Derrière une porte qui s’ouvre sur une salle, des femmes couchées par terre gémissent de douleur. Les deux divans qui ornent la salle sont occupés par des patientes sous perfusion. Dans cette maternité du centre hospitalier national Matlaboul Fawzaini de Touba, près de la moitié des naissances se font avant terme. Selon Mme Diop dite Coura, sage-femme, «ces naissances prématurées sont liées à la pré-éclampsie, une pathologie courante à Touba ».
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«Caractérisée par une hypertension, elle survient au cours de la grossesse et touche majoritairement les femmes en première gestation. Elle accentue le taux de prévalence de la mortalité maternelle et néonatale», explique-t-elle. Un coupable est désigné : l’eau des forages.
Le président de la Commission du développement et de l’aménagement du territoire à l’Assemblée nationale, Cheikh Seck, confirme que «la récurrence de la pré-éclampsie à Touba et ses environs est bien liée à la mauvaise qualité de l’eau des forages».
Maire de Ndindi et administrateur à l’Office des forages ruraux (Ofor), M. Seck révèle que le taux de mortalité maternelle à Touba et à Darou Mousty est si alarmant « que nous sommes en train de réfléchir à un projet de mise en place d’une pouponnière pour accueillir le nombre important de nouveau-nés orphelins ».
La pré-éclampsie est l’une des cinq causes de décès maternel et néonatal les plus fréquentes à Touba. Dans cette localité, les statistiques affichent plus de 600 décès pour 100 000 naissances vivantes concernant les premières gestations. La moyenne nationale est de 434 décès pour 100 000 naissances vivantes, selon le Recensement général de la population et de l’habitat, de l’agriculture et de l’élevage (RGPHAE 2013). Cette mortalité liée à la forte prévalence de l’hypertension artérielle chez les femmes enceintes.
Autrement appelée, toxémie gravidique, la pré-éclampsie est une hypertension artérielle qui apparaît dans la deuxième moitié de la grossesse, selon l’encyclopédie en ligne Wikipédia.
Les ravages de la fièvre typhoïde
Si les causes de la pré-éclampsie divisent à Touba, une chose est au moins certaine pour tous : la fièvre typhoïde fait des ravages. Pour le Docteur Mamadou Dieng, le mal est étroitement lié à la qualité de l’eau et au niveau d’hygiène individuelle et collective.
«La fièvre typhoïde est une maladie à transmission oro-fécale très fréquente à Touba, du fait de la pénurie et de la mauvaise conservation de l’eau, du faible niveau d’hygiène (individuelle et collective), des problèmes de maintenance du réseau d’adduction d’eau, des agressions intempestives sur le réseau avec des fuites à des endroits insalubres ainsi qu’avec l’absence de traitement de l’eau provenant des forages», explique-t-il.
Chef du district sanitaire de Touba, Mamadou Dieng tempère l’affirmation. «Aucune étude n’a encore permis, à ce jour, d’établir des liens de causalité entre l’eau et ces phénomènes morbides. La salinité de l’eau de Touba est liée à sa forte teneur en fluor et non en sodium », fait-il observer.
«Le fluor altère le goût et entraine une coloration marron des dents à long terme, mais il n’intervient pas dans la survenue de l’hypertension artérielle. C’est surtout le sodium (forte consommation de sel de cuisine) qui est incriminé», explique-t-il.
Une nappe «très salée»
Cheikh Seck, maire de Ndindi, n’en démord pas malgré tout. Pour lui, «80 % des forages ruraux sont forés sur le maestrichtien qui est une langue très salée. Ceux de Touba en font partie et les populations sont confrontées à un réel problème de santé publique».
Couvrant les 4/5 du territoire national, la nappe du maestrichtien constitue un recours inévitable pour l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable des populations, compte tenu de ses énormes potentialités estimées entre 30 et 40 milliards de mètres cubes.
Son exploitation intense a entraîné une dégradation de sa qualité dans certaines zones comme la ville de Touba, selon le projet de fin d’études intitulé «Modélisation de la nappe du maestrichtien dans la zone de Touba ». Ce document a été réalisé en 2006 par Modou Ndiaye et Saliou Ngom, deux étudiants-ingénieurs de conception en génie civile à l’Ecole polytechnique.
L’eau du maestrichtien, selon les critères habituels, est inutilisable. Un rapport de 1985 répondant à une demande d’assistance technique de Caritas/Sénégal (Diocèse de Kaolack), en vue d’estimer les possibilités de son utilisation pour irriguer des périmètres villageois maraichers de la région de Kaolack, avait situé le taux de variation des salinités des nappes du maestrichtien entre 1,5 et 2,5 g par litre.
Dans le hall de la pédiatrie située derrière la maternité de Matlaboul Fawzaini, deux accompagnantes attendent la fin des procédures pour récupérer des corps de bébés. La cause de leur décès, elles l’ignorent. «Tout ce que je sais c’est que le travail de la mère a duré», répond la première qui soutient qu’à aucun moment, durant la grossesse de sa fille, on ne lui a interdit de consommer l’eau des forages.
Mais elle sait qu’à Touba, «de plus en plus, les femmes enceintes ne la boivent plus». Une autre dame, venue de Kaolack, informe que la femme qu’elle a accompagnée a beaucoup saigné avant son accouchement. Ce qui aurait asphyxié le bébé. «Les médecins lui ont fait une césarienne mais l’enfant n’a pas survécu», indique-t-elle.
En cette matinée d’hivernage, aucun médecin n’est présent sur les lieux. Rien que des infirmiers pour assurer la garde. Parmi eux, Djibril Diop. Il n’hésite pas à pointer du doigt l’eau des forages qui favorise les diarrhées et autres maladies liées au péril fécal comme la typhoïde.
«Pour des raisons religieuses, certains refusent de croire que l’eau de Touba est contaminée. Ils vous diront qu’elle est plutôt bénie », s’inquiète-t-il. Pour lui, les diarrhées peuvent déclencher un accouchement précoce ou causer un avortement.
La chère gratuité de l’eau
Le billet de 10 000 francs tendu par-dessus une petite table est vite mis dans la poche du vendeur. Sur cette table sont posés un carnet d’enregistrement et une machine à calculer. Une somme de 3 000 francs est remise à l’acheteur. Aucun mot n’est échangé.
L’acheteur charge ses bouteilles d’eau sur le plateau d’une charrette. Puis, il fouette son âne qui, docilement, prend la direction que les rênes lui indiquent. D’autres personnes se pressent pour accomplir le même geste. Ainsi marche le « business de l’eau à Touba » : florissant. Mais il faut y mettre le prix.
Dans cette cité religieuse, l’eau du robinet est gratuite mais elle est considérée par beaucoup comme impropre à la consommation. Ce qui fait les affaires des vendeurs d’eau potable qui sillonnent la ville à dos d’ânes.
Boire l’eau du robinet à Touba est risqué. Certaines maladies liées au péril fécal guettent, explique, Mamadou Sène, le chef de la Brigade d’hygiène de Touba, dans un entretien téléphonique avec Ouestafnews.
«L’eau nous est vendue par l’usine Maou Rahma qui purifie l’eau des forages pour la vendre. La bouteille d’eau douce de 20 litres nous revient à 100 francs et nous la cédons entre 125 et 150 francs», informe Pathé, un quadragénaire.
Ici l’eau du robinet n’a pas bonne presse. Ce que certains refusent d’admettre.
«Je bois cette eau depuis 17 ans et je n’ai jamais eu de problèmes. J’ignore cette histoire qui cherche à faire croire que l’eau de Touba est impropre à la consommation», s’énerve une dame de retour du marché. Mais l’évidence sort de la bouche des techniciens. Forée dans le maestrichtien, l’eau arrive avec ses «impuretés».
Le Programme d’eau potable et d’assainissement (Pepam), initié par le gouvernement, a tenté d’y apporter des solutions avec un projet d’installation d’usines de potabilisation. Mais celles-ci sont presque toutes tombées en panne. Arrivé à terme depuis 2015, le projet n’a pas été remplacé, révèle le député Cheikh Seck, qui a en charge l’hydraulique rurale et urbaine. L’Office des forages ruraux (Ofor) qui devait assurer l’intérim n’a pas pu le faire, faute de budget.
Des services hors de portée
Les dangers associés à la consommation de l’eau du robinet et celle des forages ont donné lieu à une prolifération des unités de traitement qui ont d’une grande clientèle en dépit de la cherté de leur produit.
En effet, le mètre cube d’eau (1 000 litres) est cédé aux gérants de petites unités à 4 000 francs, alors que dans la tranche sociale un tel volume revient à 189 francs. Chez les gestionnaires chargés de la revente aux populations, le mètre cube est cédé à 6 250 francs. Soit un bénéfice de 2 250 francs pour les grossistes.
Cette cherté, l’administrateur de l’usine Maou Rahma la met sur le compte des coûts élevés d’exploitation liés à l’électricité et au transvasement des camions-citernes distributeurs qui sillonnent Touba et ses environs.
Jusqu’à Mbacké (près de Touba) où les mêmes périls guettent et où les populations se méfient de l’eau des forages.
Mor Ndaw, un jeune de 22 ans, arpente tous les jours les rues de Mbacké avec sa charrette, pour distribuer ses bouteilles de 20 litres échangées contre 100 F. C’est dans les puits de Satté, à Touba Affé, qu’il puise la soixantaine de bouteilles qu’il écoule chaque jour.
«C’est une eau douce, adorée par les populations de Mbacké qui ont tourné le dos au robinet. D’ailleurs, il est interdit aux personnes âgées et aux femmes enceintes d’en boire», renseigne-t-il.
En tant que centre urbain raccordé au réseau de distribution de la Sénégalaise des eaux (Sde), Mbacké bénéficie de la tranche sociale, mais beaucoup de résidents n’ont plus confiance à cette eau de robinet. Comme Moustapha, un père de famille selon qui, «rares sont les habitants qui boivent l’eau des robinets ».
«D’ailleurs, avec l’interdiction de l’eau des robinets aux femmes enceintes et aux personnes âgées, nombre de ménages ont arrêté d’en consommer», témoigne-t-il.
En cette période de canicule, impossible d’emprunter une artère de Touba ou de Mbacké sans croiser ces charrettes qui font du porte à porte pour livrer l’eau.
MCS/MN/AD
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