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Prise en charge des malades de Covid-19 au Burkina : défaillances mortelles

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Ouestafnews – Un mort dans des conditions que dénonce sa famille. Des accusations de négligence. Des autorités qui peinent à s’expliquer. La prise en charge des cas de Covid-19 a servi de révélateur quant aux failles du système sanitaire au Burkina Faso.

Yasmine Sawadogo, vit encore dans la douleur. Fin mars 2020, elle a perdu son père par la faute du Covid-19. A la douleur de la perte subite sont venues s’ajouter les conditions désastreuses de cette perte. La mort de son père, Yasmine l’apprendra de manière fortuite, trois jours après le décès.   

Marvin, comme on l’appelait, 54 ans, a été admis au centre de prise en charge des malades du Covid-19, le 23 mars 2020. Il sera l’une des premières victimes à succomber du Covid-19 au Burkina, après la député Rose Marie Compaoré, décédée dans la nuit du 17 au 18 mars.

De son vrai nom Amadou Sawadogo, le défunt était un décorateur de renom des grands évènements culturels. Les conditions de sa mort continuent encore de susciter des interrogations auprès de sa famille.

Le Centre de prise en charge des malades du Covid-19 est logé dans l’enceinte du centre hospitalier universitaire Tengandgo (CHU-T), au Sud de Ouagadougou. Avant d’y être finalement admis, Marvin a dû être trimballé de structure sanitaire en structure sanitaire. Il y succombera. 

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Le cas de Marvin n’est pas un cas isolé. D’autres malades, selon des proches, ont vécu la même valse d’une structure sanitaire à une autre, se terminant parfois en tragédie comme en témoigne cette infirmière qui dit avoir perdu, à la même période que le décès de Marvin, son cousin qui avait des difficultés pour respirer.

 « On est allé à l’hôpital Yalgado d’où on nous a référés à l’hôpital de Bogodogo. Là-bas, on nous a dit d’aller à Tengandgo. De Tengandgo on nous a renvoyés à Bogodogo. C’est en cours de route qu’il est mort », accuse l’infirmière en service au centre médical de Pissy, à Ouagadougou. Si le Covid est la principale cause du décès, certaines familles pointent du doigt la mauvaise qualité de la prise en charge.

Depuis, l’apparition de la pandémie au Burkina et jusqu’au 24 février 2021, 142 personnes y ont perdu la vie par la faute du virus. A cette date également, le Burkina Faso comptait 11 887 cas confirmés, selon un communiqué du Service d’information du gouvernement (SIG).

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Pour Yasmine, son père est mort à cause d’un manque de prise en charge. « Nous sommes arrivés à Tengandgo le lundi 23 mars aux environs de 10h. Mais on ne nous a pas reçus. On nous a dit de retourner à la maison et d’appeler au téléphone le 3535 (NDLR : numéro d’alerte) pour qu’une équipe médicale vienne le chercher », confie-t-elle. C’était le début de ce qui ressemble à une partie de ping-pong entre réceptifs hospitaliers, pour une famille en détresse avec un malade mal en point entre les bras. 

Face à la détresse respiratoire du malade qui s’aggrave, sa famille décide d’aller vers les cliniques privées. Successivement, deux cliniques le refusent. La raison de ce refus ? Le ministère de la santé a instruit tous les établissements sanitaires de référer systématiquement tout malade présentant des signes cliniques du covid-19 au CHU-T.

Un patient laissé à lui-même 

La famille de Marvin n’a pas d’autre choix que de le ramener au CHU-T. Arrivé à nouveau à Tengandgo vers 16 heures, le patient est finalement admis dans le centre de prise en charge autour de 18 heures. Mais vu le risque de contagion et la rapidité avec laquelle le virus se propage, Yasmine et sa famille sont empêchées de rester avec lui, comme le recommandent les mesures sanitaires en période d’épidémie. Elles ne peuvent pas non plus lui rendre visite. A partir de ce moment, le contact avec le père de famille n’est que téléphonique.

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L’impossibilité d’assister son père est restée en travers de la gorge de Yasmine. Mais, elle veut au moins savoir si son père a été dépisté positif au Covid-19. Impossible ! Le personnel soignant ne leur donne aucune information à ce sujet.

Entre temps, son père l’informe par téléphone que depuis son admission dans la salle, aucun agent de santé ne s’approche de lui. Ne serait-ce que pour prendre son poids, sa température et d’autres informations de base. Pendant ce temps, il continue de respirer difficilement.

A 21h, Marvin a enfin de l’oxygène médical. Mais le lendemain, 24 mars, il se plaint de manque de soins en dehors de l’oxygène et de l’aggravation de sa situation sanitaire. Le 25 mars, il craque et demande à sa famille de venir le chercher. « Aux alentours de 18 heures, papa nous a appelés pour dire que son oxygène était fini et que personne n’était venue pour changer [la bouteille]. Il demandait de le faire sortir de là », raconte Yasmine.

Amadou Sawadogo, dit Marvin, l’un des premiers morts du Covid-19 au Burkina.

Interrogé, le 3 décembre 2020, le directeur général du CHU-T, Ferdinand Tiendrébéogo, a refusé de répondre aux questions du journaliste d’Ouestaf News sur la prise en charge du défunt Marvin. Selon lui, le Centre des opérations de réponse aux urgences sanitaires (CORUS) est le mieux indiqué pour répondre aux questions relatives à la prise en charge et aux difficultés y afférentes. Il confie tout de même qu’au début de la pandémie, il y a eu « quelques difficultés ». D’après lui, son hôpital ne disposait que de 8 respirateurs pour plusieurs patients. Actuellement, le nombre de respirateurs est de 37, au moins.

La conversation sur le manque d’oxygène et d’assistance a été la dernière entre Yasmine et son père. « Papa ne répondait plus au téléphone », confie Yasmine. Elle multiplie les appels. Aucune nouvelle jusqu’au 28 mars. Désespérée, elle s’ouvre à des connaissances dans le milieu sanitaire le 29 mars.

C’est ainsi que les chambres sont fouillées une à une au CHU-T par ces agents de santé. Mais aucune trace de Marvin. Les recherches se poursuivent à la clinique Princesse Sarah, située dans le quartier Ouaga 2000, toujours au Sud de Ouagadougou. Là-bas se trouve un autre groupe de malades du covid-19 mais point de trace de Marvin. C’est finalement à la morgue du CHU-T que l’équipe de recherche découvre une caisse portant la mention « Sawadogo Amadou, décédé le 26 mars, sans dossier ».

Un mort sans dossier médical

Pourquoi la mention « Sans dossier » alors que le dossier médical est supposé ouvert pour tout malade dès son admission dans un service hospitalier ? Selon plusieurs médecins, ce dossier doit contenir le nom du patient, son adresse, le compte-rendu de sa consultation, ses antécédents cliniques, l’adresse d’une personne à contacter en cas de besoin, les examens et soins.

Autre question : pourquoi 72 heures après la mort de Marvin, sa famille n’a pas été informée de son décès ?  

Joint plusieurs fois au téléphone, le directeur du CORUS et Coordonnateur du comité sectoriel santé de la riposte au covid-19, docteur Brice Bicaba, n’a pas voulu répondre aux demandes d’interview d’Ouestaf News.

Le 6 janvier 2021, une demande écrite d’entretien lui a été adressée. C’est une semaine après que son secrétariat envoie une réponse de sa part, conseillant de s’adresser plutôt au Service d’information du gouvernement (SIG).

Le SIG est chargée de de la communication gouvernementale et de la diffusion de l’information publique. A ce jour, la demande écrite d’entretien envoyée par Ouestaf News, sur la gestion de la pandémie et les cas de décès, depuis le 13 janvier 2021, est restée sans suite. Des failles dans la communication gouvernementale qui s’ajoutent à l’angoisse des familles et à la détresse des malades.

Chez les professionnels de la santé qui acceptent de parler, hors micro de crainte de représailles, le cas de Marvin reste une anomalie. Chacun d’eux tente une explication, sans qu’on puisse savoir laquelle s’applique au cas Marvin.

« Ce n’est pas possible qu’un patient soit reçu dans un hôpital sans qu’un dossier ne soit ouvert. Même s’il souffre de détresse respiratoire, le début du traitement se fait en même temps que l’ouverture du dossier », confie un médecin en service dans la région du Sahel, rencontré le 30 novembre 2020 à Ouaga.

« Soit, il s’agit d’une erreur médicale, soit on veut cacher le dossier pour que les gens n’aient pas des informations compromettantes. N’oubliez pas qu’il y a le secret médical », commente un autre, en service à l’hôpital du district de Bogodogo, à Ouagadougou, interrogé le 29 novembre 2020.

« Si le dossier n’est pas ouvert, c’est une erreur médicale », estime un pédiatre en service au centre hospitalier universitaire pédiatrique Charles De Gaulle de Ouagadougou, rencontré le 5 décembre 2020.

« Toutefois, il peut arriver que face à l’urgence du cas, on procède aux soins en se disant qu’on va ouvrir le dossier après et on oublie par la suite. L’autre possibilité est que le dossier peut se perdre dans le circuit de prise en charge », nuance-t-il. Est-ce le cas Marvin ? On n’en sait rien. « L’un dans l’autre, cela reste une erreur médicale », conclut le pédiatre.

Le cas Marvin, la partie visible de l’iceberg

Plus de huit mois après le décès de Marvin, le dépistage des membres de la famille du défunt n’est toujours pas fait comme le prévoit le Plan de préparation et de riposte révisé à l’épidémie de covid-19 au Burkina Faso de mars 2020. « On est venu prendre nos constantes (Ndlr : température, tension artérielle, fréquence cardiaque et respiratoire) mais personnes n’a été dépistée », confie Yasmine. Quant à la désinfection du domicile du défunt, elle a été possible grâce à des amis de la famille.

De nombreux citoyens ont dénoncé « un cafouillage » et « un manque d’humanisme » dans la gestion des premiers cas de coronavirus, à travers les émissions radiophoniques interactives et sur les réseaux sociaux.

« Aux premières heures, il y avait la panique, vu tout ce que les médias montraient en Europe », admet un médecin rencontré le 27 décembre 2020, au centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, où il exerce, pour justifier les manquements dans la prise en charge des malades.

Ces accusations anonymes semblent être corroborées par les propos du docteur Bertrand Méda, médecin de santé publique et chercheur à l’Institut de recherche en science de la santé (IRSS). Ce dernier accuse même la stratégie de riposte au covid-19. « Il y a eu une mauvaise approche dès le départ. Le système de santé a ses mécanismes pour gérer les épidémies. Mais lorsqu’il y a eu le Covid-19, on a créé des structures parallèles en dehors du système sanitaire pour la prise en charge des malades. Ça ne peut pas marcher. Il fallait intégrer la prise en charge dans le système sanitaire », analysait-il dans une interview accordée à Ouestaf News, le 24 septembre 2020.

Actuellement, il y a moins de complaintes par rapport à la prise en charge des malades du covid-19. Contrairement aux mois de mars et avril 2020 où elles étaient virales sur les réseaux et dans les émissions radiophoniques d’expression directe, selon un constat d’Ouestaf News.

D’une part, la psychose des premières a baissé. D’autre part, le Burkina Faso a quelque peu renforcé son système sanitaire avec la mise en place d’équipements et matériels médicotechniques dans les hôpitaux pour la prise en charge des cas sévères. « 82 lits de réanimation, 52 concentrateurs d’oxygène et 46 respirateurs ont été installés, et plus de 4000 agents de santé ont été formés », a annoncé le directeur du CORUS, docteur Brice Bicaba, lors du point de presse mensuel sur l’évolution de la maladie à coronavirus, le 21 décembre 2020 à Ouagadougou.

Des progrès certes, mais chez les familles des premières victimes comme Yasmine et les siens, un an après l’apparition du virus, la douleur et l’incompréhension quant aux conditions désastreuses de prise en charge demeurent.

GBS/fd/hts

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