRS.
MN/ad
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