Par Papa Talla FALL *
L’outrage, qu’il s’agisse de celui fait contre une personne, qu’elle soit une autorité investie de prérogatives de puissance publique ou un simple particulier, est sanctionné par le Code pénal.
Le président de la République bénéficie d’une protection particulière à travers l’article 254 du Code pénal. Il s’agit du délit d’offense au président de la République, lequel est puni « d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement » lorsqu’elle est effectuée par l’un des moyens de diffusion publique prévus par l’article 248 dudit code.
L’alinéa 2 de cet article indique la personne bénéficiaire de la protection par le délit d’offense au président de la République. Il s’agit de « la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du président de la République ».
Quelle est cette personne ? Est-ce une ou plusieurs personnes ? À supposer qu’elles soient différentes personnes, existent-elles simultanément ?
C’est à ces différentes questions que notre modeste contribution tente de répondre.
Le droit pénal constitue un ensemble normatif régulateur dont la maîtrise requiert une connaissance approfondie d’autres disciplines juridiques, lesquelles il a pour vocation de garantir le respect. Par exemple, si le vol est pénalement puni, c’est parce que les sanctions civiles seules ne sont pas toujours suffisantes pour faire respecter la propriété. Une simple action en revendication ou en réparation ne dissuaderait pas le voleur.
S’agissant de l’offense au président de la République, une articulation entre le droit pénal et le droit constitutionnel est nécessaire. C’est cette entreprise qui permettrait d’identifier la ou les personnes protégées. C’est donc bien à la lumière de la Constitution que l’on peut identifier sans risque de se tromper cette « personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du président de la République ».
Précisons que de toutes les institutions de la République (voir art. 6 de la Constitution), le président de la République est la seule institution incarnée par une personne physique (un être humain). Toutes les autres institutions sont par nature collégiale : l’Assemblée nationale, le Gouvernement, le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, la Cour des comptes et les Cours et Tribunaux.
On comprend alors aisément pourquoi l’article 254 du Code pénal vise cette personne. Celle-ci ne peut dès lors être identifiée sans référence à la Constitution. Sans aucun doute, la protection concerne une personne, non seulement déterminable, mais déterminée. Une question subsidiaire à laquelle il faudrait tenter de répondre est celle de savoir si l’on peut l’étendre par analogie à d’autres individus.
Une protection pénale dédiée
Quelle est la personne qui exerce toutes les prérogatives de président ? À la lumière de l’article 26 de la Constitution, c’est la personne élue au suffrage universel direct. Après son entrée en fonction, celle-ci exerce toutes les prérogatives reconnues au président de la République. Ces prérogatives sont prévues par les articles 42 à 52 de la Constitution. Elle les exerce durant son mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. L’identification de cette personne ne pose donc aucune difficulté.
Qu’en est-il de la personne qui exerce une partie des prérogatives de président de la République ? La Constitution apporte une réponse sans équivoque. Elle prévoit l’hypothèse d’une vacance en cas d’empêchement, de démission ou de décès du président élu au suffrage universel direct. Le cas échéant, l’article 39 de la Constitution prévoit qu’il est suppléé par le président de l’Assemblée nationale, à défaut, par un l’un des vice-présidents selon l’ordre de préséance.
En cas de suppléance, c’est donc le président ou l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale qui incarne l’institution présidentielle jusqu’à l’élection et l’entrée en fonction d’un nouveau président. Comme président de la République, ce suppléant ne peut exercer qu’une partie des prérogatives attachées à la fonction. En effet, l’article 40 de la Constitution exclut des prérogatives du président suppléant la nomination et la révocation du premier ministre, la soumission d’un projet de loi au référendum, la dissolution de l’Assemblée nationale et l’initiative de la révision de la Constitution.
En résumé, en articulant la Constitution et le Code pénal, la personne protégée par le délit d’offense est, en temps normal, le président élu (il exerce tout) et, en cas de suppléance, le président de l’Assemblée, à défaut un des vice-présidents selon l’ordre de préséance (il exerce partie des prérogatives).
Cette lecture cadre avec l’article 254 du Code pénal sanctionnant le délit d’offense au président de la République. Ce texte pourrait-il être étendu à d’autres personnes ?
Extension improbable et inopportune
En son article 50, la Constitution permet au président de la République détenteur du pouvoir réglementaire et de l’Administration de déléguer des pouvoirs au premier ministre ou aux autres membres du Gouvernement à l’exclusion de certains prévus aux articles 42, 46, 47, 49, 51, 52, 72, 73, 87, 89 et 90. De surcroit, le premier ministre peut même être autorisé par le président à prendre des décisions par décret.
En cas de délégation de pouvoir réglementaire au premier ministre, voire à un ou des ministres, peut-on considérer la victime comme étant également visée dans l’expression « personne exerçant une partie des prérogatives » protégée par l’article 254 ?
D’abord, l’article 254 protège une personne et non une fonction. Or, le délégataire accomplit des prérogatives attachées à une fonction au nom et pour le compte du délégant. Cette qualité doit obligatoirement être révélée dans l’acte objet de la délégation.
Par exemple, la délégation judiciaire par un juge d’instruction ne confère pas à l’officier de police judiciaire la qualité de juge. De la même manière, aucune confusion n’est possible entre le gérant d’une SARL ou le PDG ou directeur général d’une SA avec la société qu’il dirige dès lors qu’il agit au nom de la personne morale.
Ensuite, l’extension à un délégataire est incompatible avec les exigences du droit pénal. D’une part, la seule qualité de membre du Gouvernement (un ministre ou le premier d’entre eux) ne suffit pas pour identifier la délégation qui doit être faite par décret. D’autre part, l’offense au président de la République est une infraction intentionnelle. La preuve serait difficile à rapporter que la personne poursuivie avait l’intention d’offenser (sous-entendue en connaissance de cause) une personne exerçant réellement une partie des prérogatives du président.
Enfin, — et c’est l’argument massue — le droit pénal est d’interprétation stricte. L’interprète doit se limiter aux cas que le texte vise, nonobstant l’existence de cas analogues.
L’extension de la protection pénale du président au premier ministre et aux ministres est inutile dans la mesure où le Code pénal prévoit des infractions protégeant les membres du Gouvernement, les députés et toutes les autres personnes disposant de prérogatives de puissance publique dans des textes spécifiques.
La combinaison des articles 258 et 260 du Code pénal à propos de l’injure et de la diffamation lorsqu’ils en font l’objet. Et, comme personne humaine, que l’on exerce ou non une fonction, tous les êtres humains bénéficient de la protection de leur honneur. D’ailleurs, c’est ce qui amène certains à plaider en faveur de la suppression du délit pour appliquer, y compris au chef de l’État, le droit commun.
[NB : certaines législations visent cette qualité, mais au Sénégal, le Code pénal n’évoque la protection du président en tant que chef de l’État que lorsqu’il est question d’offense à une haute autorité étrangère (voir les art. 262 et suivants portant sur « Délits contre les chefs d’État et agents diplomatiques étrangers » (justification possible : tous les États ne sont pas des Républiques dirigées par un président)].
En définitive, le président de la République est la seule personne physique ayant le privilège d’avoir dans le Code pénal une protection spécifique. Mais, dans les démocraties, on privilégie de plus en plus les sanctions pécuniaires à l’offense à la haute autorité de l’État. Notamment, l’auteur de l’offense peut encourir une très forte amende.
Il reste qu’au Sénégal, le droit à l’honneur et au respect de la vie privée – même si la victime est un particulier – est toujours protégé à travers les infractions consacrées à cet effet par les textes répressifs.
* Papa Talla FALL, agrégé des facultés de droit, enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
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