Paulin Maurice Toupane – La menace d’une intervention militaire est certes agitée par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), mais elle est loin d’être la priorité de celle-ci. En effet, même si elle prévoit d’utiliser « toutes les mesures nécessaires pour faire appliquer, respecter rigoureusement les résultats de l’élection présidentielle du 1er décembre consacrant la victoire de Adama Barrow », l’organisation régionale semble privilégier la voie diplomatique pour un transfert pacifique du pouvoir en Gambie.
Il faut rappeler que la Cedeao a déjà reconnu la victoire de Adama Barrow. Le recours introduit devant la Cour suprême par Jammeh et visant l’annulation des résultats dans certaines localités n’aura donc aucun effet sur la position actuelle de la Cedeao et cela, quelle que soit la décision de cette Cour. Il est donc clair que si Yahya Jammeh décide de se maintenir au pouvoir après le 19 janvier, jour de l’expiration de son mandat, ce refus constituera une violation du traité révisé de la Cedeao qui bannit tout « …mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ». A partir de ce moment des sanctions diplomatiques, économiques et celles visant spécifiquement Jammeh et son entourage pourront être envisagées.
De telles sanctions pourraient occasionner des défections au sein de son entourage ou provoquer des difficultés économiques qui l’affaibliraient. Parallèlement à ces mesures, la Cedeao devrait mobiliser les ressources locales, notamment les chefs religieux et traditionnels, les groupes communautaires, les organisations de la société civile en vue d’une transmission pacifique du pouvoir. La mise en place d’un groupe de contact international composé de la Cedeao, de l’UA et de l’ONU pourrait aussi être envisagée, surtout que Jammeh semble désormais rejeter la médiation de la Cedeao qu’il juge partisane. C’est seulement après l’épuisement de ces voies que les chefs d’Etat de la Cedeao pourraient réellement envisager une intervention militaire – d’ailleurs pas souhaitable – pour faire respecter la volonté exprimée par le peuple gambien à travers les résultats de l’élection présidentielle du 1er décembre 2016.
Ouestafnews – Quelles peuvent être selon vous les effets d’une solution militaire notamment pour le Sénégal qui devrait diriger pareille opération, selon la Cedeao ?
PMT – Une intervention militaire de la Cedeao sous commandement du Sénégal ou d’un autre pays aurait nécessairement des conséquences pour toute la région, particulièrement pour le Sénégal qui est le seul pays frontalier de la Gambie. D’abord, n’oubliez pas que le Sénégal connaît, depuis 1982, une rébellion armée indépendantiste du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) dans le sud du pays. Jammeh est présenté comme ayant des relations étroites avec certaines factions du MFDC. La possibilité qu’il bénéficie de soutiens de certains éléments de ce mouvement qui pourraient profiter de ce moment de chaos pour s’approvisionner en armes n’est pas à écarter.
Ensuite, des milliers de citoyens sénégalais sont établis dans ce pays. Assurer la sécurité de ceux-ci en prévention d’éventuelles représailles, en cas d’intervention militaire sous commandement du Sénégal, sera particulièrement compliqué. En outre, le Sénégal devra gérer, en cas d’intervention militaire, le flux de réfugiés qu’il sera obligé d’accueillir sur son territoire. Certaines informations font déjà état de déplacements de populations gambiennes vers les villes frontalières de la Gambie, (en) Casamance et (à) Kaolack notamment.
Enfin, sur le plan économique, une intervention militaire affecterait gravement les échanges commerciaux entre le sud et le nord du Sénégal, mais aussi entre les villes sénégalaises frontalières de la Gambie qui vivent en partie des échanges commerciaux entre les deux pays.
Ouestafnews – Quelles doivent être les priorités en matière sécuritaire pour Adama Barrow une fois investi président ? Faut-il une réforme de l’armée comme en Guinée Bissau par exemple ?
PMT – Adama Barrow a d’énormes défis à relever. Il a annoncé le 26 décembre dernier, la création de l’Agence pour un développement socio-économique durable qui a pour mission de « formuler des plans de développement sectoriels ». C’est dire que le secteur économique semble constituer sa priorité. Sur le plan sécuritaire, les forces de défense et de sécurité gambiennes ont souvent été présentées comme étant au service de Jammeh. Elles sont également accusées d’avoir commis des violations des droits de l’Homme. Des réformes visant à mettre sur place une armée républicaine au service de la Nation devraient être envisagées par le futur gouvernement.
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