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Tensions politiques au Sénégal : au moins vingt milliards de FCFA de pertes, selon les premiers bilans

Ouestafnews – Fruit des tensions politiques entre pouvoir et opposition, les manifestations violentes survenues dans les premiers jours du mois de juin 2023 au Sénégal, ont engendré d’énormes pertes au plan économique. Entreprises et hommes d’affaires s’en plaignent, mais craignent le pire au fur et à mesure que l’on s’approche de la présidentielle de 2024.

Bus brûlés, magasins pillés, bâtiments publics saccagés, banques fermées, pénurie de billets dans les distributeurs, salaires impayés, internet coupé par intermittence… C’est le sinistre bilan économique des manifestations des 1er, 2 et 3 juin 2023 qui ont installé le chaos au Sénégal. 

Un premier bilan fait état de pertes d’au moins vingt milliards de francs CFA (FCFA) durant les trois jours d’émeutes, selon les chiffres compilés par Ouestaf News à partir de bilans sectoriels fournis par quelques acteurs.

Ce chiffre ne prend pas en compte les pertes enregistrées dans le secteur informel. Celui-ci représente au moins 50 % du produit intérieur brut (PIB) et 97 % des entreprises du pays, selon un rapport du Bureau international du travail (BIT) intitulé « Diagnostic de l’économie informelle au Sénégal » publié en 2020.

Les manifestations en question font suite à la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour « corruption de jeunesse » dans l’affaire dite Sweet Beauté, dans laquelle il était accusé de « viol et de menaces » de mort par une jeune fille employée d’un salon de massage.

La peine n’est pas encore appliquée mais son annonce par la chambre criminelle de Dakar a engendré des conséquences « regrettables » sur l’économie sénégalaise, « particulièrement dans le secteur des services », souligne le professeur d’économie à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, El Hadji Alioune Diouf, dans un entretien avec Ouestaf News. 

Au total, « des dizaines de milliards de FCFA ont été perdus en investissements et en chiffres d’affaires » à la suite de l’arrêt « quasi-généralisé pendant trois jours » des activités économiques, renchérit Baïdy Agne, président du Conseil national du patronat (CNP), lors d’une conférence de presse tenue après l’accalmie. 

Des entreprises du privé présentes dans les secteurs de la banque, des hydrocarbures, de la grande distribution, des télécommunications et du numérique ont été « brûlées, pillées et vandalisées », s’indigne M. Agne. Le professeur d’économie El Hadji Alioune Diouf y rajoute d’autres domaines : l’éducation, le transport et auxiliaires de transport, l’informel. 

Le secteur bancaire a été particulièrement ciblé : « 14 banques saccagées à travers 31 agences », pour l’essentiel logées dans la banlieue dakaroise et dans les régions, lors des manifestations du 1er au 3 juin 2023, indique Mamadou Bocar Sy, président de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers du Sénégal (APBEF). 

En plus des conséquences dues à l’arrêt d’activités, « la remise en état d’une agence bancaire, coûte  au moins 150 millions de FCFA », déplore M. Sy. La remise des 31 agences saccagées coûterait au total « plus de trois milliards de FCFA ». 

Dans le secteur pétrolier, « plus de 100 stations d’essence » ont été saccagées, selon le président du Groupement professionnel de l’industrie du pétrole au Sénégal (GPP), Mouhamed Chaabouni. Dans ses projections, le coût des dégâts matériels pourrait « dépasser les trois milliards de FCFA ».  

Risque de perte d’investisseurs 

Ce n’est pas la première fois que l’économie est sévèrement affectée par l’affaire « Sweet Beauté ». En 2021 déjà, lorsqu’elle a éclaté, des jours de violence et de saccage avaient durement touché l’économie.

« En 2021, le préjudice subi était de 3,5 milliards de FCFA alors que le nombre de station (saccagées) était de 21 », fait-il remarquer. Face à la récurrence des attaques contre les stations d’essence, le président du GPP explique que certains gérants ne comptent « plus reconstituer leur capital ou n’ont plus les moyens de réinvestir » dans le secteur.

Aujourd’hui, avertit El Hadji Alioune Diouf de l’Université Cheikh Anta Diop, la forte tension politique « ne permet point une sécurité juridique des investissements car la prévisibilité de l’atmosphère économique est brouillée » au Sénégal. 

« Les investisseurs ont besoin de stabilité, de prévisibilité et de transparence et de la sécurité nécessaire pour déployer leurs affaires, créer des richesses et des emplois », indique l’économiste. Sous cet angle, le Sénégal risque de pâtir d’une augmentation de « la prime de risque pays » avec les agences de notation, rappelle l’économiste Seydina Alioune Ndiaye. 

« La sinistrose et la morosité qu’elle va entraîner à l’économie vont se faire sentir par les entreprises, les ménages et l’État du Sénégal (également) parce qu’il y aura moins de collecte de recettes », explique l’économiste. 

Il est évident que l’impact négatif de ces manifestations violentes peut atteindre « plus gravement les familles avec les pertes d’emplois et le chômage technique des travailleurs », fait savoir Pr Diouf.

L’enseigne française Auchan, qui paie toujours un lourd tribut à ces perturbations, a signalé que sept de ses magasins ont été saccagés et pillés. Une situation qui pourrait envoyer près de 300 employés en chômage technique, fait savoir le directeur des ventes de l’entreprise, Momar Seyni Lo.

Au total, Auchan note que « depuis mars 2021, 19 magasins ont été attaqués pour plus de 15 milliards de FCFA de pertes ». 

Pour sa part, l’opérateur téléphonique Orange estime ses pertes à 677 millions de FCFA en raison de la coupure d’internet. Une mesure qui a provoqué le chômage technique de 309 travailleurs, selon l’entreprise.

Pour la fintech Wave, le jeu de yo-yo de l’État avec les services internet s’est soldé par « une baisse de 40 % » d’activités en deux jours. « Ce sont plus de sept millions de clients qui ont été touchés », souligne la directrice générale de Wave Sénégal, Coura Sène, qui ne fournit cependant aucune estimation du coût financier. Le 4 juin 2023, le gouvernement sénégalais avait pris la décision de suspendre « temporairement » l’accès à l’internet mobile, à la suite des scènes de pillage et de violences. 

D’ici à l’élection présidentielle du 25 février 2024, le Sénégal n’est pas à l’abri d’une rechute encore plus violente. Le « sort » d’Ousmane Sonko est en suspens, la question de la troisième candidature de Macky Sall non plus, de même que les postulants au scrutin. C’est le flou total à tous les étages. Un éternel recommencement.  

Les vrais problèmes du Sénégal pour son émergence économique sont « notre engagement démocratique définitif pour mettre ceux qui savent au cœur de nos politiques sectorielles », souligne Pr El Hadji Alioune Diouf. Il favorisera « un développement économique » du pays à partir « des régions et de tous les terroirs riches de notre pays ». 

ON/md/fd/ts

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