*Par Dr Isaac SISSOKHO
Le Premier Ministre a dévoilé au monde économique le Plan de Redressement Économique et Social (PRES) « Jubbanti Koom », incarnant l’ambition gouvernementale d’ériger l’instrument budgétaire en véritable catalyseur du progrès national. Toutefois, l’écart perceptible entre cette vision prometteuse et les modalités d’exécution envisagées appelle un dialogue urgent et constructif avec le secteur privé.
Cette stratégie de valorisation des ressources endogènes représente indéniablement une rupture majeure, visant à affranchir progressivement le Sénégal de sa dépendance aux financements extérieurs. Cette démarche souverainiste, privilégiant un autofinancement à 90 %, marque ainsi un tournant historique. D’ailleurs, l’objectif de ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB d’ici 2027 – contre environ 12 % actuellement – témoigne d’une volonté de rigueur exemplaire.
Néanmoins, une interrogation fondamentale subsiste : comment l’État peut-il raisonnablement escompter mobiliser 5.667 milliards de francs CFA sur trois années tout en préservant la vitalité productive et créatrice d’emplois des entreprises, si celles-ci subissent simultanément une pression fiscale drastiquement renforcée ? Cette problématique mérite assurément un examen approfondi.
Face à ces enjeux considérables, l’adoption d’une approche graduelle s’impose comme une nécessité absolue. Cette montée en puissance étalée sur trois années éviterait le traumatisme d’une transition brutale tout en préservant les ambitions du programme gouvernemental. Ainsi, la première phase de stabilisation devrait instituer un moratoire temporaire sur l’introduction de nouvelles taxes pour les entreprises s’engageant formellement à maintenir leurs effectifs. Parallèlement, une application progressive du Prélèvement de Conformité Fiscale, débutant à 4 % en 2025 pour culminer à 12 % en 2027, permettrait aux organisations de s’adapter en douceur. Concomitamment, une prime substantielle de compliance volontaire, réduisant de moitié les pénalités pour les régularisations spontanées, favoriserait la transparence plutôt que la dissimulation.
La phase suivante de montée en puissance verrait naître un mécanisme innovant de co-financement des investissements durables, l’État abondant à hauteur de 30 % les initiatives privées dans les énergies renouvelables et les technologies propres. Dans le même temps, la création de Zones Économiques Spéciales fiscales dans les huit pôles régionaux de l’Agenda 2050 offrirait des incitations ciblées pour un développement territorial équilibré.
Enfin, la troisième étape marquerait l’entrée en régime de croisière avec l’application pleine des dispositions fiscales, tempérée toutefois par un mécanisme automatique de révision en cas d’impact négatif avéré sur l’emploi et l’activité économique.
Pour accompagner cette transition, l’établissement d’un « Fonds de Transition Jubbanti » doté de 200 milliards de francs CFA créerait un filet de sécurité indispensable. Ce véhicule financier, alimenté à 70 % par l’État via le recyclage d’actifs et à 30 % par les entreprises, aurait pour mission exclusive d’accompagner les organisations en phase d’adaptation fiscale. Sa gouvernance partagée à parité garantirait une gestion équilibrée et une allocation optimale des ressources.
En contrepartie de ces aménagements substantiels, les acteurs économiques devront naturellement formuler des engagements fermes et quantifiés. En premier lieu, un moratoire total sur les licenciements économiques pendant la période de transition 2025-2026 constituera l’engagement minimal. Au-delà de cette préservation, la création d’emplois nets – dont le nombre sera défini conjointement – ainsi que de nouvelles opportunités d’ici fin 2027, prioritairement destinées aux jeunes diplômés et aux populations vulnérables, représentera un défi majeur.
Par ailleurs, l’organisation de la formation de 20.000 jeunes aux métiers du numérique et de l’industrie 4.0 contribuera directement aux objectifs de transformation structurelle. Cette formation, dispensée en partenariat avec les institutions d’enseignement technique et professionnel, garantira l’adéquation entre les compétences développées et les besoins réels du marché. Simultanément, une compliance fiscale certifiée par des cabinets reconnus, la digitalisation complète des déclarations d’ici 2026 et une transparence totale sur les prix de transfert compléteront ce dispositif de bonne gouvernance.
Plus encore, une souscription collective de 500 milliards de francs CFA aux obligations d’État sur trois ans démontrera concrètement l’engagement en faveur de l’autofinancement. Parallèlement, la prise en charge de 40 % du financement privé des infrastructures dans le cadre des partenariats public-privé, ainsi que la mobilisation de 500 milliards via les réseaux internationaux pour alimenter la future banque de la diaspora, renforceront cette dynamique vertueuse.
Pour garantir le succès de cette approche collaborative, un Observatoire conjoint de l’Impact économique assurera le monitoring mensuel des répercussions des mesures fiscales. Cette structure permanente de dialogue État-entreprises disposera d’un pouvoir d’alerte et de recommandation d’ajustement, publiant trimestriellement des indicateurs précis de santé économique. Complémentairement, une clause de sauvegarde automatique viendra sécuriser ce dispositif : si le taux de chômage dépassait un seuil convenu ou qu’un nombre critique d’entreprises fermaient dans un délai de six mois, une suspension automatique de trois mois des nouvelles mesures fiscales permettrait un réajustement concerté.
In fine, le défi fondamental ne consiste pas à arbitrer entre souveraineté économique et attractivité des investissements, mais bien à réconcilier ces deux impératifs apparemment contradictoires. Cette approche permettra une mobilisation effective des ressources endogènes sans destruction du tissu productif, un financement durable du développement par une économie dynamique et progressivement formalisée, ainsi que l’édification d’une souveraineté économique authentique fondée sur des entreprises nationales robustes.
L’enjeu consiste donc à révolutionner la perception du secteur privé, non plus comme une simple source de prélèvements à maximiser, mais comme le moteur principal de génération des ressources endogènes. Cette métamorphose s’opérera par une croissance accélérée créatrice d’emplois et d’assiette fiscale élargie, des investissements massifs dans les secteurs stratégiques, et une formalisation volontaire de l’économie informelle attirée par un environnement des affaires amélioré.
Le programme gouvernemental porte en lui les germes d’un succès historique, mais uniquement si l’État et le secteur privé avancent résolument dans la même direction. L’alternative est d’une clarté cristalline : soit une pression fiscale sans accompagnement conduisant inéluctablement à la destruction économique, soit un partenariat intelligent ouvrant la voie à une croissance endogène authentique et durable.
C’est pourquoi la signature d’un « Pacte de Redressement Solidaire » formalisant les engagements mutuels créerait les conditions optimales de cette réussite partagée. Le monde économique sénégalais doit se tenir prêt à porter résolument cette ambition transformatrice vers le succès.
*Dr Isaac SISSOKHO, est ancien Secrétaire général du Ministère de de la Communication, des Télécommunications et du Numérique
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