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Militaires au pouvoir en Guinée : belles promesses, tristes réalités

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Ouestafnews (En collaboration avec Le Lynx – Guinée) – Depuis son indépendance en 1958, la Guinée a connu six chefs d’Etat dont deux seulement sont parvenus au pouvoir par les urnes. Une situation symptomatique d’un dysfonctionnement institutionnel chronique dont le pays peine à se remettre. Mais au fond qu’apportent ces régimes militaires à la Guinée ?

Imam Alsény Camara est un maître soudeur au quartier Bellevue de Conakry. Entouré de ses apprentis, l’homme passe sa journée à se tourner les pouces. Il en est ainsi, dit-il, depuis que le pouvoir est passé entre les mains du Comité national de rassemblement pour le développement (CNRD).

Le colonel Doumbouya est arrivé au pouvoir en septembre 2021 à la faveur d’un putsch contre le président Alpha Condé qui avait fait modifier la constitution pour obtenir un 3e mandat qu’il n’a pu mener à son terme.  En fin décembre 2008,  le Capitaine Moussa Camara s’était lui emparé du pouvoir en Guinée par les armes en écartant le régime du général Lansana Conté déjà très affaibli par la maladie. Ce dernier  avait aussi pris le pouvoir après la mort d’Ahmed Sékou Touré en 1984.

Si sous l’ancien régime, le maître soudeur confie qu’il avait des commandes au-delà de Conakry où il est installé, aujourd’hui il est réduit à des travaux de bricolage. « Nous ne travaillons pas. Ce n’est pas facile d’avoir un marché. On fabrique des portes et fenêtres, on expose mais les clients ne viennent pas », se plaint l’artisan.

Ce n’est pas la seule difficulté qu’il rencontre : « le matériel est devenu plus cher », explique-t-il.

A Dixinn port 3, dans la proche banlieue de Conakry, un groupe de pêcheurs passent leur temps à fumer et à écouter de la musique. Voilà un moment qu’ils ne vont pas à la pêche, faute de moteur et de filet. Avant le putsch, ils étaient équipés par des Chinois ou des Coréens à qui ils vendent leur poisson destiné à l’exportation. Depuis, tout s’est arrêté sans explications.

La seule alternative qui s’offre à eux est de louer le moteur contre le paiement de 200.000 francs guinéens (environ 14.500 FCFA) par jour. Pendant ce temps, explique Aboubacar Sayon Bangoura, pêcheur audit port, « le litre de carburant mélangé avec de l’huile coûte 13 000 francs (933 FCFA), contre 11 000 francs (789 FCFA) avant. Il nous faut en acheter 30 par jour. »

Mariétou Dia gère une boutique de prêt-à-porter africain et occidental. Elle aussi se plaint de mévente depuis qu’Alpha Condé a décidé de briguer un troisième mandat en 2020. Si pour elle, la Guinée fait les frais « d’une crise mondiale », elle admet une augmentation d’impôts et des taxes consécutive à la prise du pouvoir par l’armée en septembre 2021.

Si Mamadi Doumbouya a pris le pouvoir dans un contexte mondial difficile marqué par la crise russo-ukrainienne, sa politique fiscale interne pèse sur les entrepreneurs et les citoyens.

Sous le régime du Colonel Doumbouya, l’Etat « semble vouloir encourager les investissements », mais en même temps la situation politique « renforce l’inquiétude pour de nombreux acteurs économiques qui manquent de visibilité », a expliqué au Lynx Mme Renna Hawili, Chercheuse Afrique à Control Risks, un cabinet de conseil spécialisé en gestion des risques.

Renna Hawili observe toutefois quelques avancées avec « les nouvelles autorités » qui, selon elle, « font plus attention au contenu local autour des projets miniers ».

Mamadi Doumbouya a suspendu à deux reprises les travaux du projet Simandou, un des plus grands gisements de fer au monde, conjointement développé par l’Etat guinéen, Rio Tinto et Winning Consortium Simandou (WCS).

Cette décision a provoqué le chômage technique de 15.000 travailleurs de WCS, explique Oumar Totiya Barry, Enseignant-chercheur à l’Institut supérieur des mines et géologie de Boké (nord-ouest de la Guinée). « Plusieurs autres sociétés ont émis des signaux de détresse suite aux différentes mesures destinées à lutter contre l’évasion fiscale et à favoriser la transformation du minerai en Guinée », ajoute-t-il.

Impunité

Sur le plan des libertés politiques, l’activité des partis politiques se résume aux assemblées générales hebdomadaires au sein de leurs sièges. Les protestations, même non politiques, sont interdites.

Les premières manifestations de rue, pour dénoncer « la gestion unilatérale » de la transition ont fait une dizaine de morts en trois mois, des dégâts matériels et plusieurs arrestations. Sans compter ceux qui, dans le camp des putschistes et de celui des loyalistes sont tombés lors de l’assaut du 5 septembre 2021 contre le palais présidentiel Sékhoutouréya. Faute de bilan officiel, la presse locale évoque vaguement une centaine de victimes.

Mais sous les régimes militaires, ce qui inquiète le plus, ce sont les crimes de sang et les violations des droits humains, même s’ils ne sont pas l’apanage des pouvoirs issus de putsch.

En Guinée, la liste de ces crimes est longue. En atteste le procès en cours contre les pontes du précédent régime militaire. Elles sont accusées d’être impliquées dans ce qui est communément appelé « le massacre du 28 septembre 2009 », en référence à la répression meurtrière d’une manifestation d’opposants au régime militaire de l’époque au stade du 28 septembre.

En plus de promettre plus de rigueur dans la reddition des comptes avec la création d’une Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief), Mamadi Doumbouya, qui a promis de « faire de la justice la boussole de la transition », a relevé le défi d’ouvrir ce procès emblématique. Onze accusés, dont l’ancien président putschiste, Moussa Dadis Camara, défilent à la barre.

Plusieurs autres officiers, dénoncés au cours du procès notamment par Aboubacar Sidiki Diakité dit Toumba, risquent d’être rattrapés par leur passé. Le commandant Toumba était l’aide de Camp du capitaine Dadis Camara alors chef de l’Etat.

« C’est un procès historique qui ouvre la voie de la lutte contre l’impunité », affirme Halimatou Camara, une avocate des parties civiles à ce procès. Elle estime que cette procédure devrait favoriser la justice et l’Etat de droit en Guinée.

Tradition de putschs

Depuis son indépendance en 1958, la Guinée est à son troisième coup d’Etat (réussis) et au moins à quatre tentatives de putschs avortées.

Dans les discours publics actuels en Guinée revient un vœu (pieu ?) : l’actuelle transition doit être la dernière. Mais certains observateurs pensent qu’ « un  putsch en appelle toujours un autre ».

« Beaucoup pensaient que Dadis Camara allait être le dernier à prendre le pouvoir par les armes », remarque un ancien ministre d’Alpha Condé. « Les putschs créent l’instabilité, délégitiment les institutions, fragilisent les acquis démocratiques et ouvrent la possibilité de reproduire les mêmes pratiques. Nous assistons depuis des décennies à un éternel recommencement : coups d’État, transitions, élections contestées (…) », analyse Saïkou Oumar Baldé, Enseignant-chercheur en Science politique à l’Université général Lansana Conté de Sonfonia à Conakry qui fait remarquer toutefois,  « le vote en tant qu’outil de désignation des élites à la disposition des citoyens n’a jamais fonctionné ».

DLB-FD/ts

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