Ouestafnews – Dans la plupart des Etats africains, surtout en Afrique de l’Ouest, la question du « troisième mandat présidentiel » génère toujours des contentieux. Elle est source de tension politique et sociale, souvent sur fond de modification des textes constitutionnels.
«Si vous êtes président de la République, vous avez pratiquement tous les pouvoirs ; et à votre disposition, toutes les institutions» : l’analyse est d’Alioune Tine, président du Think Tank Africa Jom Center, qui s’exprimait dans un entretien accordé à Ouestaf News.
Selon M. Tine, le président (dans beaucoup de pays de la sous-région), n’a en face de lui, «aucun autre pouvoir qui puisse arrêter (sa) volonté de nommer, de changer ».
Ces pouvoirs exorbitants accordés au président de la république, en plus des privilèges liés à la fonction, expliquent en grande partie l’attachement au poste, et font qu’une fois au pouvoir, ceux qui exercent la fonction n’ont plus aucune envie de quitter.
En ce moment en Guinée, le débat fait rage et des manifestants qui s’opposent à un troisième mandat pour Alpha Condé ont été tués. Alpha Condé, élu en 2010 et réélu en 2015 est en train, avec ses partisans, de manœuvrer pour arriver à une modification de la constitution.
Au Sénégal, des affidés de la coalition au pouvoir commencent à agiter l’idée d’un troisième mandat au profit du président Macky Sall qui vient d’entamer un deuxième mandat, qui pour ses adversaires est le dernier, conformément à la constitution.
En Afrique, 35 pays ont limité le nombre de mandats présidentiels à deux, douze autres pays n’ont fixé aucune limitation. Six pays ont supprimé la limitation du mandat après l’avoir introduit.
Deux présidents ont dans le passé réinterprété le point de commencement du mandat (Abdoulaye Wade au Sénégal en 2012 et Pierre Nkurunziza au Burundi en 2015).
Dans son ouvrage intitulé : «La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone», le Dr Augustin Loada, agrégé en droit public et science politique, souligne que la tentation du 3ème mandat peut s’expliquer par le «présidentialisme monocentré» qui caractérise le pouvoir exécutif dans certains pays africains. Ce système présidentialiste fort fait aussi que «l’essentiel des ressources politico-administratives» sont entre les mains du président de la République.
Guinée, front contre Condé
Cette centralisation du pouvoir entre les mains du président de la République qu’évoque Dr. Loada serait le mal profond de la Guinée, estime l’analyste politique Dr. Gilles Yabi.
Un troisième mandat pour Condé «tuerait, peut-être pour quelques décennies encore, l’espoir d’une Guinée qui pourrait échapper à la malédiction de la personnalisation du pouvoir et de la criminalisation de l’État », estime Dr. Yabi dans un article paru sur le site de son organisation, West Africa Think Tank (Wathi, basée à Dakar).
La Guinée est un pays plombé depuis son indépendance par la succession de leaders aux méthodes controversées. Alpha Condé, qualifié d’opposant «historique», était venu au pouvoir en 2010 suscitant un grand espoir. Aujourd’hui alors qu’il est à la fin de son second mandat, selon l’actuelle constitution, ses partisans sont en train de manœuvrer pour le remettre en selle et lui permettre de briguer un troisième mandat.
Les manifestations contre cet éventuel troisième mandat ont causé neuf cas de décès et de «nombreux blessés», selon Bouréma Condé, le ministre de l’Administration du territoire, cité par l’AFP.
Pour répondre à ses critiques, le président leur a lancé qu’il dirigera la Guinée jusqu’au jour «où Dieu le voudra».
Macky et Ouattara, dans le clair-obscur
Au Sénégal, la situation chez le voisin guinéen a éveillé la curiosité des Sénégalais qui veulent désormais savoir les intentions réelles du président de la République Macky Sall, une fois arrivé à la fin de son mandat.
Macky Sall est élu en 2012 pour un mandat de sept ans. Il a été réélu pour un second mandat de cinq ans lors de l’élection présidentielle de 2019. En mars 2016, le Sénégal a adopté une nouvelle Constitution lors d’un référendum ramenant le mandat du président à cinq ans.
M. Sall, au lendemain du référendum de 2016, avait martelé qu’il a «proposé au peuple sénégalais une révision constitutionnelle qui doit régler définitivement la question des mandats. Aucun président ne peut rester au pouvoir pour plus de deux mandats».
Le président Sall devrait «faire une déclaration solennelle» sur le troisième mandat et après «gérer les ambitions qui sont dans son propre camps parce que c’est dans son propre camp que les chosent se passent», a conseillé Alioune Tine.
Une situation similaire règne prévaut en Côte d’Ivoire, avec des interrogations à propos d’un éventuel troisième mandat du président ivoirien Alassane Ouattara.
Au pouvoir depuis 2010, le président Ouattara a affirmé que l’adoption d’une nouvelle constitution en 2016 lui permettrait de briguer un troisième mandat lors de l’élection présidentielle de 2020.
«Tous les avis juridiques que j’ai consultés me confirment. Je donnerai ma réponse en 2020 (…)», avait-il déclaré lors d’une interview avec RFI le 11 février 2019.
Et pourtant en août 2018, Alassane Ouattara avait «appelé à une transition du leadership vers une nouvelle génération» en 2020. Ce double discours du président ivoirien fait craindre un retour à l’instabilité au cas où il se déclarerait candidat en 2020 pour un troisième mandat.
Dans cette bataille acharnée pour le maintien au pouvoir des chefs d’Etats en exercice, le président Mahamadou Issoufou du Niger semble faire figure de bon élève. Son attitude jusque là sans équivoque tranche avec celle de ses homologues guinées, sénégalais et ivoirien.
«Je respecterai scrupuleusement les dispositions de la République du Niger. Mon désir le plus ardent est de passer le pouvoir en 2021 à un successeur démocratiquement élu (…)», affirmait-il lors d’une Conférence internationale sur la constitutionnalisme et la consolidation de la démocratie en Afrique, tenue du 2 au 6 octobre à Niamey.
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