Ouestafnews – Pour sortir de la crise qui sévit au Mali, le gouvernement devrait accepter d’ouvrir des négociations avec les groupes qualifiés de «djihadistes», actifs dans le centre du pays. La proposition émane d’un rapport publié fin mai 2019 par International Crisis Group (ICG, un think tank spécialisé dans les conflits).
«La guerre dans le centre du Mali est dans l’impasse, l’État ne pouvant vaincre par la force les insurgés djihadistes», constate ICG dans son rapport produit en anglais sous le titre : «Speaking with the “Bad Guys”: Toward Dialogue with Central Mali’sJihadists». (Parler avec les «méchants» : vers un dialogue avec les djihadistes du centre du Mali).
Selon les experts d’ICG, l’insuccès des opérations militaires contre les entités djihadistes a exacerbé la violence communautaire dans le centre du pays.
Plusieurs attaques meurtrières ont été recensées dernièrement dans le centre du Mali dont le dernier en date est le massacre perpétré, le 23 mars 2019 par des hommes armés dans le village d’Ogossagou qui a coûté la vie à une centaine de civils.
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Non seulement Bamako peine à vaincre les groupes armés comme la Katiba Macina, dirigée par le prédicateur Hamadoun Koufa, actif dans le centre depuis 2015, mais aussi se retrouve face à l’équation des milices armées ; comme ‘’Dan Na Ambassougou’’ qui se donne comme mission de protéger les populations de l’ethnie Dogon disséminées dans le centre.
Joint au téléphone par Ouestaf News, le chercheur Mahamadou Savadogo, estime que le dialogue «peut être une porte de sortie, car la solution militaire n’a pas été efficace et qu’au même moment les groupes armés se sont considérablement renforcés».
Modus operandi ?
A Bamako, l’idée d’un dialogue fait aussi son chemin contrairement à la posture de «pas de négociation avec des terroristes» naguère affichée.
«Nous sommes d’accord sur le principe et nous y travaillons déjà», a assuré le ministre malien de l’Administration territoriale, Boubacar Alpha Ba, dans un entretien avec Radio France International (RFI).
«On a des expériences dans la région du Centre, où les représentants des chefferies locales ont eu langue avec certains membres de ces groupes, donc le dialogue existe. Maintenant, comment le formaliser ?», s’est cependant interrogé le ministre malien.
Pour Bamako, le principal écueil reste le format dans le quel il faudra dialoguer. Sur ce point, ICG propose un processus de dialogue axé sur deux points. La première phase consiste à mettre en place un cadre de discussions entre les savants musulmans y compris des adeptes des mouvements djihadistes.
En second lieu, il faut réunir les populations du centre, favoriser la discussion entre les leaders d’opinion y compris ceux qui soutiennent les groupes armés comme la Katiba Macina.
La première étape devrait permettre de réfléchir sur «les voies et moyens de réduire la violence, sur le retour des services de bases comme les écoles, les structures de santé dans les zones contrôlées par les groupes djihadistes», souligne ICG.
Tandis que la seconde devrait permettre «une compréhension globale des causes de la violence et aussi d’envisager les moyens d’y mettre fin». Il s’agit ici en somme d’un travail préparatoire à l’ouverture de pourparlers directs avec les leaders djihadistes.
«L’ouverture d’un dialogue signifie aussitôt moins d’attaques et moins d’hostilités surtout envers les civils et cela offre l’espoir aux populations qui vont croire que tout n’est pas perdu», estime M. Savadogo lors de l’entretien avec Ouestaf News.
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Si la réaction de Bamako est plutôt positive par rapport à l’ouverture d’un dialogue, il reste à sonder l’état d’esprit des chefs djihadistes en l’occurrence Koufa et Iyad Ag Ghali, le chef de la Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, connue sous l’abréviation de JNIM)), une organisation djihadiste regroupant plusieurs factions, créée en 2017.
Dans un enregistrement audio qui remonte à 2017, Hamadoun Koufa avait catégoriquement écarté tout dialogue avec l’Etat malien.
Réponse du berger à la bergère ?
Le président Ibrahim Boubacar Keita avait auparavant (septembre 2017) récusé la possibilité du dialogue, arguant que Koufa et Ag Ghaly avaient du sang sur les mains : «S’ils veulent revenir dans les rangs, pourquoi pas, mais ils répondront de leurs crimes», avait lancé le chef de l’Etat malien à l’adresse des deux chefs djihadistes.
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A l’issue de la «Conférence d’entente nationale», tenue du 27 mars au 03 avril 2017 à Bamako avec la participation de plusieurs centaines de délégués issus des dix régions du pays, une des recommandations-clés du rapport final consistait en l’ouverture d’un dialogue entre Bamako, la Katiba Macina et le JNIM.
Certains observateurs rappellent que des pourparlers officieux existent entre Bamako et les groupes armés dans la mesure où l’Etat malien a, à plusieurs reprises, libéré des prisonniers en échange d’otages.
Ce qui fut le cas en décembre 2014 quand quatre membres d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) alors en prison à Bamako furent libérés en échange de l’otage français Serge Lazarevic. Plus récemment en 2019, la presse internationale notamment le site web de RFI, a annoncé la libération de 18 prisonniers djihadistes en échange d’un préfet et d’un journaliste malien enlevés dans le centre du Mali.
Obstacles
Dans son rapport ICG relève plusieurs obstacles de nature internes et externes face à la tenue d’un dialogue. Au plan local, le rapport évoque la position de certaines organisations notamment les associations de victimes ou des défenseurs des droits de l’Homme qui craignent que leurs causes ne soient sacrifiées sur l’autel d’un règlement politique de la crise.
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Au niveau d’un groupe comme la Katiba Macina, l’idéologie constitue un facteur bloquant. «Ce groupe n’a pas de demandes politiques, son discours tourne autour de la nature anti-islamique de l’état malien qui doit céder la place à un régime régi par la loi islamique», souligne ICG.
Autre difficulté, soulignée par les rapporteurs d’ICG, la Katiba Macina qui dispose d’une grande influence dans le centre du pays est très liée au JNIM qui a son tour à fait allégeance à Al Qaida
Au niveau externe, la position de la France, grand allié des pays du Sahel pose aussi problème. ICG, souligne que la France et les Etats-Unis refusent de dialoguer avec des groupes catalogués comme «terroristes» par l’Organisation des nations-unies. S’y ajoute aussi la rhétorique anti-française de Koufa.
«Il est aussi difficile pour la France de dialoguer avec des gens qui ont tué des soldats français», reconnait ICG dans son rapport. Le Mali est en proie à une crise sécuritaire multiforme, qui depuis 2012 a sérieusement déstabilisé le pays et fragilisé toutes ses institutions.
MN/ts
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