29.6 C
Dakar

Une information fiable et indépendante sur les questions qui traversent l'Afrique.

Sénégal : libertés publiques et dualité au sommet, le Pastef à l’épreuve du pouvoir

À LIRE

spot_img

Ouestafnews – Poursuites judiciaires contre des voix critiques, tensions au sommet de l’État, situation économique morose, etc. Au Sénégal, plus d’un an après son accession au pouvoir, le tandem Bassirou Diomaye Faye ‑ Ousmane Sonko fait face à la dure réalité de la gestion du pouvoir.

Ils étaient venus au pouvoir en sauveurs, quinze mois après, le doute s’installe, jusque dans leur propre rang. Le discours du 11 juillet 2025, prononcé par le Premier ministre (P.M) Ousmane Sonko en a été le grand révélateur.

Fidèle à ses habitudes, le chef du gouvernement sénégalais, s’en est publiquement pris à tout le monde : la presse, la société civile et même le président de la République, lors du Conseil national de son parti.

Mouhamed Sané, chauffeur de taxi, se dit préoccupé par le désaccord entre le président et son Premier ministre. « S’il y a problème, cela peut se répercuter sur la bonne conduite du pays », avertit-il. Il juge la sortie d’Ousmane Sonko « inappropriée » envers le président.

Figure dominante du parti les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), le P.M a accusé son « ami » et chef de l’Etat de le laisser à la merci d’un lynchage médiatique alors qu’il peut agir et faire cesser cela. « Le Sénégal a un problème d’autorité », a-t-il asséné, parlant du président Bassirou Diomaye Faye. Il a même demandé à ce dernier de prendre ses « responsabilités » en y ajoutant que, si lui Sonko, était président, « les choses ne se passeraient pas comme ça ».

Dans une tribune intitulée « Devoir de convergence », Me Ciré Clédor Ly, membre du pool d’avocats du Pastef, a pris position en faveur du duo au pouvoir. « Le tandem Sonko-Diomaye est une nécessité », estime-t-il.

Le président Faye tempère

Malgré l’inquiétude quant à une crise au sommet de l’Etat, le président Bassirou Diomaye Faye adopte une posture plus réservée et tempère.  Lors de la cérémonie de remise du rapport sur le dernier dialogue politique, le 14 juillet 2025, le président Faye a nié toute tension entre lui et son « ami » et Premier ministre. Selon lui, la priorité du moment reste de « réconcilier » le pays et « le seul combat qui vaille est de lutter contre les difficultés qui assaillent les Sénégalais ».

Le taximan Mouhamed Sané, salue cette posture plus « mature » de Bassirou Diomaye Faye. Pour lui, « si vraiment Sonko moy Diomaye (Sonko est Diomaye, en wolof), il ne devrait pas y avoir de problème entre les deux ».

Dans un costume hybride de P.M et président de parti, Sonko s’est aussi attaqué, tous azimuts, à la société civile, aux médias, aux politiques, y compris des membres de son camp. Dans ce coup de sang contre tous, il a traité certains acteurs de la société civile de « fumiers » « financés de l’extérieur » dont il faut contrôler à travers une loi.

En réaction sur compte X (ex-Twitter), Birahim Seck, coordonnateur du Forum civil, a invité le Premier ministre à arrêter « de prendre la société civile pour prétexte de l’impuissance aiguë à gouverner ». M. Seck a rappelé que la société civile sénégalaise « était là avant et elle survivra à la petite loi » que le Premier ministre propose et poursuit que « les Sénégalais méritent plus qu’un chef en colère, sans profondeur et sans cap ».

Dans son texte, Me Ly, lui aussi, dénonce « la manipulation de principes humanitaires » par certains « réseaux d’influence défendant des intérêts occultes », qu’il accuse de se cacher derrière des organisations prétendument issues de la société civile.

En réaction à ces propos de Me Ciré Clédor Ly, Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal, regrette les attaques contre les organisations de défense des droits humains, qu’il qualifie d’« injustes ». Selon lui, il faut « être de mauvaise foi ou avoir la mémoire courte » pour tenir de tels propos à leur encontre, faisant référence aux soutiens de ces mêmes organisations à Ousmane Sonko lorsqu’il était opposant.

Dans sa sortie fracassante, Ousmane Sonko a aussi promis une « tolérance zéro » face à ce qu’il qualifie « d’attaques médiatiques ». Depuis, certains craignent une plus grande restriction des libertés publiques, déjà bien malmenées avec une longue série d’arrestations d’opposants et de voix critiques du régime.

Bachir Fofana, journaliste-chroniqueur et Moustapha Diakhaté, ancien député de l’Alliance pour la République (APR), ont été poursuivis respectivement, pour « diffusion de fausses nouvelles » et « offense au chef de l’État et à une personne exerçant tout ou partie des prérogatives présidentielles ».

Plus récent, un autre chroniqueur, Badara Gadiaga, a été arrêté pour quasiment, les mêmes infractions. Des poursuites intervenues après un débat houleux avec, Amadou Ba, un député de Pastef dans une émission de la Télé Futurs Médias (TFM, privée).

Sans le citer nommément dans son discours, le Premier ministre, Ousmane Sonko a catégorisé ce média d’être parmi ceux qui combattent son parti bien avant son accession au pouvoir, exhortant les militants du Pastef à éviter de fréquenter ces médias.

« Il y a trop de laisser-aller et d’exagération », estime Cheikh Omar Niafouna, professeur de français dans un collège de la capitale, rencontré aux Parcelles Assainies, dans la banlieue de Dakar. Interrogé par Ouestaf News sur la situation des libertés publiques, au vu de cette vague d’arrestations, il dit « comprendre » qu’il y ait des interpellations « quand les limites sont dépassées ».

Toutefois, prévient l’enseignant, c’est à la « justice d’y veiller ». « Arrêter les gens pour seulement des délits d’opinion est extrêmement grave », regrette Cheikh Omar Niafouna. Il rappelle que « les Sénégalais ont lutté contre cela du temps de Macky Sall et les nouvelles autorités font pareil ».

Le régime de Macky Sall, au pouvoir de 2012 à 2024, a été marqué par des atteintes aux libertés publiques et une justice jugée partiale. La fin de second mandat a été marqué par une crise politique avec des manifestations violentes, ouvrant la voie à une alternance avec l’élection de Bassirou Diomaye Faye soutenu par Ousmane Sonko.

Article 255, un outil répressif

Les récentes arrestations liées à des propos tenus publiquement, illustrent les préoccupations soulevées dans une déclaration conjointe, en mai 2025, par plusieurs organisations de la société civile, des journalistes et mouvements citoyens. Les signataires s’insurgent contre « l’usage abusif » de l’article 255 du Code pénal. Selon eux, seulement un an après l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, cet article sur la diffusion de « fausses nouvelles » est devenu un « outil répressif » contre les voix critiques.

Les organisations appellent ainsi à une réforme urgente de cet article dont, en plus d’être hérité du système « législatif post-colonial », le libellé est jugé vague, favorisant des interprétations « arbitraires » et des peines « disproportionnées ».

Depuis début 2025, plusieurs autres personnes ont été interpellées pour « diffusion de fausses nouvelles » ou « offense au chef de l’Etat ».

Intervenant sur les ondes de Radio Sénégal Internationale (RSI), Alioune Tine, fondateur du think tank, Afrikajom Center, a dénoncé l’usage persistant de délits comme « l’offense au chef de l’État ». Pour lui, c’est un « crime de lèse-majesté hérité des monarchies », et donc incompatible avec les principes d’un régime démocratique. Il appelle à une pratique plus équilibrée de la liberté d’expression, qui « doit s’exercer avec responsabilité, tant du côté des citoyens que des gouvernants ».

HD/fd/ts


Voulez-vous réagir à cet article ou nous signaler une erreur ? Envoyez-nous un message à info(at)ouestaf.com.

Articles connexes

spot_img

Actus