Ouestafnews – Malgré un début d’engouement à Cotonou et environs ces dernières semaines, la campagne de vaccination contre le Covid-19 se heurte toujours au scepticisme de nombreux Béninois qui font preuve de défiance envers des vaccins dont ils remettent en cause l’efficacité et la sûreté.
Service des vaccinations internationales au centre de santé de Cotonou I. Il est 13 heures. Pascal Agonvinon la soixantaine, a bravé la pluie pour se faire vacciner. « Je suis là parce que je tiens à ma santé. En plus d’être bénéfique, la vaccination est gratuite », argumente le sexagénaire qui avoue n’avoir informé ni sa femme, ni ses enfants, encore très réticents à la vaccination. Il promet tout de même de les sensibiliser afin qu’ils lui emboîtent le pas.
Pour recevoir sa dose, chaque patient signe un « consentement éclairé pour le vaccin » après avoir reçu des explications sur les vaccins disponibles.
Kévin, la vingtaine, a reçu sa deuxième dose. L’étudiant en génie électrique est serein. « Je n’ai pas peur. J’ai vu le président de la République et des ministres se faire vacciner. Si eux n’ont rien eu, je n’aurai rien ».
Touché par la pandémie le 16 mars 2020, le Bénin a lancé le 29 mars 2021 sa campagne de vaccination avec 347.000 doses de vaccin dont 144.000 du vaccin AstraZeneca Covishield fabriqué en Inde et acquis via le mécanisme Covax, et 203.000 doses de Sinovac, fruit de sa coopération avec la Chine.
Le 26 juillet, à travers Covax, le pays a reçu 302.400 doses de vaccin de la firme Johnson & Johnson. Selon Dr Mamoudou Harouna Djingarey, représentant de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) au Bénin, il s’agit d’un don du gouvernement américain qui s’est engagé à travers l’initiative du président Joe Biden, à fournir 25 millions de doses du vaccin Johnson & Johnson aux pays africains, à travers le mécanisme Covax.
Piloté par l’OMS, le mécanisme Covax vise à mettre des vaccins à la disposition des pays pauvres. Cette initiative vise à fournir deux milliards de doses de vaccin contre le Covid-19 à environ un quart de la population des pays les plus pauvres d’ici la fin de 2021.
Au Bénin, la campagne a d’abord ciblé les agents de santé, les personnes âgées de plus de 60 ans et celles porteuses de comorbidité des départements les plus touchés par la maladie au sud du pays notamment le Littoral, l’Atlantique et l’Ouémé. En mai 2021, elle a été ouverte à l’ensemble de la population âgée de 18 ans et plus sur l’ensemble du territoire national.
A la mi-juillet 2021, moins de 60.000 personnes avaient accepté de se vacciner au Bénin. Depuis le début du mois d’août les opérations connaissent un début d’engouement à Cotonou et environs.
Cet engouement, s’explique par la recrudescence des cas de Covid-19 et l’augmentation des formes graves et des décès, selon Dr Samuel Guido, médecin du Centre de santé de Godomey dans la commune d’Abomey-Calavi.
Désormais, témoins de la maladie pour avoir perdu des proches, certains Béninois pensent à se protéger de la maladie et de la mort grâce au vaccin.
Au centre de santé de l’arrondissement de Godomey dans la commune d’Abomey-Calavi, il faut se lever de bonne heure pour être sûr d’être vacciné. « La vaccination démarre à 9 heures mais il faut être déjà sur les lieux dès 8 heures », explique Audrey, la préposée au remplissage des fiches d’enregistrement. Selon le gardien dudit centre, des personnes arrivent très tôt, dès 6 heures du matin, pour prendre place dans la file d’attente.
De l’avis de Dr Samuel Guido, après trois mois marqués par une faible adhésion des populations, la tendance s’est inversée depuis le mois d’août. « L’effectif oscille entre 90 et 150 vaccinés par jour ».
La pandémie est en nette progression depuis quelques semaines avec une augmentation des cas de contaminations. Sur le site internet du gouvernement, les chiffres publiés révèlent qu’entre le 12 et le 18 août 2021, le nombre de cas actifs a presque triplé, passant de 600 à plus de 1.600. De 13.366 le 25 août, le nombre de cas confirmés au Bénin a bondi à 19.106 le 5 septembre. Sur la même période, les décès sont passés de 128 à 141. Ce 5 septembre, 5.209 personnes étaient encore sous traitement.
Méfiance, doute et rejet
Malgré cet engouement, ils sont encore bien nombreux, les Béninois qui continuent de défier les vaccins. Il faut dire que la campagne se heurte depuis son début à une déferlante de rumeurs propagées via les réseaux sociaux, et remettant en cause les informations diffusées par les autorités sanitaires et politiques.
Tognissè Hounkannou refuse de se faire vacciner. Ce père de famille travaillant au port de Cotonou pense que le Covid-19 et ses variants sont « une invention de l’Occident » pour « malmener les populations ».
Guéri du Covid-19 en février 2021, Arnaud Sèdécon, 39 ans, hésite toujours à se vacciner. « Il n’y a pas encore d’assurance avec ces vaccins. Peut-être que je le ferai, mais pas pour l’instant ».
Pour Roch Houngnihin, professeur d’anthropologie de la santé, cette réticence des populations n’a rien d’extraordinaire. « Nous sommes au cœur de l’hésitation vaccinale ». Ce phénomène social n’est pas nouveau car il a été observé pour d’autres pathologies comme la poliomyélite, souligne le directeur du laboratoire d’anthropologie médicale appliquée de l’Université d’Abomey-Calavi (Lama/Uac).
L’influence des réseaux sociaux
Dans le cadre du programme Appui à la riposte africaine à l’épidémie de Covid-19 (Ariacov), le Lama/Uac a conduit en octobre et novembre 2020, une étude sur l’acceptabilité du vaccin anti Covid-19 au Bénin, auprès de répondants relevant de différents profils socio-professionnels.
L’étude a mis en évidence que 92,5% des enquêtés n’accepteraient pas le vaccin si on le leur proposait. L’étude a aussi révélé l’influence des réseaux sociaux dans la prise de décision des répondants puisque 73% d’entre eux avaient obtenu des informations à travers ce canal contre 23% à travers les services de santé et 4% via d’autres sources.
Les préalables posés par les populations pour l’acceptation d’un vaccin anti-Covid-19 étaient de trois ordres : la certification du vaccin par l’OMS en tant qu’instance suprême de santé ; l’engagement de l’Etat béninois et le démarrage de la vaccination dans les pays les plus concernés.
Une autre étude menée en avril-mai-juin 2021 par le Lama/Uac, pour apprécier l’acceptabilité de la vaccination, a souligné la persistance des rumeurs alors que toutes les conditions posées étaient remplies.
Selon l’anthropologue de la santé, du 14 au 20 avril 2021, plus de 120 informations négatives sur les vaccins ont été enregistrées contre une seule rumeur positive au Bénin. Il estime qu’une telle situation entretient le scepticisme et la défiance vis-à-vis des vaccins.
« Le Bénin n’a aucun intérêt à importer un vaccin pour détruire sa propre population », martèle Dr Lawalé, le directeur général par intérim de l’Agence nationale des soins de santé primaires. Pour lui, les populations gagneraient à écouter les voix officielles plutôt que des informations fabriquées de toutes pièces.
Face à la presse le 2 septembre 2021, le ministre de la Santé a déclaré qu’environ 160.000 personnes étaient vaccinées dans le pays. Le Bénin qui vise l’immunité collective, doit vacciner plus des deux tiers de sa population. « A la fin de 2021, si tout se passe bien, on devrait avoir couvert 20% de la population, 40% à la fin de 2022 et 60% à la fin de 2023 pour atteindre l’immunité collective », explique Dr Thierry Lawalé, le directeur général par intérim de l’Agence nationale des soins de santé primaires (Anssp).
Vaccination obligatoire pour les agents de santé
Face au scepticisme des populations, le gouvernement a décidé de taper fort, depuis le 1er septembre, en rendant la vaccination obligatoire pour une frange de la population. Sont désormais obligés de se vacciner contre le Covid-19, le personnel médical, paramédical, pharmacien, aide-soignant, de même que le personnel administratif des formations sanitaires publiques et privées, ainsi que le personnel des officines pharmaceutiques. Il est aussi décidé, entre autres mesures, la suspension de la participation de tout agent de l’administration publique ou employé du secteur privé non vacciné contre le Covid-19, à des rencontres (réunions, ateliers, forums, séminaires, etc.) sur le territoire national.
Le 3 septembre, le ministre de la Santé a invité les responsables, à divers niveaux du ministère, à surseoir à la délivrance d’ordre de mission au profit de tout agent sous leurs ordres, sauf en cas de présentation d’un « pass vaccinal » valide.
Le même jour, le collectif des syndicats du secteur de la santé est monté au créneau pour condamner la décision du gouvernement l’invitant à revoir sa copie et à lever les zones d’ombre par une communication plus scientifique.
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