Ouestafnews – Après avoir procédé au lancement de son premier satellite en 2024, le Sénégal s’attend à en tirer des avantages. De la santé à l’agriculture en passant par la gestion des inondations et la surveillance des côtes contre la migration irrégulière, les impacts attendus de cette avancée technologique sont divers. Ouestaf News a tenté d’en savoir plus.
Le 8 septembre 2024, une quarantaine de migrants sénégalais ont perdu la vie en mer alors qu’ils tentaient de rallier l’archipel espagnol des Canaries. Ils étaient dans une embarcation partie des plages de la ville de Mbour, à environ 90 km à l’est de Dakar. Cette tragédie aurait-elle pu être empêchée par la science ?
La question se pose parce que trois semaines avant ce nouveau drame migratoire, le Sénégal lançait son premier satellite aux États-Unis, « Gaïndé Sat-1A ». Une performance technologique qui aurait pu aider à sonner l’alerte, grâce aux données que ledit satellite est en mesure de fournir aux autorités en charge de la surveillance des côtes.
Le microsatellite Gaïndé Sat-1A, lancé le 16 août 2024 depuis la base américaine de Vandenberg, en Californie (ouest du pays), a été placé sur orbite à 500 km de la terre. Deux fois par jour, il passera au-dessus de la tête des Sénégalais pour une collecte régulière de données, a précisé le ministère sénégalais de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (Mesri), maître d’œuvre du projet, dans une fiche de présentation publiée sur son site.
Le poids du satellite sénégalais ne dépasse pas un kilogramme pour 10 cm de diamètre mais, selon ses promoteurs, ses capacités à recueillir des informations touchant au quotidien sont importantes. Celles-ci concernent le climat, la météorologie, la qualité de l’air et de l’eau, la gestion des catastrophes naturelles, le suivi de la végétation et des activités agricoles, etc., avait indiqué le Mesri lors du lancement du satellite.
« En déployant notre propre satellite de collecte de données, nous pourrions économiser des fonds importants », a expliqué à Ouestaf News Gayane Faye, coordonnateur du projet spatial SenSat (Sénégal et Satellite).
M. Faye a souligné que plusieurs agences nationales recueillent actuellement des données environnementales essentielles, telles que les mesures du climat et des niveaux d’eau, en envoyant du personnel dans des stations éloignées. Ce processus est à la fois coûteux et chronophage. « Nous nous sommes demandé : pourquoi ne pas permettre la collecte directe de données par satellite ? Cela permettrait d’économiser du temps, des ressources et de réduire les coûts », a-t-il ajouté.
La deuxième mission essentielle, selon Gayane Faye, concerne l’imagerie satellitaire. Le Sénégal dépense des sommes considérables pour acquérir des images satellitaires. Ainsi, le Projet de gestion intégrée des inondations (PGIIS) a investi plus de deux milliards de francs CFA (FCFA) dans l’imagerie satellitaire, tandis que le Projet de cartographie cadastrale nationale (Procacef) a dépensé au moins un milliard de FCFA pour des achats similaires.
Veiller sur les infrastructures
Au-delà de ces grands projets, d’autres achètent fréquemment des images pour des sommes allant de cinq à dix millions de FCFA. « Quand on additionne tout ce que le Sénégal dépense pour l’acquisition d’images, le montant est faramineux », a fait remarquer le coordonnateur de SenSat.
La volonté d’indépendance dans ce domaine a donné naissance à la vision de Gaïndé Sat-1A. « Notre objectif est d’atteindre la souveraineté dans l’imagerie satellitaire », a ajouté Gayane Faye, qui a piloté ce projet à la tête d’une équipe composée d’une douzaine de personnes (ingénieurs et techniciens sénégalais).
Les données transmises par Gaïnde Sat-1A seront réceptionnées et décodées au Centre de réception et de contrôle des données du programme spatial, sis à la Cité du Savoir à Diamniadio, nouvelle ville en gestation à une vingtaine de km de Dakar.
Bien que modeste dans ses capacités, Gaïndé Sat-1A marque le début du parcours du Sénégal vers l’autonomie technologique spatiale. « GaïndéSat nous permet de lancer des tests et, à mesure que nous acquérons de l’expérience, les futurs satellites répondront mieux à nos besoins et réduiront notre dépendance aux achats d’images coûteux », a assuré Gayane Faye.
Avec plus d’expérience, le satellite sénégalais pourra ainsi être d’une grande utilité dans la surveillance des plateformes pétrolières et gazières tout en étant capable d’alerter contre les cas éventuels de marée noire, a par ailleurs expliqué l’ingénieur sénégalais lors d’une émission sur la Radiotélévision sénégalaise (RTS, publique) le 12 novembre 2024.
Depuis juin 2024, le Sénégal est entré dans le club des pays producteurs de pétrole avec l’exploitation du champ de Sangomar en partenariat avec la compagnie australienne Woodside Energy. Ce champ, situé à environ 100 km au sud de Dakar, contient des réserves estimées à 630 millions de barils de pétrole brut. Il a nécessité un investissement de près de 5 milliards de dollars (près de 3.300 milliards de FCFA au taux de change actuel du dollar). La production initiale est prévue à 100 000 barils par jour.
Avec de l’expérience, le satellite sénégalais pourra également servir dans la prévention et la gestion des inondations. « Si vous avez des images de haute résolution, vous pouvez facilement connaître le nombre de maisons dans les eaux et pouvoir aider facilement », a encore dit Gayane Faye.
Cœur de l’économie sénégalaise, l’agriculture reste confrontée à de nombreux défis dont la qualité des semences et des sols, la pluviométrie, la productivité, etc.
Plus de visibilité dans l’agriculture
Selon Gayane Faye, un recours aux données satellitaires qui sont de très hautes résolutions peut aider l’État à asseoir des politiques agricoles sectorielles et efficientes. En effet, les statistiques beaucoup plus élaborées du satellite contribuent à établir des prévisions de récoltes plus fiables.
Cette préoccupation est partagée par l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra, public) sur son site dans un article consacrés à ses 50 ans. Les experts de l’Isra estiment que les marges de progrès dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et de l’agroforesterie ne peuvent « être exploitées de façon efficiente sans une forte implication de la recherche, qui doit y répondre par le transfert et l’adoption de ses résultats de manière efficace ».
Dans le domaine de la santé, Maram Kaïré, directeur général de l’Agence sénégalaise d’études spatiales (Ases), a affirmé que Gaïndé Sat-1A sera en mesure d’offrir à certains experts la possibilité de réaliser des diagnostics à distance sur des patients. Une innovation qui aiderait à faciliter l’accès aux soins en comblant l’absence ou le déficit de spécialistes dans des zones périphériques ou reculées.
Ces consultations à distance vont, par ricochet, contribuer à réduire les déplacements des patients, leur offrant ainsi une prise en charge plus rapide et moins contraignante, a souligné Maram Kaïré.
Selon le Plan national de développement des ressources humaines de la Santé et de l’Action sociale du Sénégal pour la période 2020-2028, seules les régions de Dakar et Ziguinchor (sud du pays) ont atteint le ratio d’un médecin pour 10.000 habitants, conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Cette insuffisance de personnel médical est critique dans les zones rurales, où les patients doivent souvent parcourir de longues distances pour accéder aux structures sanitaires. Ces disparités, note ce document officiel, accentuent les inégalités d’accès aux soins et posent un défi majeur pour l’amélioration de la couverture sanitaire au Sénégal.
Toutes les perspectives de progrès dans l’agriculture, la santé, etc. suscitent déjà l’enthousiasme au sein de la population sénégalaise.
« Le Sénégal vient de franchir une étape importante dans le développement technologique et scientifique », s’est exclamé sur compte X (ex-Twitter) l’internaute sénégalais Dr Alioune Badara Dione, en service au ministère de la Microfinance et de l’Économie sociale et solidaire du Sénégal.
En lançant son premier satellite, le Sénégal est devenu le troisième pays ouest-africain, après le Nigeria et le Ghana, à entrer dans le cercle des États africains disposant d’un ou de plusieurs satellites, selon Dr Rachid Id Yassine, maître de conférences en sociologie à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, dans le nord du pays. Au total, ils sont 18 pays africains dans ce club.
L’Afrique du Sud avait donné le ton en 1999 avant d’être rejointe par 17 autres pays, a précisé Dr Rachid Id Yassine dans un article intitulé « Portrait de l’Afrique spatiale », publié dans la revue scientifique Global Africa (numéro 7) publiée en septembre 2024. Selon le décompte du chercheur, l’Afrique compte aujourd’hui 61 satellites en orbite sur plus de 13.600 dans le monde. Le continent pourrait doubler ce nombre d’ici à 2025.
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