Ouestanews (en collaboration avec Code for Africa) – Une vidéo contenant une déclaration attribuée au président français Emmanuel Macron a été publiée sur les réseaux sociaux le 9 janvier 2025. La vidéo en question comporte une capture d’un tweet attribué au chef d’Etat français et une voix off générée par intelligence artificielle (IA). Elle a été mise en ligne dans un contexte de controverse entre la France et le Sénégal sur l’initiative de la fermeture des bases militaires françaises. Dans cette enquête, Ouestaf News revient sur les dessous d’une vidéo devenue virale en Afrique de l’Ouest.
Tout est parti d’une publication postée sur TikTok le 9 janvier 2025 par le compte Djims598. La vidéo a eu plus de 33.000 vues et a été partagée 146 fois à la date du 5 novembre 2025. Le 10 janvier 2025, le contenu est repris par l’influenceur Juniorafrica qui a plus de 3.600.000 followers sur TikTok. La reprise de la vidéo sur ce dernier compte a eu plus de 547.700 vues, plus de 31.000 likes, 2.015 partages, 1.690 commentaires et 4.747 sauvegardes en date du 5 novembre 2025. Cette audience a rendu la vidéo virale sur les réseaux sociaux.
Dans cette vidéo, on prête au président français d’avoir dit, s’adressant à Ousmane Sonko, le Premier ministre sénégalais : « …vous avez fait le choix de rompre avec la France […] tourner le dos à cette coopération serait une erreur historique ».
Les recherches permettant de retrouver le tweet original supposé provenir d’Emmanuel Macron en réponse aux déclarations du Premier ministre Ousmane Sonko sont restées infructueuses. Il n’était pas possible de retrouver le tweet sur le compte officiel de Macron ni sur aucun compte officiel de la république française.
Une recherche avancée suivie d’une vérification manuelle sur les publications faites sur le compte X officiel de Macron n’ont rien donné. Il n’y a aucune trace d’un tweet du président français postée entre le 6 et le 9 janvier 2025, mentionnant le Premier ministre Ousmane Sonko.
Selon un article de vérification de l’Agence de presse sénégalaise (APS), repris par le site allafrica.com, Emmanuel Macron n’a jamais fait de déclaration visant le chef du gouvernement sénégalais. L’article en question n’est plus disponible sur le site de l’APS mais l’auteur de la vérification, Serigne Mbaye Dramé, a confirmé à Ouestaf que le texte a bien été publié par sa rédaction.
Tensions diplomatiques
Le 6 janvier 2025, lors de la Conférence annuelle des ambassadeurs français à Paris, le Président Emmanuel Macron a affirmé que le départ annoncé des bases françaises en Afrique a été négocié avec les pays africains. Dans sa déclaration, il estime que c’est par politesse que la France a consenti la « primeur de l’annonce » aux dirigeants africains concernés.
Ces déclarations du président français ont très vite fait réagir le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko, sur Facebook et sur X (ex- Twitter). Leader du parti au pouvoir, M. Sonko est très critique du « néocolonialisme » français en Afrique depuis son entrée en politique. Il a répliqué pour dire que les propos du président français sont « totalement erronés ».
« Aucune discussion ou négociation n’a eu lieu à ce jour et la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté », a-t-il notamment affirmé sur un long tweet.
La publication d’Ousmane Sonko a généré plusieurs dizaines de milliers de réactions (likes, commentaires) dont plus de 29.000 partages sur les réseaux sociaux. La plupart de ces réactions étant hostiles à la France.
Vidéo tournée sur des bases fallacieuses
Selon les auteurs de la vidéo, objet de notre enquête, le président français aurait fait sa mise en garde en réaction aux propos du Premier ministre sénégalais.
Le tweet attribué à Emmanuel Macron dans la vidéo met en avant un ton irrespectueux, paternaliste et menaçant. La vidéo avec une voix générée par l’I.A et de faux attributs du compte X d’Emmanuel Macron, met l’accent sur la confrontation verbale entre le président français et le Premier ministre sénégalais.
L’analyse des commentaires sur les réseaux sociaux montrent des réactions d’internautes qui s’indignent de ces propos jugés « arrogants ».
Pour les autorités sénégalaises, la fermeture des bases militaires françaises est une affirmation de la souveraineté du pays. Leur décision est d’ailleurs saluée comme telle par de nombreux internautes.
Cependant, de nombreux partisans de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) y voient de la « poudre aux yeux ». C’est parce que, selon eux, le Sénégal n’a pas dénoncé les accords militaires signés avec la France au moment des indépendances. Dans les commentaires, nombre d’entre eux ont exprimé leur déception ou même de la « honte » vis-à-vis de la position du gouvernement sénégalais.
Origine de la vidéo
Le compte TikTok qui a publié en premier la vidéo, selon les recherches d’Ouestaf News, est détenu par Djims598. L’essentiel des publications de ce compte est consacré au Burkina Faso et à son président Ibrahim Traoré.
Contacté via son compte Tik Tok, le propriétaire du compte affirme être de nationalité burkinabè mais s’est abstenue de répondre à la question sur l’origine de la vidéo ou l’identité de l’auteur du montage.
Parmi les quatre publications les plus populaires du compte TikTok Djims598, la plus regardée porte sur les opérations militaires au Burkina Faso.
Parmi ceux qui ont contribué à rendre cette vidéo virale, on trouve l’influenceur Juniorafrica qui a plus de 3.600.000 followers sur TikTok. Il reprend l’audio de la vidéo originelle avec une voix « plus humaine ». Sur la première publication, il était plus facile de remarquer une voix robotique. L’analyse des publications de ce compte permet d’identifier un narratif panafricaniste, anti-France et pro-AES.
Capture du profil du compte TikTok de Juniorafrica_
Sur Facebook, les publications de Juniorafrica sont partagées par des pages telles qu’Ahmed Kaballo. Ce dernier est un cas intéressant. Selon son profil Facebook, Ahmed Kaballo, basé à Nairobi au Kenya, se décrit comme propriétaire et directeur d’African Stream.
Ce média en ligne, basé à Nairobi au Kenya, est présenté comme une « plateforme médiatique numérique panafricaine couvrant les affaires concernant les Africains dans leur pays et dans la diaspora ».
African Stream est accusé par le Département d’Etat américain d’être une façade pour les opérations de désinformation russes en Afrique. Dans une déclaration faite le 13 septembre 2024, Secrétaire d’Etat à l’époque, Antony Blinken, avait indiqué qu’African Stream est « secrètement » géré par le média russe Russia Today (RT).
La plateforme a finalement annoncé la cessation de ces activités en juillet 2025 après avoir été bannie par plusieurs médias sociaux américains. C’est Ahmed Kaballo lui-même qui en a fait l’annonce dans une vidéo publiée sur son compte Youtube.
Contacté par Ouestaf News sur ses réseaux sociaux dans le cadre de cette enquête, il n’a pas réagi jusqu’à la mise en ligne de cet article.
Cette découverte est loin d’être fortuite au vu de la « cartographie de la vague de désinformation en Afrique » publiée le 1er avril 2024 par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique (Cesa, qui dépend du Département de la Guerre américain), basé à Washington. L’institut, dédié aux problématiques sécuritaires africaines, avait documenté pas moins de 189 campagnes de désinformation sur le continent. Selon le Cesa, ces campagnes ont presque quadruplé depuis 2022 et ce chiffre est certainement sous-estimé.
Le Cesa accuse les Russes d’être derrière ces campagnes. Mais le 15 décembre 2020, Facebook avait annoncé avoir supprimé un réseau de comptes lié à l’armée française.
Partages à grande échelle
La viralité n’est pas uniquement due à des comptes très suivis comme celui de Junioafrica mais par la reprise de la vidéo dans plusieurs groupes. Nos recherches ont permis d’identifier des pages très suivies et des profils qui ont contribué à faire circuler la vidéo dans plusieurs groupes.
La page Kita dogofily officiel, 474.000 followers, a été la première à publier la vidéo sur Facebook. L’administrateur de cette page a ensuite partagé sa publication dans six groupes le 9 janvier 2025 et pratiquement à la même heure.
Par la suite, elle a été relayée par d’autres groupes comme L’indépendance de l‘AES (29.772 membres). Des profils tels que Issiaka Zida, un des administrateurs de L’indépendance de l’AES et Traoré Chiekh ont beaucoup partagé la vidéo dans de nombreux autres groupes.
Au vu des chiffres et de la viralité de ce genre de vidéos, une question surgit naturellement : sont-ils faits à dessin pour désinformer ou juste pour générer des vues et gagner de l’argent ?
À Africa Check, spécialisé dans le fact-checking, on pense plutôt qu’elle s’inscrit dans une tendance. « C’est comme s’ils étaient en réseau », dit Faysal Boukary, journaliste à Africa Check. Des pages très suivies créent souvent un contenu « de toutes pièces » et plusieurs autres pages, dans le même écosystème, relayent la publication pour multiplier son audience, explique-t-il.
Selon Faysal Boukary, les dirigeants sénégalais sont régulièrement visés par la désinformation surtout à l’occasion d’évènements « en lien avec la France ». Mais le Sénégal est aussi ciblé par des acteurs établis hors du continent notamment lors de la présidentielle de février 2019, qu’avait remportée le président sortant de l’époque, Macky Sall.
En mai de la même année, le pays a été cité par Facebook comme faisant partie des cibles d’Archimedes Group, une société israélienne spécialisée dans la désinformation politique. Des révélations confortées par la ligue de web-activistes africains, AfricTivistes, dans un rapport publié en septembre 2025.
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