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Un Sénégalais consacre-t-il au moins 54 % de ses revenus à son loyer ? (Fact-checking)

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Ouestafnews – En avril 2025, le ministre chargé de l’Urbanisme au Sénégal, cité par des médias, a affirmé qu’un Sénégalais consacrait au moins 54 % de ses revenus au paiement de son loyer. Ouestaf News a vérifié cette allégation.

Le ministre sénégalais de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’Aménagement des territoires, Moussa Bala Fofana s’exprimait le 7 avril 2025 à Diamniadio, près de Dakar, à l’occasion d’une cérémonie de présentation de la nouvelle politique concernant l’accès au logement au Sénégal, d’après le quotidien pro-gouvernemental Le Soleil et SenePlus, un portail d’information sur le Sénégal.

« Un Sénégalais, peu importe son niveau de revenu, mobilise au minimum 54 % de ses revenus pour payer son loyer, rappelle le ministre Moussa Bala Fofana », a écrit Le Soleil dans un article mis en ligne le 8 avril 2025. Lors de la cérémonie évoquée, a de son côté rapporté SenePlus dans un article publié le 10 avril 2025, « le ministre a révélé un chiffre alarmant : « Un Sénégalais, peu importe son niveau de revenu, mobilise au minimum 54 % de ses revenus pour payer son loyer », a-t-il affirmé ».

Extrait de l'article du portail d'information sur le Sénégal SenePlus contenant l'allégation vérifiée. Capture d’écran annotée par Ouestaf News.
Extrait de l’article du portail d’information sur le Sénégal SenePlus contenant l’allégation vérifiée. Capture d’écran annotée par Ouestaf News.

Calcul et précisions du ministère

Dans les déclarations attribuées au ministre sénégalais de l’Urbanisme, aucune précision n’a été fournie pour appuyer le taux. Après plusieurs tentatives infructueuses pour joindre le ministre Moussa Bala Fofana ou son cabinet, le ministère a envoyé une réponse à Ouestaf News par la plateforme de messagerie WhatsApp.

« Le chiffre de 54 % que le ministre a avancé concernant la part du revenu des Sénégalais allouée au logement n’est pas une estimation isolée », mais « le résultat d’une analyse rigoureuse basée sur des données provenant de sources officielles et reconnues », a déclaré son service de Communication. « Pour étayer ce chiffre, nous avons croisé deux indicateurs clés », que sont « le coût moyen d’une chambre au Sénégal » et « le salaire moyen au Sénégal », a-t-il ajouté.

« Selon les données du Centre pour le financement du logement abordable en Afrique (CAHF) », le coût moyen d’une chambre au Sénégal « se situe autour de 62 000 FCFA », a encore affirmé le ministère, en précisant : « Le CAHF est une institution respectée et experte dans l’analyse du marché du logement africain ». En outre, a-t-il poursuivi, « les chiffres de l’Agence nationale de la statistique (et de la démographie) du Sénégal, ANSD, indiquent un salaire moyen de 113 145 FCFA. L’ANSD est l’organisme officiel de référence pour les statistiques nationales ».

Le Centre pour le financement du logement abordable en Afrique se présente sur son site internet comme « un groupe de réflexion indépendant qui travaille pour soutenir et développer les marchés du logement en Afrique » pour le rendre abordable. Créé en 2014 et basé à Johannesburg, en Afrique du Sud, le CAHF prétend être « devenu la source d’information la plus complète et à jour sur le financement du logement en Afrique ».

Photo d'archive utilisée à titre d'illustration. © Pexels/Jakub Zerdzicki.
Photo d’archive utilisée à titre d’illustration. © Pexels/Jakub Zerdzicki.

Pour obtenir la part du salaire d’un Sénégalais allouée au loyer, le ministère sénégalais de l’Urbanisme a procédé, selon son service de Communication, à un calcul consistant à diviser le coût moyen du loyer « tel qu’évalué par le CAHF » par le salaire moyen « tel que mesuré par l’ANSD », et à multiplier ce résultat par cent. Ainsi, « nous arrivons effectivement à une proportion d’environ 54 % du revenu consacré au loyer », a-t-il dit.

« Il est important de souligner qu’il s’agit d’une moyenne nationale. Bien entendu, des disparités existent en fonction des régions, des types de logements et des niveaux de revenus individuels. Cependant, ce chiffre fournit une indication claire de la pression significative que le coût du logement exerce sur le budget des ménages sénégalais », a avancé le ministère, sans plus de détails.

Lire : Sénégal : les ONG reçoivent-elles « plus de 60 à 75 % » de leurs financements de l’extérieur ?

Autres sources, autres chiffres

Parmi les documents consultés pour les besoins de cet article, figure le rapport 2024 du CAHF sur les marchés africains du financement du logement (Annuaire 2024 du financement du logement en Afrique), publié en janvier 2025. Ce document de 377 pages est consultable sur le site du think tank spécialisé.

Les chiffres qu’il mentionne ne parlent de « coût moyen d’une chambre au Sénégal » ou de dépenses de logement « pour un Sénégalais », mais plutôt de dépenses de logement pour des « ménages sénégalais locataires ».

« Sur le plan national, 67,4 % des ménages sont propriétaires, tandis que 20,2 % sont locataires » au Sénégal, et « en 2021, les loyers représentaient 15,5 % des dépenses totales des ménages locataires », peut-on lire dans le rapport de six pages consacré à ce pays d’Afrique de l’Ouest. « Le loyer mensuel avoisinait 53 000 CFA (86 dollars américains, $). Il est bien plus élevé dans le département de Dakar (64 502 FCFA, 105 $) contre moins de 30 000 CFA (49 $) dans les autres milieux », y est-il écrit. Le rapport précise que ces données sont fondées sur les résultats d’une enquête d’évaluation de la pauvreté et des conditions de vie des ménages publiés en 2021 par l’Agence nationale de statistique et de démographie.

Extrait du rapport 2024 sur le Sénégal du Centre pour le financement du logement abordable en Afrique (CAHF). Capture d'écran annotée par Ouestaf News.
Extrait du rapport 2024 sur le Sénégal du Centre pour le financement du logement abordable en Afrique (CAHF). Capture d’écran annotée par Ouestaf News.

Ouestaf News a consulté le document mentionné. Il s’agit du rapport final de l’« enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) au Sénégal » daté de septembre 2021, également accessible sur le site de l’ANSD.

« Les loyers représentent 15,5 % des dépenses totales des ménages locataires. Le montant mensuel moyen dépensé en loyer avoisine 53 000 FCFA. Il est bien plus élevé dans la zone urbaine de Dakar (64 502 FCFA contre moins de 30 000 FCFA dans les autres milieux) », indique l’ANSD dans ce document.

Selon l’agence, « la répartition selon la région » pour la dépense mensuelle moyenne en loyer pour les ménages locataires place en tête Dakar avec 64 058 FCFA « et dans une moindre mesure Saint-Louis », dans le nord du pays, avec 44 361 FCFA, « comme étant les régions où le coût du loyer est le plus cher. Cette dépense « varie d’un peu plus de 37 000 FCFA à 30 000 FCFA » à Louga (centre), Thiès (ouest), Kédougou (est), Diourbel (centre) et Ziguinchor (sud), tandis qu’elle n’atteint pas 19.000 FCFA à Matam (nord) et Tambacounda (est).

Extrait du rapport final de l’« Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) au Sénégal » publié en septembre 2021 par l'Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) du Sénégal. Capture d'écran annotée par Ouestaf News.
Extrait du rapport final de l’« Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) au Sénégal » publié en septembre 2021 par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) du Sénégal. Capture d’écran annotée par Ouestaf News.

En juillet 2024, l’ANSD a publié les conclusions d’une nouvelle enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages réalisée en 2022. Ce rapport ne fournit pas d’estimations sur les dépenses totales des ménages locataires, ni en taux ni en montants chiffrés.

Au Sénégal, indique simplement ce document, « les personnes vivant dans la pauvreté ont souvent un accès limité à des logements de qualité, les exposant à des conditions de vie précaires et instables. De plus, les coûts élevés de location peuvent absorber une grande partie de leurs revenus, réduisant les autres dépenses de consommation des ménages ». Quant au salaire moyen mensuel, il s’est établi « à 122 123 FCFA en 2021/2022 », une comparaison montrant que le salaire des hommes était « 1,3 fois plus élevé » que celui des femmes.

Qu’en dit le régulateur du marché locatif ?

Le Sénégal s’est doté en janvier 2014 d’une loi pour faire baisser les loyers « n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée ». La réduction de loyers imposée allait de 4 % à 29 % à l’échelle nationale. Les autorités avaient alors expliqué que cette décision était « demandée par les populations pour lesquelles le loyer représentait entre 34 et 37 % du revenu ».

D’après un blogueur français expert immobilier spécialisé en la matière, la surface corrigée d’un logement est la surface habitable à laquelle on ajoute ou retranche une surface en se fondant sur des normes de confort : hauteur du plafond, moyens de chauffage, luminosité des pièces, par exemple. La surface habitable est la partie du logement où on peut vivre et se déplacement facilement. Elle exclut les espaces pris notamment par les murs, les portes, les escaliers, les garages et les balcons.

En 2023, l’État sénégalais a décrété de nouvelles baisses sur le loyer des baux à usage d’habitation (de 5 à 20 %), expliquant avoir constaté des « pratiques abusives » de bailleurs et d’autres professionnels du secteur de l’immobilier locatif depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2014.

Ouestaf News a demandé à la Commission nationale de régulation des loyers des baux à usage d’habitation (Conarel) au Sénégal si, en 2025, un Sénégalais consacrait autour de 54 % de ses revenus à son loyer. De sa création, en 2023, « à ce jour, la Commission que je dirige n’a pas produit de chiffres précis sur ce qu’un Sénégalais dépense en loyer par rapport à ses revenus », a répondu son président, Momar Ndao, joint au téléphone.

Selon M. Ndao, par manque de moyens financiers, logistiques et humains, la Conarel n’est pas en mesure de produire un rapport ou une étude allant dans ce sens. « Toutefois », a précisé Momar Ndao, dans le cadre de leurs travaux, les membres de cette commission «  s’appuient sur les données fournies par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie ». Et en dépit des limites dans sa mission, la Conarel a reçu plus « de 4 000 réclamations », selon son président, preuve, d’après lui, d’un fort besoin d’encadrement dans ce secteur.

La Conarel dépend du ministère sénégalais de l’Industrie et du Commerce. Selon les autorités, elle a « pour mission de veiller à l’application du dispositif de régulation du loyer des locaux à usage d’habitation » dans le pays.

Photo d'archive utilisée à titre d'illustration. © Pexels/Kindel Media.
Photo d’archive utilisée à titre d’illustration. © Pexels/Kindel Media.

Méthode de calcul peu fiable

Des experts de calculs statistiques sollicités par Ouestaf News ont indiqué que la formule mathématique utilisée par le ministère sénégalais de l’Urbanisme calculer la part du loyer dans le revenu d’un Sénégalais n’est pas fausse en soi, mais qu’elle utilise des indicateurs peu représentatifs de la réalité.

C’est le cas d’Ousseynou Badji, ingénieur et étudiant en sciences de données (data science) à l’Université de Thiès, à l’est de Dakar. « Le calcul est mathématiquement juste, mais il simplifie trop pour qu’on puisse en tirer une conclusion fiable. (…) Il faut souvent faire attention avec les calculs (faits sur la base) de moyennes », a-t-il affirmé, soulignant que la moyenne peut masquer des disparités importantes. Selon lui, calculer la part du loyer d’un Sénégalais dans son revenu à partir du salaire moyen serait peu réaliste, « car au Sénégal, beaucoup de gens gagnent bien moins que le salaire moyen », qui est tiré vers le haut par une minorité de hauts salaires.

Chiffre trompeur

La vérification de la déclaration d’un ministre sénégalais selon laquelle un Sénégalais consacrait autour de 54 % de ses revenus au paiement de son loyer ne permet pas de déclarer ce chiffre fiable.

Le ministère concerné a précisé à Ouestaf News les indicateurs et la méthode de calcul utilisés. Mais les documents officiels ou spécialisés consultés sur le sujet ne mentionnent pas le taux avancé. La dernière estimation de l’agence sénégalaise de statistique, établie en 2021, indique que « les loyers représentent 15,5 % des dépenses totales des ménages locataires ». Quant à la commission sénégalaise chargée de réguler les loyers, elle a assuré à Ouestaf News ne pas avoir « produit » de chiffres sur la question.

En 2014, le Sénégal a voté une loi pour baisser des loyers jugés trop élevés, qui représentaient alors « entre 34 et 37 % du revenu » des locataires concernés, selon un décret officiel. Les recherches d’Ouestaf News n’ont pas permis disposer de chiffres plus récents, ni plus élevés.

Selon un ingénieur étudiant en data science, la méthode de calcul utilisée est « mathématiquement juste », mais les indicateurs choisis sont peu représentatifs de la réalité et le résultat ne permet d’en « tirer une conclusion fiable ».

FC/cs


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