Afrique : de l’urgence d’une ingénierie financière pour la recherche

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En manque de financement et d’orientation, la recherche est en panne en Afrique. Du 15 au 18 mars 2022, des universitaires africains et de la diaspora se sont penchés sur la question à Saint-Louis (Sénégal)./Photo-Ouestaf News.

Ouestafnews – L’Afrique représente 15% de la population mondiale et ne produit que 2,4 % des « résultats de recherche » dans le monde. Pour corriger ce déséquilibre, le continent doit se réinventer dans ses orientations et modèles de financement de la recherche. Un secteur en panne de soutien.

Une revue africaine de science politique qui peine à voir le jour. Un projet d’animation scientifique qui tarde à se réaliser. Les deux idées sont portées par l’Association africaine de science politique. « Nous courrons toujours derrière un financement pour lancer ces deux activités », déplore Pr Nadine Machikou Ndzesop, vice-présidente de ladite association, chargée des questions de recherche.

Nadine Machikou et des dizaines de ses collègues se sont penchés sur la question lors du colloque international « African research matters » tenu du 15 au 18 mars 2022 à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, à près de 290 km de Dakar, au nord du Sénégal.

Constat quasi unanime des participants : la recherche est en panne de financement au sein des universités en Afrique.

« La contribution de l’Etat se limite à la prise en charge des salaires d’enseignants mis à la disposition des laboratoires », explique Pr Mahaman Tidjani Alou du laboratoire d’Etudes et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL) au Niger. L’Enseignant en science politique à l’université Abdou Moumouni de Niamey trouve cela « important » mais « très peu » par rapport à ce qu’exige la recherche.

Cette situation est à l’image de la plupart des universités africaines. Le financement reçu par le chercheur est inclus dans le budget de l’université sous la forme d’une prime individuelle de recherche versée tous les trois mois. « Le fonds prévu pour la recherche est comme un supplément de salaire », appuie Nadine Machikou, également Vice-recteur de l’université de Yaoundé 2, en charge de la recherche et de la coopération avec le monde économique.

Il se trouve que toutes ces formes de soutien, en termes de salaires ou de primes sur salaires, ne sont pas nécessairement affectées à des opérations de recherche. Or « le financement devrait être dédié à un groupe de chercheurs d’un laboratoire pour leur mobilité sur le terrain, acquérir des ouvrages et du matériel nécessaire à cette activité », plaide l’universitaire camerounaise.

Désintérêt pour la recherche

Ces deux témoignages en disent long sur la déliquescence dans laquelle baigne la recherche en Afrique. A preuve, « comment comprendre que deux ans après la survenue de la pandémie de Covid-19, seul le continent africain est encore incapable de mettre au point un vaccin », s’interroge l’enseignante chercheure à l’université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, Mame Penda Ba. Cela dénote de la faiblesse, voire du désintérêt que les Etats africains accordent à la recherche, estiment les d’intervenants au colloque.

Citant un rapport de l’Unesco de 2021, Mme Ba souligne que « l’Afrique ne représente  que 2,6 % des chercheurs dans le monde  et 2,4 % des résultats mondiaux de la recherche ». Globalement, ses Etats ne consacrent que 0,4 % de leur produit intérieur brut (PIB) à la recherche, alors que l’Union africaine recommande de porter ce chiffre à 1 %. Selon le même rapport, seul 2 % des budgets dédiés aux universités en Afrique sub-saharienne est consacré à la recherche.

Laurent Vidal, directeur de recherche à l’IRD, entouré de l’équipe de la rédaction de Global Africa, une revue de recherche interdisciplinaire indépendante sur les questions de la durabilité en Afrique, publiée en quatre langues (français, anglais, arabe et Swahili)./Photo-Ouestaf News.

Repenser le soutien

Devant l’urgence de réduire le gap, comment inverser cette tendance ? L’enseignant chercheur en économie à Duke University aux Etats-Unis et à l’UGB de Saint-Louis où se tient le colloque, Felwin Sarr pense qu’il faut monter une « architecture économique », capable de booster le financement de la recherche. Plus précisément, il s’agit selon le Pr Sarr de créer, au sein des structures de recherche, « une ingénierie financière dédiée à la recherche et qui élabore les besoins et les sources de financement locales et étrangères ». 

Nadine Machikou exprime avec force ce besoin, en reconnaissant les limites des laboratoires universitaires« dans le fund-raising et la gestion de projets ». « Les universités ne sont pas nécessairement outillés pour cela. Or, l’accès au financement requiert de bons montages financiers des projets de recherche et surtout de savoir identifier les  bons guichets pour demander le soutien », explique-t-elle. 

Pour d’autres chercheurs qui ont été présents à Saint-Louis, les partenaires privés investissent quelque peu dans la recherche mais ont tendance à ne financer que des recherches pour lesquelles elles ont des intérêts en termes d’applicabilité de leurs résultats.

Pour le Pr Felwin Sarr les agendas des institutions privées ne peuvent pas constituer un obstacle à la recherche. Sa solution : « identifier les acteurs qui auraient intérêt à financer la recherche pour les inciter à contribuer à des activités de recherches bénéfiques pour elles et pour la société aussi ».

Mais la recherche se porterait surtout mieux si les pouvoirs publics eux-mêmes la considéraient « comme un investissement avec des retombées durables dans la vie socio-économique», plaide l’universitaire sénégalais. Pour arriver à cela, il faut qu’ils se départissent de cette croyance selon laquelle « financer des activités dont on ne verra les résultats qu’un peu plus tard n’est pas une priorité dans un contexte où on fait face à des urgences plurielles ».

Un exemple pour secourir la recherche

En plus des fonds, la recherche a besoin de se réinventer en Afrique pour se faire financer. La revue Global Africa dont le premier numéro a été lancé lors de ce colloque sur le thème « penser les futurs africains en réponse aux défis planétaires », constitue selon ses promoteurs une première réponse à ce défi. La revue entend  « nourrir une dynamique de recherche interdisciplinaire indépendante sur les questions de la durabilité en Afrique », précise Godwin Mulunga, directeur exécutif du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria), une des institutions qui portent l’initiative. 

Selon lui, les réformes en termes de recherche ne sont pas suffisantes parce qu’elles ne perturbent pas les paradigmes actuels pour éviter la reproduction des concepts importés. Or, « pour être maître de son destin, il faut être maître de sa pensée et de ses idées ».

FD-KAN/ts

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