
Ouestafnews – Quel bilan tirez – vous de ces cinquante ans d’indépendance au plan politique et social ?
Mathias Hounkpé – Au plan politique, le bilan est mitigé. Autant il y a des signes de progrès, autant il est aisé de montrer que des efforts restent à faire pour que le Bénin atteigne les rivages des démocraties consolidées.
En guise de signes de progrès, je voudrais en citer deux parmi les plus importants. Il s’agit, premièrement, de la capacité des Béninois à tirer les leçons du passé à chaque changement de phase politique. C’est ainsi que d’une phase d’instabilité politique entre 1960 et 1972 (caractérisée par 6 coups d’états réussis et au moins autant de tentatives infructueuses), le pays, dans la recherche de solutions à l’instabilité politique, est allé dans le travers inverse avec l’adoption d’un régime militaro-marxiste, d’un pouvoir autoritaire et dictatorial à parti unique entre 1972 et 1990.
Mais depuis 1990, avec le Renouveau démocratique, à la suite de la Conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990, une voie médiane semble être trouvée. Tirant des leçons des expériences passées, le constituant de 1990 a mis un point d’honneur à prévoir, dans le cadre institutionnel actuellement en vigueur, des mécanismes pour réduire les risques d’instabilité du système politique et pour protéger et garantir les droits et libertés fondamentaux des citoyens. En d’autres termes, des moyens ont été délibérément prévus pour protéger le peuple béninois des maux dont il a politiquement souffert durant les deux premières phases de son accession à l’indépendance.
Le deuxième signe de progrès qui, selon moi, mérite d’être souligné est relatif à la vitalité de la société civile béninoise. Même s’il est vrai que le peuple béninois a toujours été considéré comme politiquement très actif (et ceci depuis la période coloniale), il faut reconnaître qu’au fil du temps la société civile nationale s’est beaucoup consolidée au point de représenter aujourd’hui une force à laquelle les autorités et autres acteurs politiques font beaucoup attention. Ses actions pour la protection de la démocratie (la Constitution surtout), pour l’augmentation de la transparence et l’imputabilité dans la gestion des affaires publiques et dans la gestion des processus électoraux sont là pour en témoigner. Il faut ajouter à cela pour finir, l’éveil des consciences qui s’observe graduellement au niveau des citoyens ordinaires qui deviennent progressivement attentifs aux comportements des responsables politiques et publiques.
Au plan économique et social, les signes de progrès sont beaucoup plus difficiles à mettre en exergue. Après 50 ans d’indépendance, le sentiment qui se dégage est qu’au plan économique, nous continuons à chercher le modèle idoine pour amorcer le développement et sortir notre pays et nos populations de la pauvreté et de la misère. Il faut dire que la situation actuelle au niveau international n’est pas pour nous aider. Ceci nous oblige, de mon point de vue, à rechercher pour nous-mêmes entre le « trop d’Etat » et le « pas du tout d’Etat », le juste milieu susceptible de nous aider à sortir de l’ornière.
Au plan social, des efforts ont été faits, d’énormes sommes d’argent ont été englouties dans une multitude de projets. S’il faut reconnaître que la quantité existe (écoles, centres de santé, etc.), du point de vue de la qualité des progrès sont difficiles à montrer. Et tout le problème est là : malgré les efforts et les montants engloutis il est difficile de dire aujourd’hui si, en ce qui concerne les secteurs sociaux essentiels, les populations se portent mieux par rapport au moment de l’indépendance.
Ouestafnews – Le Bénin qui a connu un régime communiste jadis est aujourd’hui cité parmi les rares exemples en matière de démocratie en Afrique de l’ouest, quels sont selon vous les pièges à éviter pour sauvegarder cet acquis ?
M.H – Des pièges à éviter pour la sauvegarde des acquis du processus de démocratisation au Bénin, je vais en citer trois : le premier est celui qui consiste à penser que la démocratie consolidée se réalise en une opération unique. C’est-à-dire le fait d’oublier que les institutions et la démocratie ne sont pas comme des arbres qu’il faut planter et aller se reposer en attendant qu’ils poussent au gré des saisons, mais qu’elles deviennent ce que nous les citoyens voulons qu’elles soient. En d’autres termes, la démocratie ne devient consolidée que si de manière délibérée et déterminée, nous les citoyens, y apportons progressivement les aménagements nécessaires.
Le deuxième piège est celui qui consiste à penser que la démocratie peut se consolider sans que toutes les catégories d’acteurs de la société démocratique jouissent pleinement de leurs droits et libertés fondamentaux. Si vous faites attention, vous remarquez que la jouissance des droits et libertés par chaque catégorie d’acteurs concourt au bon fonctionnement de certains aspects du système démocratique. En effet, lorsque les femmes, les professionnels des médias, l’opposition, les citoyens de façon générale, … ne sont pas capables de jouir des droits et libertés qui leur sont reconnus par le cadre légal national, la démocratie s’en trouvera nécessairement affaiblie. En d’autres termes, nous devrons considérer comme un devoir de nous assurer que chaque citoyen, quelle que soit sa catégorie, jouit de ses droits et libertés fondamentaux.
Le troisième piège, pour m’en arrêter à ces quelques exemples, consiste pour les acteurs politiques à ne pas adopter les comportements et attitudes adaptés à la « jeunesse » et à la « fragilité » de notre cadre institutionnel. Les institutions de notre jeune démocratie étant encore faible, présentent beaucoup d’insuffisances. Si les acteurs politiques préfèrent passer leurs temps à instrumentaliser nos institutions , à exploiter pour des intérêts personnels ou de clans, les faiblesses des institutions, au lieu d’adopter des comportements responsables qui aident à combler lesdites insuffisances, nous irons droit vers le mûr.
Il est plus que nécessaire dans les jeunes démocraties comme les nôtres que nos hommes politiques soient à la hauteur des exigences pour garantir leur maintien et leur consolidation.
Ouestafnews – Votre pays s’achemine vers une présidentielle en 2011, celle-ci va-t-elle consacrer le retour des politiques, tous réunis derrière Adrien Houngbedji dans la coalition « l’Union fait la nation », où alors les technocrates comme l’actuel président Boni Yayi ou le postulant Abdoulaye Bio-tchané vont-il confirmer leur mainmise sur le pays ?
M.H – Au jour d’aujourd’hui, il est me paraît difficile de trancher cette question. Les citoyens se rendent compte des problèmes que pose le choix d’un président indépendant, technocrate, sans attache avec des partis politiques. Dans le même temps, les citoyens sont sceptiques quant à la capacité des partis politiques, du simple fait qu’ils sont des partis, à apporter des solutions aux défis majeurs de la société. Je crains à ce niveau, que le peuple béninois continue à chercher la formule idoine, entre président indépendant et président sortant d’un parti politique, pendant encore quelques années. Si les partis politiques se prenaient un peu plus au sérieux, s’organisaient autour d’idées et de projets de société, ils contribueraient beaucoup à accélérer le processus. En clair, le champ est ouvert pour 2011, et tout est encore possible.