Ouestafnews – Tués, portés disparus ou enlevés. C’est le lot de drames que les journalistes vivent dans un Sahel en proie à une crise sécuritaire depuis plus d’une décennie. Dans un rapport d’enquête publié ce 3 avril 2023, Reporters sans frontières (RSF) craint que cet espace ne devienne une « zone de non-information ».
Depuis plus d’une décennie, le Sahel est devenu une zone de danger pour les journalistes dans l’exercice de leur métier. Selon le directeur du bureau de Reporters sans frontières (RSF) pour l’Afrique subsaharienne, Sadibou Marong, les journalistes y sont écartelés entre les menaces de groupes terroristes les empêchant de diffuser librement l’information et les restrictions et « arrestations arbitraires » des forces de défense et de sécurité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Dans un rapport d’enquête rendu public ce 3 avril 2023 à Dakar et intitulé « Dans la peau d’un journaliste au Sahel », RSF note la dégradation de la situation sécuritaire dans cette partie en proie à une crise sécuritaire depuis 2013. Cinq journalistes y ont été tués entre 2013 et 2023 et deux autres récemment portés disparus, selon le rapport.
Les agissements des protagonistes dans cette crise accentuent « la restriction de notre capacité d’aller et venir dans certaines zones du pays et l’accès aux sources d’information », explique le directeur de publication du journal « L’Evènement » au Burkina Faso, Atiana Serge Oulon, en marge de la publication du rapport d’enquête de RSF.
Cette enquête révèle les nombreuses contraintes qui entravent le travail des journalistes dans la région sahélienne, notamment au Burkina Faso, au Mali, au Bénin, au Niger, au Tchad et en Mauritanie.
« L’intensification des attaques » des groupes terroristes occupe une place importante dans cette situation. Entre 2017 et 2022, plus de mille attaques terroristes ont été recensées au Mali, au Burkina Faso et au Niger, selon Sécurité Liptako-Gourma, une structure de veille et d’expertise sécuritaire.
Cela a entrainé « une restriction de l’espace de collecte d’information », note Sadibou Marong. Au Mali comme au Burkina Faso, de « simples » formalités administratives d’enregistrement ont été remplacées par un « complexe processus d’accréditation qui entrave le travail des journalistes », déplore Reporters sans frontières.
Selon le journaliste Atiana Serge Oulon, cette incertitude sécuritaire contraint les journalistes à « évaluer les risques avant de se déplacer » pour un reportage.
Au Niger, « aucun journaliste n’ose aller sur le terrain en dehors des quelques rares missions (…) comme des déplacements du chef de l’État ou des ministres chargés des questions sécuritaires », affirme un journaliste nigérien sous couvert d’anonymat, cité par le rapport.
Dans ce pays, les zones dangereuses ont été placées sous état d’urgence. Dans les régions de Diffa, Tillabéry et Tahoua, l’état d’urgence en vigueur a été encore renouvelé pour trois mois, à partir du 26 janvier 2023. Ces zones, selon RSF, sont inaccessibles pour les journalistes sans escorte militaire et sans l’aval des autorités.
Au Burkina Faso, deux « zones d’intérêts militaires » ont été créées en juin 2022 comprenant une partie de la province du Soum, frontalière au Mali, et la réserve protégée entre Pama et le parc national W ». Ces zones réputées d’être des repères de groupes terroristes sont interdites aux civils et aux journalistes.
Les putschistes exacerbent la situation
Dans ce contexte, l’arrivée des militaires au pouvoir dans plusieurs pays du Sahel a constitué « un autre défi » pour les journalistes. « Que ce soit au Mali, au Burkina Faso ou au Tchad, à peine arrivées au pouvoir, les nouvelles autorités cherchent à contrôler les médias au travers de mesures d’interdiction ou de restriction, voire d’attaques ou d’arrestations arbitraires », selon l’ONG.
L’enquête souligne également que « les médias publics sont particulièrement vulnérables au moment des coups d’Etat », surtout au moment de la prise de contrôle de la télévision et la radio nationale pour annoncer leur prise de pouvoir. Le rapport cite ici le cas du Burkina Faso lors du putsch de septembre 2022 dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré.
Une fois installés, les putschistes « n’hésitent pas à refaçonner le paysage médiatique pour mieux servir leurs intérêts », souligne RSF. Au Mali comme au Burkina Faso, les autorités ont suspendu la diffusion de plusieurs médias, notamment français.
En février 2022, le journaliste de Jeune Afrique Benjamin Roger, a été arrêté puis expulsé du Mali faute d’accréditation. Le 16 janvier 2023, Bangaly Touré, correspondant de France 24 au Burkina Faso, avait été convoqué par le Conseil supérieur de la communication (CSC) au motif d’un « dérapage » lors de la diffusion d’une information selon laquelle une cinquantaine de femmes avaient été enlevées par des « rebelles islamiques ».
L’ONG regrette l’adoption, dans plusieurs pays, de réglementations « qui restreignent davantage le droit d’informer». Elle révèle aussi des cas « d’injonctions patriotiques » qui proviennent des autorités de certains pays du Sahel ayant « la volonté de contrôler les discours médiatiques ».
Face aux multiples contraintes dans l’exercice du métier de journaliste, Sadibou Marong note que le Sahel est « en train devenir une région privée de journalistes indépendants et d’informations fiables ».
« On a peur que le Sahel ne devienne une zone de non-information », s’inquiète-t-il.
ON/fd
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