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Quotidien d’une poissonnière : Fatou Badji ou quand le travail prive de vie sociale

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Ouestafnews – Les poissonnières sont de celles qui ont un quotidien qui les maintient très souvent à l’écart de la vie de famille. Elles se lèvent tôt et sont souvent victimes d’agressions ou d’arnaques de toutes sortes. Immersion dans la vie d’une vendeuse de poisson.

Il est à peine 5 heures du matin, à Niary Tally, quartier populaire de Dakar. Le vent frais qui souffle dans les rues désertes rompt de temps en temps le lourd silence dans lequel est plongé le quartier.

Seules quelques rares personnes circulent dans les rues de ce quartier réputé grouillant de monde. Il est trop tôt pour se lever.

Et pourtant, dans une petite chambre perchée au quatrième étage d’un immeuble, non loin de la grande mosquée Mazalikoul Djinane, Fatou Badji, 39 ans, s’est bien levée avant le premier appel du muezzin à la prière de l’aube.

Elle est vendeuse de poisson au marché de grand Dakar. Pour avoir de belles pièces, elle est obligée d’affronter l’obscurité et l’insécurité du petit matin pour rallier les marchés aux poissons.

Tranquillement, elle s’enduit le corps de beurre de karité, avant d’enfiler en premier un pantalon et un pull pour finir par une robe plus légère lui permettant de camoufler la petite sacoche en jean usé qu’elle porte en bandoulière.

Le casse-tête du transport

Après avoir vérifié une dernière fois qu’elle n’a réveillé personne dans sa préparation, la mère de famille de deux enfants, referme avec précaution la porte de la chambre avant de prendre les escaliers, avec de deux bassines.

Il fut une époque pas si lointaine où la vendeuse, pour rien au monde, ne serait sortie seule à cette heure. Elle et ses camarades étaient les cibles des agresseurs qui les dépouillaient de leur argent.

La situation s’est maintenant, «grandement améliorée», assure-t-elle. Les propos de Fatou corroborent ainsi les résultats du récent rapport de la Direction de la sécurité publique (Dsp). Celle-ci indique que la criminalité à Dakar a baissé de 35% entre 2015 et 2017.

A peine sortie dans la petite ruelle que le froid mordant du petit matin se fait ressentir. Mais elle ne s’en formalise pas. Son seul souci est de trouver un  moyen de transport sûr et rapide. «Je compte prendre un taxi clando. Mais, si je ne me dépêche pas, je risque de le rater», avance-t-elle.

Fatou presse le pas, mais en vain. A l’arrêt de bus, point de voiture. L’une des options qui s’offrent à elle est de se cotiser avec les autres collègues vendeuses rencontrées à l’arrêt de bus et de prendre un taxi. Là aussi, pas de succès. Elle est la cinquième, une passagère de trop.

Aujourd’hui semble ne pas être son jour de chance ! N’empêche, elle reste calme face à l’obligation qui s’impose à elle de prendre son mal en patience et d’attendre un bus. « Ce n’est pas évident, ils n’ont pas d’heures fixes, je perds un temps précieux » regrette-t-elle.

Ce manque de chance semble entamer son endurance. Presque indifférente face aux piques du vent depuis le départ de la maison, elle grelotte maintenant de froid.

Heureusement, la ligne 43 apparaît bientôt au loin, et Fatou affiche le sourire. Les étant en ce moment presque désertes, le trajet entre Niary Tally et le marché aux poissons de Pikine, dans la banlieue dakaroise, est vite effectué.

Malgré l’heure matinale, le lieu grouille de monde. Il faut savoir jouer des coudes tout en évitant les porteurs de caisses dégoulinantes d’eau poisseuse ainsi que des flaques d’eau.

Fatou Badji circule pourtant très aisément dans ce capharnaüm. Elle fréquente les lieux depuis bientôt 10 ans. Sans hésiter, elle se dirige tout droit vers un groupe de femmes en pleine discussion avec un petit homme tenant une grosse liasse de billets de banque et un carnet rempli de gribouillis.

Se battre pour le moindre centime

Mamadou Diallo est un créancier. Sur chaque 5.000 FCFA prêtés, il appose un pourcentage d’environ 2%. La poissonnière emprunte la somme de 20.000 FCFA, avant de se diriger à nouveau vers un autre créancier assis non loin pour lui emprunter 10.000 francs.

En plus de la petite somme qu’elle possède, elle se dirige enfin vers les vendeurs empressés. Faire recours à ces méthodes est la solution qu’ont trouvée certaines vendeuses, pour éviter de circuler au petit matin avec leur argent en poche et attirer les agresseurs. Cela leur permet aussi de se remettre en selle après une perte énorme.

2007-2012, la période de l’abondance

Optimiste, Fatou l’est. Le marché est inondé de poissons frais. Mais, après quelques marchandages, elle déchante. Les poissons frais sont hors de portée. De guerre lasse, elle se rabat sur les produits surgelés plus accessibles.

«Lorsque je commençais le métier, en 2007, les caisses de poissons frais qu’on propose aujourd’hui à 75.000 francs nous coûtaient 20.000 voire 15.000 francs ».

Mais les temps ont changé. Le poisson se fait rare, et il lui est de plus en plus difficile de joindre les deux bouts. Il est bien loin l’époque où toute jeune poissonnière, elle se permettait quelques jours de repos tant le commerce était fructueux.

Trois heures, deux caisses de poissons âprement marchandées et quelques disputes plus tard, Fatou est sur le départ.

«Ici, si tu te laisses faire, on t’écrase facilement. Il faut être hargneux», dit-elle. En effet, elle vient d’en découdre verbalement avec une autre vendeuse, pour… 50 FCFA.

Cette différence de 50 FCFA paraît très dérisoire. Mais les bénéfices qu’espère Fatou le sont aussi surtout quand elle considère les charges qui l’attendent.

Une vie sociale inexistante

Elle gagne très difficilement 5.000 FCFA par jour. Et presque tout le bénéfice est redistribué en «transport, en payement aux porteurs de caisses, en tontine, en achat de glace et de sachets pour la conservation des poissons», énumère-t-elle. Sans oublier le pourcentage du créancier.

C’est également avec cet argent qu’elle supporte les frais d’éducation de ses enfants.

La poissonnière ne prend pas de pause dans la journée. Elle n’a pas de congés non plus. Et ce, depuis très longtemps. «Ce n’est que durant les fêtes que je mange plus d’un repas par jour».

Avec son horaire impossible, elle a à peine le temps de se nourrir ou même de développer des relations de voisinage. « Cela fait des années que je vis ici, mais je suis incapable de mettre un nom sur beaucoup de visages que je rencontre dans le quartier.»

A peine arrivée au marché vers 8 heures, elle est assaillie par ses clients. Le ballet d’acheteurs se poursuit plusieurs heures au grand bonheur de la vendeuse.

Meilleure élève devenue poissonnière

Dans sa jeunesse, Fatou Badji n’a jamais imaginé devenir vendeuse de poissons. En effet, elle était parmi les meilleurs élèves de son collège et se voyait enseignante. Mais faute de moyens, elle s’est résignée à arrêter l’école et à rallier Dakar dans le but de travailler comme ménagère avant de finir poissonnière.

14 heures sonne la fin de sa journée. La table vide est le signe qu’elle vient de faire une belle opération.

Epuisée, Fatou regagne sa maison. La suite de son programme est très simple. «Je vais cuisiner, prendre mon repas, faire mes prières et me coucher», affirme-t-elle. Et demain, à l’aube, son quotidien sera le même. Ainsi, célèbre Fatou la journée mondiale dédiée aux femmes.

DD/ad

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