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Au sud du Sénégal, une usine crée la polémique, le gouvernement se terre

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Ouestafnews- A Abéné, petit village touristique abritant un peu plus de 1900 habitants dans le sud du Sénégal, l’installation d’une usine crée des remous.

Aucune inscription. A quelques pas de la plage de ce petit village de Casamance (sud du Sénégal), s’érigent des bâtiments qui intriguent. La hauteur des bâtiments et du mur d’enceinte laisse deviner l’importance des activités qui s’y déroulent. L’absence d’inscription et même d’un vigile à qui s’adresser empêche par contre de mettre un nom et une précision sur l’activité.

«C’est bien une usine de farine et d’huile de poisson»,  soutient pourtant Ousmane Sonko, un habitant. Cette conviction crée une vive tension dans le village et la présence de «l’usine » oppose désormais trois camps.

A notre passage dans la localité fin avril 2018, aucune activité. L’usine était « fermée » provisoirement, selon les villageois. A l’origine de cette fermeture une polémique autour de l’infrastructure.

D’un côté, les responsables de la localité qui avaient donné leur aval pour l’installation de l’usine et qui campent toujours sur leur position, estimant que sa présence est bénéfique à la localité. De l’autre, une jeunesse qui se dit grugée par les autorités locales, accusées de «ne pas tenir leurs promesses» en termes d’emplois et de retombées économiques pour la zone.  Et enfin, les acteurs touristiques qui fustigent ce qu’ils qualifient de «violation flagrante d’une aire marine protégée», sans pouvoir en apporter la preuve.

Selon le site web de la Direction des Aires Marines Protégées (AMP), ces dernières sont des lieux qui assurent « la conservation de la biodiversité́ marine et côtière », tout en permettant « une gestion durable des zones de pêche » ainsi  que « la valorisation du patrimoine culturel et un partage équitable des retombées socio-économiques au profit des communautés».

«Une aire marine protégée est une sorte de sanctuaire pour animaux marins. Aucune structure industrielle ne doit y figurer», soutient Khadim Gningue, agent des AMP d’Abéné manifestement opposée à l’installation de l’usine que les résidents attribuent à des investisseurs chinois.

Dans cette partie méridionale du Sénégal, déjà meurtrie par 38 ans de conflit armé ayant opposé l’Etat au Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC, séparatiste), on aurait bien pu se passer d’une telle tension.

Menace sur le tourisme ?

Les promoteurs touristiques dénoncent la «violation de l’Aire Marine Protégée», espace conçu pour la conservation de la biodiversité marine et côtière, tout en aidant à faire face à la raréfaction des produits halieutiques.

Les riverains de l’usine, sont pour la plupart des propriétaires de maisons d’hôtes, de restaurants et d’auberges. Ils sont convaincus que l’implantation de l’unité industrielle va mettre en mal non seulement la vie marine, mais aussi le tourisme, une des principales activités de la localité.

«L’usine dégage une odeur nauséabonde, accompagnée de bruits assourdissants», déplore Dorothéa Dabo, propriétaire d’une maison située non loin de l’usine. Elle craint pour la poursuite des activités touristiques tout en soulignant n’avoir pas été impliquée dans les discussions entourant la mise en place de l’usine.

«On s’est levé un beau matin, et on a vu des bulldozers raser les arbres», dit cette dame qui vit dans la localité avec son mari depuis 30 ans.

Aujourd’hui, l’avenir du tourisme est incertain dans la zone. Selon le ministère du Tourisme, ce secteur enregistre chaque année 25.000 visiteurs depuis la relative accalmie revenue dans la région ces dernières années.

Mais pour Yaya Bodian, favorable au projet, et conseiller du président du Conseil départemental de Bignona, localité dont dépend le village d’Abéné, il n’y a pas de soucis à se faire. Son argument : «l’activité touristique ne dure que deux mois, de novembre à décembre, au contraire de l’usine qui va fonctionner toute l’année».

Il rejette par ailleurs, les accusations de «violation de l’Aire Marine Protégée». Catégorique, il affirme que «l’usine est implantée dans un domaine national». Selon lui, il a été fait appel aux services du cadastre pour la délimitation et les détracteurs du projet profitent de la confusion qu’il y a dans les limites de l’AMP pour imposer leur point de vue.

Impossible fermeture

Contacté par Ouestaf News Famara Niassy, Directeur du Service Régional de Pêche de Ziguinchor, soutient de son côté que l’emplacement de l’usine n’est guère adéquat. Il refuse cependant de dire s’il y a violation ou non de l’Aire Marine Protégée.

Selon lui, «les autorités auraient dû mieux encadrer les populations pour qu’elles sachent à quoi s’attendre avec cette usine».

La fermeture que réclament certaines franges de la population « ne sera pas chose facile », avertit M. Niassy, pour qui, une des solutions se trouve dans l’achat de filtre anti-odeur. D’ailleurs, selon lui, une concertation est en cours et l’achat de ses filtres est envisagé par les responsables de l’usine.

L’autre solution, explique-t-il, serait de délocaliser l’usine au lieu de la fermer.

Approchée par la rédaction d’Ouestaf News pour apporter son éclairage sur la violation ou pas de l’AMP, la Direction de l’Environnement n’a pas voulu se prononcer laissant entière la polémique sur ce point.

L’absence de communication de la part des autorités, c’est aussi ce que déplore Modou Diassy, président de l’Association des jeunes d’Abéné.

«Nous n’avons pas été assez informés sur l’impact que cette usine allait avoir sur le village», dit-il. Mais dès que cette dernière est entrée dans sa phase-test, le 11 avril 2018, «nous avons su que nous avons été abusés sur tous les plans», regrette-t-il.

Alors, Diassy et ses camarades organisent des manifestations pour exiger la fermeture de l’usine depuis que celle-ci a commencé ces premières opérations.

Lors d’une rencontre avec les villageois en février 2018, rapportée par l’Agence de presse sénégalaise, Mme Xie, chef de chantier, affirmait que les responsables de l’usine ont «respecté toutes les procédures légales en matière d’installation d’une unité industrielle en vigueur au Sénégal».

Ce respect des normes est également confirmé, du moins en ce qui concerne son domaine de compétences, par Omar Ndiaye, chef des Service de Pêche de Kafountine. «En ce qui concerne la pêche, l’usine est en règle, et nous veillons au grain», assure M. Ndiaye.

Menace environnementale ? 

L’autre reproche brandi par les détracteurs de l’usine est l’absence d’étude d’impact environnemental et social.

Un ancien responsable de l’AMP d’Abéné, le commandant Mamadou Sidibé souligne que la seule étude dont il a eu connaissance alors qu’il était le responsable de cette zone était une étude concernant l’implantation d’une «unité de congélation» sur les lieux, et celle-ci avait été rejetée par ses services.

«En dehors de cette étude, je n’ai jamais vu de documents concernant cette usine de farine de poisson».

Selon Lamine Diabang, un des responsables du village, favorable au projet, cela s’explique par le fait que cette « usine de farine de poisson » est une expansion de «l’usine de congélation» de poissons qui était prévue sur les lieux et qui a obtenu l’aval des autorités du ministère de la Pêche.

«Une délégation de 12 personnes a été reçue par le ministre de la Pêche l’année dernière [2017]. Et c’est lui [le ministre de la Pêche] qui a donné son accord», explique M. Diabang.

Il soutient qu’une étude d’impact est «en cours pour la partie concernant la farine et l’huile de poisson».

Alors que la crise couve, les autorités gouvernementales à Dakar reste muettes.  Le ministère de la Pêche n’a pas souhaité donné suite à nos questions, se disant « pas habilité » à se prononcer sur le sujet, renvoie la balle à un démembrement de ce même ministère, la Direction des Industries de Transformation de la Pêche (DITP).

Les responsables de la DITP, ont eux aussi refusé de s’exprimer sur le sujet, soutenant que seul le ministre de la Pêche peut apporter des réponses.

Les multiples appels adressés au porte-parole du gouvernement sont restés sans suite. Cette omerta gouvernementale également dénoncée par ceux qui s’opposent au projet et qui ne fait qu’enfler la crise et les frustrations qui couvent.

En attendant à Abéné, la tension demeure et aux dernières nouvelles, l’unité industrielle, selon des témoins sur place, venait de rouvrir ses portes en ce début juin pour « une autre période test de trois mois».

DD/mn/ts

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